IRLANDE DU NORD – La fin de ce mois de mars a été marquée par l’arrestation inattendue de Sir Jeffrey Donaldson, chef du parti du DUP (Democratic Unionist Party – Parti démocrate Unionist) et anciennement Vice-Premier ministre d’Irlande du Nord, pour des accusations de viol et de délits sexuels.
Des faits qui ont choqué l'Irlande du Nord
Jeudi soir dernier, le 27 mars, une rumeur a commencé à se propager selon laquelle un homme âgé de 61 et son épouse de 57 ans avaient été arrêtés pour des accusations de délits sexuels.
Plus tôt dans la semaine, certains avaient remarqué que les comptes des réseaux sociaux de Sir Jeffrey Donaldson avaient été supprimés, ce qui a immédiatement éveillé les soupçons lorsque l’annonce de l’arrestation des deux individus a été rendue publique. Vendredi matin l’annonce est officielle : l’ex-leader du DUP, parti au pouvoir en Irlande du Nord, et sa femme sont accusés d’agressions sexuelles et de viols, des faits remontant à plusieurs années.
À la suite de ces accusations, l’homme politique a renoncé à son statut de leader du DUP. En
conséquence, son adhésion au parti en question fut entièrement suspendue ainsi que son
affiliation à la loge d’orangiste.
La fin du DUP en Irlande du Nord?
Cet évènement arrive comme un coup de grâce pour un parti déjà en déclin. Les dernières élections de 2022, marquées par la victoire d’un parti républicain sur un parti unioniste,
cachaient néanmoins les signes d’affaiblissement du DUP. Parmi les trois principaux partis pressentis pour ces élections, le DUP fut le seul à perdre des sièges à l’assemblée, conduisant ainsi directement à la victoire du Sinn Féin.
Sir Jeffrey Donaldson, dont la campagne électorale reposait sur une position ferme contre l’établissement d’une frontière maritime entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume, était donc devenu la tête de proue de cette bataille pour la préservation de l’identité britannique des Irlandais du Nord et maintenir la position légitime du pays au sein de l’union. Après son élection en tant que Vice-Premier ministre, il a continué son combat, refusant ainsi de prendre ses fonctions tant que le Premier ministre britannique ne renégociait pas les accords post-Brexit en respectant les exigences du DUP.
Pendant deux longues années, l’Irlande du Nord a donc connu une situation de blocage politique, aucune loi ne pouvant être votée, aucun budget ne pouvant être attribué, tandis que les services médicaux étaient de plus en plus chargés, exacerbant le clivage communautaire déjà existant dans le pays.
Cette situation a sérieusement entaché la crédibilité du parti, son électorat s’affaiblissant face aux conséquences tangibles et financières de ce boycott prolongé. La véritable raison de ce boycott semblait découler du refus catégorique des unionistes d’accepter de devenir le deuxième parti le plus puissant d’Irlande du Nord, relégué derrière les républicains du Sinn Féin.
Ce discours, porté par les deux communautés, affaiblissait d’autant plus la crédibilité du parti. Finalement, au début de l’année 2023, Rishi Sunak, le Premier ministre britannique, a
repris les négociations avec Bruxelles, et ensemble ils ont présenté, en février 2023, le Windsor Framework.
Ce nouveau protocole post-Brexit sépare l’acheminement des marchandises à destination de l’Europe de celles à destination d’Irlande du Nord, effaçant ainsi la frontière
maritime entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni. Ce nouvel accord réduit également la marge d’influence des législations européennes en Irlande du Nord, ainsi que le champ d’action de la Cour de justice européenne.
Néanmoins cet accord, bien que signé le 27 février 2023, n’a pas réussi à satisfaire le DUP, qui a maintenu son boycott du pouvoir jusqu’en février 2024.
Fin janvier 2024, à la suite d’une des plus importantes grèves nationales impliquant de
nombreux fonctionnaires, le DUP a tenu une réunion d’urgence privée, en réponse également à la pression de Westminster pour un retour imminent au pouvoir.
Cependant, ce qui aurait dû rester à huis clos a été diffusé sur les réseaux sociaux, suscitant une méfiance croissante entre les membres du DUP. Le débat sur les conditions de retour au pouvoir était un débat délicat.
Cette atmosphère empreinte de suspicion a contraint les membres à trancher rapidement
sur la question. Finalement, et après avoir annoncé qu’un accord satisfaisant avait été trouvé, le DUP a cédé et a annoncé la fin du blocage.
Et maintenant pour la scène politique en Irlande du Nord ?
Ainsi, ce retour de l’exécutif nord-irlandais, la désignation d’une autre représentante du parti unioniste, Emma Little-Pengelly, aux côtés de Michelle O’Neill, et les remous de ces dernières semaines pourraient bien être les derniers coups portés à un parti en déclin, dont les valeurs défendues se perdent progressivement dans un électorat nord-irlandais de plus en plus jeune et
de moins en moins pris dans les clivages identitaires et communautaires.
Sir Jeffrey Donaldson, ainsi que sa femme accusée de complicité, nient entièrement les charges
qui pèsent contre eux, et sont convoqués à comparaitre le 24 avril à Newry.
Lisez-en plus sur l’Irlande du Nord
Auteur / autrice
-
Sarina Abousido est anthropologue de formation, spécialisée sur la politique d'Irlande du Nord, du Brexit, sur les interactions entre la République d'Irlande, l'Irlande du Nord et le Royaume Uni. D'origine palestinienne, elle étudie également les échos de la cause palestinienne dans l'identité politique irlandaise.
Voir toutes les publications