La curiosité morbide ne cesse de croître, alimentée par une avalanche de podcasts, de documentaires et de séries télévisées consacrés aux faits divers les plus sordides. Cette curiosité morbide, qui pousse des millions de personnes à plonger dans les récits de meurtres et de mystères, soulève des questions sur la nature humaine et sur l’impact de cette obsession sur notre société.
Pourquoi sommes-nous attirés par l’horreur et le macabre ? Quelles en sont les implications psychologiques et sociales ? Le Parisien Matin a eu le plaisir d’interviewer Cédric Meilac afin de plonger au cœur d’un phénomène captivant et inquiétant.
Les Racines de la Curiosité Morbide
La curiosité pour les crimes et les tragédies humaines n’est pas un phénomène nouveau. Depuis des siècles, les récits de meurtres, de vols et d’autres actes répréhensibles captivent l’imagination collective. Les exécutions publiques au Moyen Âge, les chroniques criminelles des journaux du XIXe siècle, et aujourd’hui les séries télévisées comme “Mindhunter” ou les podcasts comme “Serial”, tous témoignent d’une attirance persistante pour l’horreur.
Plus récemment, nous avons pu observer le succès inattendu de la série Netflix “Mon Petit Renne”. Il s’agit d’une mini-série britannique inspirée de l’histoire vraie de l’humoriste Richard Gadd. Elle raconte comment il a été harcelé pendant des années par une femme rencontrée dans le bar où il travaillait. Elle cumulait plus de 10 millions d’heures lors de sa semaine de sortie, puis 52 millions la deuxième semaine et 87 millions lors de la la troisième semaine.
La série suit Donny, un humoriste en devenir, qui se lie d’amitié avec Martha, une cliente du bar. Cette relation apparemment anodine se transforme rapidement en cauchemar lorsque Martha commence à le harceler de manière obsessionnelle, envahissant sa vie privée et professionnelle. La série explore les conséquences psychologiques dévastatrices du harcèlement, la difficulté de se faire entendre et de trouver de l’aide face à ce type de violence. La série aborde également la question du consentement et des relations toxiques.
La plupart des spectateurs ont été touchés par cette histoire au point que certains sont allés déterrer l’affaire d’origine en retrouvant le vrai nom de la harceleuse. Fiona Harvey, ou celle que l’on appelle Martha dans la série, est revenue sur l’adaptation en affirmant que tout était faux.
Cela montre l’aspect négatif de la curiosité morbide.
Cette fascination peut être attribuée à plusieurs facteurs psychologiques. Cédric Meilac, docteur en Psychologie, expert agréé par la Cour de Cassation et membre de l’association régionale des psychologues experts judiciaires, nous en explique les ressorts : “ J’ai identifié trois mécanismes principaux. Le premier serait au fond le mécanisme de l’émotion, c’est-à-dire d’un sujet qui va au travers de l’exposition à ses supports, chercher à se procurer des émotions diverses : tristesse, effroi, colère, toutes sortes de sentiments qui vont pouvoir être mobilisés à travers son exposition, un peu comme quelqu’un qui se rendrait à la fête foraine et qui ferait des manèges à sensations. Deuxième mécanisme, celui de l’identification, avec un sujet qui finalement va s’identifier à une personne qui passe à l’acte ou à la victime qui subit le passage à l’acte. Troisième mécanisme, je dirais, c’est la jouissance qui serait tirée par le sujet au contact de ces supports du fait de cette exposition. C’est comme s’il allait en retirer des bénéfices narcissiques, lui apportant une forme de gratification ou de jouissance. Cela se rapproche d’une forme de voyeurisme, allant parfois jusqu’à l’addiction.”
D’une part, le danger et l’inhabituel stimulent notre curiosité innée. Les crimes violents sortent de la norme quotidienne et confrontent les spectateurs à des scénarios extrêmes, déclenchant ainsi une réponse émotionnelle intense. De plus, l’exploration de la noirceur humaine permet aux individus de se confronter à leurs propres peurs et de les rationaliser.
L’Impact de la Médiatisation des Crimes et la croissance de la curiosité morbide
La médiatisation des affaires criminelles a explosé avec l’essor des nouvelles technologies et des plateformes de streaming. Des séries comme “Making a Murderer” ou “The Ted Bundy Tapes” ont attiré des millions de spectateurs, tandis que les podcasts de true crime dominent souvent les classements d’écoute.
Cela entretient le phénomène de curiosité morbide.
“Nous pouvons voir que les faits divers ont pris une grande importance dans les médias. Ils sont devenus le révélateur, ou prétendument en tout cas, de mots sociétaux, ou de dysfonctionnement judiciaire, etc., à travers des grandes affaires criminelles, comme l’affaire du petit Grégory, l’affaire Raddad, ou l’affaire Ranucci.Aujourd’hui avec les chaînes d’informations en continu, il y a un effet d’entretien. Ces affaires vont être répétées une fois, deux fois, dix fois, etc. donnant au fait divers une aura particulière d’importance. Il y a une forme d’instrumentalisation par les médias, et particulièrement les médias d’information continue, de faits divers qui vont leur produire, qui vont susciter un intérêt, effectivement, chez leurs téléspectateurs. Dans ce sens-là, certains médias peuvent participer à cet intérêt morbide pour certaines affaires”, ajoute le psychologue.
Les Implications Psychologiques de la curiosité morbide
La consommation régulière de contenus sur les crimes peut avoir des implications psychologiques variées. Pour certains, elle peut offrir une forme de catharsis, permettant d’explorer des émotions difficiles dans un cadre contrôlé et sûr. “Je dirais que tout dépend du type de contenu. Il faut différencier les types de contenus. Le visionnage d’un reportage construit sur un fait d’hiver, c’est un domaine auquel on peut s’intéresser comme un autre. Si vous êtes exposé à une vidéo de décapitation, effectivement, il peut y avoir des manifestations potentiellement d’ailleurs post-traumatiques, particulièrement chez des sujets jeunes et immatures, dont la personnalité est en construction, et qui vont, dans certains cas, pouvoir développer des manifestations anxieuses. Mais dans de plus nombreux cas, on peut voir plutôt une forme d’addiction ou de dépendance se développer”
La Ligne Éthique
La fascination pour les affaires criminelles soulève également des questions éthiques. La commercialisation de la souffrance humaine et la transformation de tragédies réelles en divertissement posent des dilemmes moraux. Les familles des victimes peuvent ressentir que leur douleur est exploitée pour des gains financiers, et la dignité des personnes impliquées est souvent mise à mal.
Par exemple, lors de la sortie de la série Netflix axée sur les crimes commis par Jeffrey Dahmer, le cannibal de Milwaukee, de nombreuses familles des victimes se sont plaintes auprès des médias du fait qu’elles n’ont pas été sollicitées par Netflix pour donner leur témoignage, qu’on ne leur a pas demandé la permission de mettre en scène un crime violent impliquant une personne qui leur était chère et surtout que l’acteur qui a interprété le tueur es série, Peter Evans , a été désigné par le public comme étant un “sex symbol” dans ce rôle. Cela a contribué à la glorification du crime, plutôt qu’à la condamnation du coupable et au devoir de mémoire envers les 17 victimes de Dahmer.
Il est donc crucial pour les créateurs de contenus et les consommateurs d’être conscients de ces enjeux et de traiter les histoires avec respect et sensibilité. Les producteurs de contenus sur le crime doivent équilibrer la quête de vérité et de justice avec la nécessité de ne pas exploiter indûment les tragédies humaines en vue de la curiosité morbide.