On imagine souvent que les livres de philosophie politique sont des briques poussiéreuses réservées aux salles de séminaire universitaires.
Pourtant, il suffit d’ouvrir L’An V de la Révolution Algérienne de Frantz Fanon (maladroitement traduit en anglais par A Dying Colonialism) pour comprendre qu’on tient là un cocktail révolutionnaire : explosif, visionnaire, et toujours aussi brûlant.
Alors non, le colonialisme ne « meurt » pas tranquillement en sirotant un thé. Comme le rappelle le philosophe Nelson Maldonado-Torres, « le colonialisme doit être tué. Il doit être détruit, aboli. » Un message radical dans un monde où les anciens colons fraternisent parfois d’un continent à l’autre pour défendre les privilèges blancs.

Fanon contre la douce illusion de la mort naturelle du colonialisme
Maldonado-Torres revient sur le décalage entre le titre original et sa traduction anglaise. Le choix de A Dying Colonialism gomme la violence, l’urgence et surtout, l’action révolutionnaire contenues dans l’idée même de l’année « cinq » d’une guerre de libération.
« Il ne s’agit pas simplement de la mort du colonialisme, mais de la naissance de quelque chose de nouveau. » – Nelson Maldonado-Torres
Fanon y décrit un colonialisme totalisant, qui infiltre toutes les dimensions de la vie sociale, des soins médicaux aux rapports familiaux.
Il insiste aussi sur la capacité des colonisés à détourner les outils du colon pour s’en libérer : médecine, radio, symboles.
Et ce n’est pas qu’un débat théorique. En Afrique du Sud, en pleine mobilisation étudiante (#FeesMustFall), certains questionnent encore la pertinence de Fanon. Un célèbre avocat demande : « Pourquoi vos étudiants lisent-ils Fanon ? Ce n’est plus le colonialisme ici. »
La réponse fuse : « Il n’y a pas une seule ligne révolutionnaire dans la Constitution sud-africaine. »
« Fanon affirmait que le colonialisme sud-africain était étonnamment similaire à celui de l’Algérie. Il comptait même rejoindre la lutte contre l’apartheid. » – Nelson Maldonado-Torres
La décolonisation comme mutation de la subjectivité
La dernière partie du livre évoque un colon européen devenu révolutionnaire, montrant que la décolonisation ne se limite pas à des changements institutionnels. Elle implique une transformation intime des subjectivités – y compris pour les Blancs. Cela ne passe pas par une adhésion molle au libéralisme, mais par un engagement dans la lutte collective.
« Toute personne blanche souhaitant se libérer de la suprématie blanche trouvera dans ce livre un guide exigeant mais essentiel. » – Nelson Maldonado-Torres