Dans un article publié au cours de la pandémie de Covid-19, quatre chercheurs soulignaient la capacité des coopératives à adapter leurs pratiques pendant les crises : réorientation vers des biens essentiels, soutien à leurs salariés et membres ou décisions prises par l’ensemble des parties prenantes. Cependant, une épée de Damoclès les menace : la dégénérescence coopérative, lorsqu’en oubliant leurs principes, elles se comportent comme des entreprises classiques.
Des salariés impliqués dans les décisions
Les coopératives ne sont pas des entreprises comme les autres. Leur gouvernance repose sur des principes démocratiques. Les décisions sont prises collectivement par leurs membres en fonction de la continuité et de la qualité du service que leur rend la coopérative, plutôt qu’en fonction de la rémunération du capital.
En temps de crise comme le Covid-19, cette structure unique favorise une mise en œuvre des décisions plus rapide et plus réactive. Ses membres, qui sont aussi les utilisateurs, sont directement concernés par les décisions de l’organisation.
Prenons l’exemple des coopératives alimentaires. Pendant les confinements, ces organisations ont souvent réussi à maintenir une chaîne d’approvisionnement stable pour leurs membres, tout en veillant à la sécurité sanitaire de leurs employés et clients.
En Europe, des coopératives agricoles ont redoublé d’efforts pour garantir l’accès aux produits locaux, souvent en établissant des partenariats avec des coopératives de transport pour éviter les ruptures d’approvisionnement. Leurs membres, étant également leurs clients, étaient directement investis dans le succès de ces initiatives.
Cette résilience n’est pas sans défis. La crise de Covid-19 a révélé que certaines coopératives s’étaient éloignées de leurs principes fondateurs de gouvernance démocratique. Le phénomène de dégénérescence coopérative décrit une situation où un système coopératif devient inefficace à cause de comportements opportunistes, de la perte de confiance, ou de l’apparition de conflits d’intérêts.
Lorsque les coopératives se comportent de plus en plus comme des entreprises capitalistes, elles risquent de perdre la confiance de leurs membres et leur capacité à réagir efficacement en temps de crise.
Faire valoir ses besoins et préoccupations
Un aspect central qui distingue les coopératives des entreprises traditionnelles est la manière dont elles s’engagent avec leurs membres, et plus largement avec leurs parties prenantes. Une étude a mis en avant que le modèle coopératif s’appuie sur deux mécanismes principaux : la voix (voice) et la sortie (exit).
Dans une entreprise traditionnelle, où les actionnaires ont un rôle prédominant, le mécanisme de la sortie est souvent la seule option. Les clients ou les employés quittent simplement l’organisation lorsqu’ils ne sont plus satisfaits. En revanche, dans une coopérative, les membres ont également la possibilité de participer aux décisions via le mécanisme de la voix. Ils peuvent exprimer leurs opinions et influencer les décisions de manière collective.
Pendant les crises comme celle de la Covid-19, l’importance du mécanisme de la voix est particulièrement évidente dans les coopératives. Les membres de ces organisations ont pu faire valoir leurs besoins et leurs préoccupations. Par exemple, dans certaines coopératives de travailleurs, les employés ont pu négocier collectivement des conditions de travail plus sûres ; ce qui a aidé à maintenir l’activité tout en protégeant la santé des membres.
Certaines coopératives du groupe espagnol Mondragon ont vu les travailleurs s’accorder sur une réduction temporaire de salaire pour aider leur coopérative à traverser la crise et, par conséquent, maintenir les emplois.
En comparaison, dans les entreprises capitalistes, où l’engagement des parties prenantes est souvent limité aux actionnaires, les réponses à la crise ont été moins centrées sur les besoins des employés ou des clients. De nombreuses entreprises ont réagi en licenciant massivement, sans offrir d’alternative ou de soutien à leurs employés, alors que les coopératives ont souvent cherché des solutions pour préserver les emplois.
Garder coûte que coûte des principes démocratiques
Les coopératives ne sont pas des structures monolithiques. Elles doivent jongler avec plusieurs logiques institutionnelles, notamment économiques, sociales et démocratiques. Cette catégorie d’organisations hybrides intègrent plusieurs objectifs parfois contradictoires. Une coopérative doit non seulement être rentable pour survivre économiquement, mais elle doit également respecter des principes démocratiques et répondre aux besoins de ses membres.
Ces organisations peuvent parfois échouer à équilibrer ces différentes logiques. Pour aider les coopératives à assumer leur hybridité, les codes de gouvernance doivent être davantage flexibles. Plutôt que de se concentrer uniquement sur la rentabilité économique, ils devraient également intégrer des mécanismes de participation démocratique et de création de valeur sociale. Cela permettrait de mieux aligner la gouvernance des coopératives avec leurs principes fondateurs et d’éviter de les conduire vers une dégénérescence. De plus, les coopératives doivent réaliser l’équilibre parfois difficile de rester ancrées dans leurs communautés locales, tout en étant capables de s’intégrer dans un réseau global pour répondre aux défis économiques mondiaux.
Les coopératives, et leur mode de fonctionnement unique, sont donc des laboratoires idéaux pour étudier des systèmes de gouvernance alternatifs, amenant plus de durabilité et de résilience.
