Il y a quelque temps, une petite fille est morte, elle avait onze ans. C’était le vendredi 7 février 2025. Son présumé meurtrier, un jeune homme de vingt-trois ans, l’aurait tuée après un accès de colère violent suite à une altercation verbale pendant une partie de jeu vidéo.
Comme il était en colère, il a décidé de s’en prendre à quelqu’un. Alors il s’en est pris à quelqu’un d’inoffensif, à quelqu’un d’innocent ; quoi de plus innocent qu’un enfant?
Les autres collégiens de son école ont eu peur parce que cela aurait pu aussi leur arriver. Mais, comment trouver les mots lorsque dans ces moments-là, en tant qu’adulte, nous ne les avons pas? Comment faire pour les protéger ?
C’est à travers cette interrogation que j’ai échangé avec le Dr Thierry Lavergne, psychanalyste, pédopsychiatre, cofondateur et président directeur de Psy Cause.
Aider les enfants à faire face à l’actualité traumatisante et au flot d’informations
LPM : Comment accompagner les enfants lorsqu’il y a un fait divers traumatisant?
T.L : La première chose est d’oser affronter, de discuter de cela avec les enfants. Il n’y a pas réellement de règles particulières. Quand on raconte une histoire, un conte à un enfant, ce sont souvent des histoires terribles : par exemple, un loup qui dévore une grand-mère.
Ce sont toujours des histoires terrifiantes, donc finalement, les enfants entendent depuis leur plus jeune âge, autour d’eux, des histoires de meurtres, de découpage, de cannibalisme, des choses assez affreuses.
Ce n’est pas une bonne chose que de penser qu’afin de les protéger, on ne leur en parle pas. Au contraire, cela fait partie des fantasmes des enfants : toutes ces choses existent déjà dans leur construction fantasmatique, bien avant l’âge de 5-6 ans.
LPM: En tant qu’adultes, nous peinons déjà à prendre du recul avec la notion de réalité et d’illusion, que ce soit à travers les fake news, les Deep fakes, les mensonges d’influenceurs de tout bord. Alors comment fait-on pour protéger les enfants dans un monde surmédiatisé ?
T.L: La première recommandation qui semble évidente est d’éviter l’accès direct le plus possible. Ensuite, que l’accès à tous les écrans, toutes les images soient modérées par un adulte protecteur. Après, c’est selon l’âge.
Avant trois ans, cela n’a aucun intérêt que l’enfant soit devant un écran. Ensuite, pour TikTok ou tout autre média social, il y a des accès contrôlables par les parents. Heureusement que les réseaux permettent de mettre ces limites, mais sinon, si c’est impossible, que l’enfant a accès à un smartphone et qu’aucune possibilité n’existe de mettre de limites, il ne faut pas qu’il ait accès à ce genre de médias.
La fonction de parent, pour un enfant, elle est double : c’est celle d’offrir un cadre sécurisant, protecteur, nourrissant, pour qu’il se sente cocooné, materné, qu’il ait un espace rassurant là où il est auprès de ses parents. Ce qui n’est pas toujours si simple par ailleurs.
C’est un espace très important pour un enfant, pour qu’il puisse se construire là-dessus, il doit avoir cette base-là. Puis le second aspect de la fonction des parents est d’ouvrir l’enfant au monde. S’il reste enfermé dans ce que je viens de vous dire, la première partie, sans arrêt, cela ne lui permet pas de devenir un enfant, ça ne l’éduque pas, il reste un bébé.
La seconde partie, c’est justement d’accompagner l’enfant vers la découverte du monde: Traverser la rue en faisant attention à droite à gauche, regarder si on est bien dans le passage clouté, faire attention effectivement aux rencontres que l’on peut faire, éventuellement cheminer à plusieurs lorsque les chemins sont plus risqués, toutes sortes de conseils que doivent donner les parents.
Puis, sur le côté désemparé des parents face aux fake news, aux mélanges d’images : Il y a une chose très simple, c’est que l’enfant est très éclairé dans sa construction psychique de savoir par quels écueils sont passés ses parents lorsqu’ils étaient enfants et par quels écueils passent ses parents quand ils sont adultes.
Évidemment, ça ne veut pas dire que l’enfant doit être au courant des tracas quotidiens des parents avec des phrases telles que : “Je n’ai pas d’argent”, “Ton père ne me donne pas la pension alimentaire”. Je prends des exemples qui peuvent paraître stupides.
Malheureusement, c’est ce que j’ai pu entendre dans ma carrière. Ce n’est pas ça qu’il faut leur dire, mais plutôt : “Écoute moi-même, j’ai des difficultés à savoir, la société a évolué, je dois faire un effort pour comprendre ce qui est réel, ce qui n’est pas réel, ce qui est une image, ce qui n’est pas une image, si tu veux, on va regarder ensemble.”
Il faut dévoiler à l’enfant le fait que parfois on est confronté à des écueils. On peut avoir du mal à les dépasser. Montrons à l’enfant de quelle façon on les dépasse. Pour prendre un exemple plus simple : « Traverser la rue en bas de chez nous, c’est très compliqué pour moi aussi et c’est pour cela que je préfère appuyer sur le bouton pour que le feu passe au rouge, mais ça ne m’empêche pas de regarder à droite, à gauche. »
Les parents doivent offrir à leurs enfants la possibilité de découvrir le monde
LPM: Est-ce qu’il y a une idée de structurer l’enfant aussi par ces écueils ?
T.L: Absolument. Le parent va cocooner l’enfant, lui proposer un milieu protecteur et maternant, nourrissant, dans lequel il pourra paisiblement dormir, etc.
Tout ça n’a de sens que si ce parent ou un autre parent, les parents en général, offrent à l’enfant la possibilité de découvrir le monde, que ce soit par des livres, par des écrans accompagnés ou que ce soit par des promenades, par des propos, par des échanges. Découvrir le monde avec un maximum de sécurité.
Ce qui est structurant pour l’enfant, c’est la base, si j’utilise des mots que j’expliquerai plus tard, car il ne faut pas les prendre au pied de la lettre : il faut qu’il y ait une base maternante où il se sent rassuré, et puis une base paternante qui va lui permettre de découvrir le monde en prenant le minimum de risques, en prenant des risques calculés, des risques éclairés.
Paternant, maternant, cela ne veut pas dire que ce sont le père et la mère, ça veut dire que ce sont des fonctions : fonction paternelle et fonction maternelle. La mère a souvent ces deux fonctions, mais le père peut avoir aussi les deux fonctions dans son discours.
Détecter lorsque son enfant éprouve de la détresse suit à un fait divers
LPM: Je voulais revenir aussi sur comment un parent peut différencier les réactions normales des signes de détresse ?
Comment repérer que l’enfant est au-delà de ses capacités ? Que ce qui se passe pour lui dépasse ses capacités psychiques ?
T.L: Oui, alors c’est une très bonne question et malheureusement la réponse est compliquée. Je n’ai pas de réponse unique, mais je vais y répondre ainsi : la manière de repérer si l’enfant est dépassé dans ses capacités psychiques, c’est de se rendre compte que l’enfant n’est pas comme d’habitude. Cela suppose que le parent ait une relation privilégiée avec l’enfant, que le parent soit à l’écoute de l’enfant.
La recommandation, si vous voulez, est que le parent garde le lien tout le temps avec son enfant, de façon à se rendre compte quand il y a quelque chose de bizarre : il se réveille plus tard, il dort mal, il ne dit rien, à ce moment-là, c’est un signal. Après, les signaux peuvent s’aggraver. Quand l’enfant est dépassé dans ses capacités psychiques, il finit par ne plus faire confiance, par mentir, par s’éloigner, par rompre.
Lorsqu’il rompt le lien, c’est qu’il n’a plus confiance. Il ne peut plus s’appuyer dessus, il va chercher ailleurs.
C’est dangereux parce que lorsqu’il va chercher ailleurs, quelques fois des gens prennent plaisir à accueillir la détresse d’un enfant.