Au cœur du lac Victoria, à la frontière entre le Kenya et l’Ouganda, se trouve un minuscule îlot de moins de 2 000 mètres carrés : Migingo. Cette petite étendue rocheuse, à peine plus grande qu’un terrain de football, est l’un des endroits les plus densément peuplés du monde.
Une île minuscule au cœur d’un eldorado halieutique
Accueillant environ 500 habitants à son apogée, Migingo affiche une densité estimée à 250 000 personnes au kilomètre carré, un chiffre qui dépasse largement celui de métropoles surpeuplées comme Hong Kong.
Au-delà des chiffres, Migingo est une enclave qui affiche une économie florissante grâce à la pêche. Malheureusement, cette belle île est entachée par des conditions de vie précaires et une rivalité politique qui frôle le conflit.
Si tant de personnes se pressent sur ce petit bout de terre rocailleuse, c’est avant tout pour son emplacement stratégique dans des eaux poissonneuses. Le lac Victoria, plus grand lac tropical du monde, abrite notamment le perche du Nil, un poisson très prisé sur les marchés internationaux. Avec des prix pouvant atteindre plus de 300 dollars le kilogramme, ce commerce alimente une économie locale dynamique mais dépendante.
« Ici, la pêche, c’est l’or noir. Nous nous battons tous pour attraper ces poissons qui font vivre nos familles », explique Kennedy Ochieng, un pêcheur kényan installé sur l’île depuis plusieurs années.
Les pêcheurs, venus principalement du Kenya et de l’Ouganda, bravent chaque jour les eaux du lac, parfois infestées de pirates. Ces derniers, armés et opportunistes, n’hésitent pas à attaquer les bateaux pour s’emparer des prises, des moteurs ou même de l’argent des pêcheurs. L’absence d’une force de police permanente laisse la population livrée à elle-même, la protection étant souvent assurée par des milices informelles ou contre le paiement de « taxes de protection » aux forces maritimes locales.
La promiscuité extrême et les conditions de vie rudes de Migingo
Vivre sur Migingo signifie s’adapter à un espace extrêmement restreint. L’île est recouverte de cabanes de tôle ondulée, formant un véritable labyrinthe de ruelles étroites. Le moindre mètre carré est exploité : chaque parcelle de terrain est utilisée pour les habitations, le commerce ou la réparation des bateaux.
« Il n’y a pas de place pour marcher sans heurter quelqu’un », confie Joseph Otieno, un commerçant vendant du matériel de pêche sur l’île. « Mais on s’adapte, car ici, c’est l’un des rares endroits où on peut encore gagner sa vie. »
L’infrastructure est quasi inexistante : pas d’eau courante, peu de toilettes et une gestion des déchets anarchique. L’électricité provient de quelques générateurs et panneaux solaires rudimentaires, principalement utilisés pour éclairer les bars et les salons de coiffure. Ces établissements, ainsi que plusieurs maisons de prostitution dessinent le profil de l’activité nocturne qui anime l’île, où les pêcheurs reviennent après une nuit sur le lac.
Migingo joue le rôle de poudrière diplomatique entre le Kenya et l’Ouganda
Depuis le début des années 2000, Migingo est empiétée par une querelle territoriale entre le Kenya et l’Ouganda. Cette dispute, qualifiée de la « plus petite guerre d’Afrique », a vu les forces des deux nations s’affronter à plusieurs reprises pour revendiquer la souveraineté de l’île.
En 2004, l’Ouganda a envoyé des forces armées pour taxer les pêcheurs et protéger l’accès aux eaux poissonneuses, suscitant une riposte du Kenya qui a dépêché ses propres forces maritimes.
« Nous sommes dans un no man’s land », estime Eddison Ouma, un pêcheur ougandais. « On ne sait jamais si demain on paiera nos taxes aux Kényans ou aux Ougandais. »
Un comité mixte a été mis en place par les deux gouvernements afin d’examiner les cartes coloniales et déterminer à qui appartient l’île. Mais à ce jour, aucun accord définitif n’a été trouvé, et Migingo continue d’être administrée par les forces des deux pays, dans un statu quo fragile.