Le 28 novembre 2024 restera gravé dans l’histoire politique française comme le jour où Michel Barnier, alors Premier ministre, a été contraint de quitter ses fonctions après seulement 90 jours en poste. Cette destitution, survenue à la suite d’une motion de censure adoptée par l’Assemblée nationale, marque un tournant décisif dans la Cinquième République et soulève de nombreuses interrogations sur la stabilité politique du pays.
Une motion de censure qui met fin à un mandat éclair
Nommé Premier ministre par Emmanuel Macron en août 2024, Michel Barnier, âgé de 73 ans, portait le poids d’une longue carrière politique derrière lui, ayant notamment été ministre, commissaire européen et négociateur en chef du Brexit pour l’Union européenne. Malgré son expérience, Barnier est devenu le Premier ministre ayant servi le mandat le plus court sous la Cinquième République, battant le record précédemment détenu par Bernard Cazeneuve en 2017.
La chute du gouvernement Barnier trouve ses racines dans une série de décisions mal ficellées, exacerbées par un contexte parlementaire tendu, dénoncé très publiquement depuis juin.
Le projet de budget pour 2025, présenté par Barnier, visait à réaliser 60 milliards d’euros d’économies pour réduire un déficit budgétaire croissant. Ce plan austère a suscité l’opposition véhémente des deux extrêmes de l’échiquier politique : la gauche radicale, incarnée par La France Insoumise, dénonçait une attaque contre les classes populaires, tandis que le Rassemblement National critiquait les mesures comme étant trop favorables aux élites.
Avec une Assemblée nationale sans majorité claire, le gouvernement Barnier était confronté à une opposition farouche et à des alliances fluctuantes. L’imposition du budget via l’article 49.3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’un texte sans vote, a été perçue comme un acte autoritaire, attisant davantage les tensions.
“L’ancien négociateur en chef de l’UE pour le Brexit a été renversé par le Rassemblement national de Le Pen et un ensemble de partis de gauche en rébellion contre ses propositions budgétaires. Cela survient alors que Le Pen a averti que si Barnier franchissait les « lignes rouges », son parti déclencherait un vote de défiance.“
Alex Armstrong, commentateur politique pour GB News
En effet, adoptée par une coalition improbable entre la gauche radicale, le Rassemblement National et une partie des socialistes, la motion de censure a été adoptée à une majorité étroite. C’est seulement la deuxième fois dans l’histoire de la Cinquième République qu’un gouvernement est renversé par ce moyen, la première remontant à octobre 1962, lorsque Georges Pompidou fut destitué.
Contrairement à Pompidou, qui avait été réinvesti rapidement après une victoire électorale de son camp, Barnier quitte Matignon dans un contexte de profonde instabilité, sans perspective immédiate de résolution.
Une motion de censure qui était prévisible
“Macron sera le prochain. Faites entrer Le Pen. Le vent tourne en Europe”
Tommy Robinson, journaliste et militant
Si vous vous souvenez de l’article icônique du Parisien Matin “Bonjour Monsieur Le Premier Ministre“, il est temps de lui dire “Au revoir”.
La chute du gouvernement Barnier, bien que spectaculaire dans sa soudaineté, n’est en réalité pas une véritable surprise pour les observateurs de la scène politique française. Avec seulement 90 jours à Matignon, Michel Barnier a été propulsé dans un contexte politique déjà miné par des divisions profondes et une hostilité marquée entre l’exécutif et le législatif. Ces tensions, latentes depuis plusieurs mois, ne pouvaient que s’exacerber face à un recours précipité et controversé à l’article 49.3 pour faire passer en force le budget de la Sécurité sociale. Ce geste, perçu comme une provocation par une large part des députés, a finalement servi de catalyseur à une motion de censure qui n’attendait qu’une étincelle pour se concrétiser.
Le choix même de Michel Barnier pour Matignon avait soulevé des questions. Bien qu’expérimenté, son profil, perçu comme technocratique et peu rassembleur, semblait peu adapté à un paysage parlementaire éclaté. Face à une Assemblée nationale sans majorité claire, il lui aurait fallu une habileté politique exceptionnelle pour construire des compromis solides. Or, dès le début, son gouvernement s’est heurté à un mur d’incompréhensions et de résistances, à droite comme à gauche. En conséquence, les jours de Barnier à la tête du gouvernement semblaient comptés dès sa nomination.
La rapidité avec laquelle Emmanuel Macron cherche à nommer un successeur témoigne de l’urgence de la situation. Comment trouver une personnalité capable de rassembler autour d’un projet dans un contexte où les partis d’opposition, qu’ils soient de gauche ou d’extrême droite, semblent avoir pour seule priorité la déstabilisation de l’exécutif ? La stratégie de Mathilde Panot et de LFI, visant à imposer un Premier ministre issu du NFP ou à bloquer tout autre option, illustre cette volonté de confrontation. De même, les divergences internes entre le PS et LFI montrent que même au sein de l’opposition, le consensus est loin d’être acquis.
Au-delà des querelles politiciennes, cette crise politique révèle une profonde fragilité institutionnelle. L’impasse actuelle est le symptôme d’un système qui peine à fonctionner dans une configuration multipartite où aucun bloc ne détient une majorité absolue. Si le président de la République parvient à nommer un nouveau chef de gouvernement rapidement, il ou elle devra immédiatement s’atteler à apaiser les tensions et à redéfinir une méthode de gouvernance axée sur le dialogue. Faute de quoi, le spectre d’une nouvelle censure – et donc d’une instabilité prolongée – continuera de hanter l’exécutif.
Quant à Michel Barnier, son départ précipité laisse derrière lui une série de dossiers non résolus, aggravant la perception d’un gouvernement inefficace. Il restera également dans l’histoire comme un avertissement : dans une Ve République de plus en plus chahutée, les chefs de gouvernement ne peuvent plus se permettre de gouverner seuls contre tous.