Donald Trump s’en prend avec virulence au Mexique, le présentant comme un pays trop laxiste à l’égard du passage vers son territoire de nombreux migrants, comme un hub du trafic de drogue à destination des États-Unis et comme le cheval de Troie des importations en provenance de Chine. Dans ce contexte, l’administration de gauche de Claudia Sheinbaum défend les intérêts nationaux avec pragmatisme, en donnant des gages de bonne volonté (déploiement des militaires à la frontière, mesures « anti-Chine ») mais sans représailles, contrairement au Canada.
Dans un scénario de guerre commerciale universelle sans remise en cause profonde du partenariat privilégié au sein de l’espace économique nord-américain, le Mexique pourrait ressortir comme un « gagnant relatif » et préserver sa rente géoéconomique. Le scénario du pire serait bien entendu une répudiation pure et simple de l’accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM, ex-ALENA) par l’administration Trump.
Les tensions commerciales avec les États-Unis mettent en exergue l’ultra-dépendance du modèle économique mexicain vis-à-vis de la première puissance économique mondiale.
Les perspectives positives pour le Mexique en termes de commerce et d’investissements amorcées sous l’administration Biden par des mesures telles que l’Inflation Reduction Act) et suscitées par le nearshoring dans le cadre de la reconfiguration des chaines de valeur sont sérieusement remises en question depuis la réélection de Donald Trump.
Pour le gouvernement mexicain, ce contexte ajoute un degré supplémentaire de complexité à une situation marquée par une croissance économique poussive, la déliquescence du secteur pétrolier, les contraintes pesant sur les finances publiques, et les divers freins au développement socio-économique et à la transition énergétique – même si le Mexique ne présente plus les fragilités macroéconomiques des années 1980-1990 susceptibles de générer une crise de balance des paiements.
Le Mexique, premier fournisseur des États-Unis
Déployé depuis les années 1960, le modèle des maquiladoras – ces usines situées à la frontière nord du Mexique (mais aussi dans le centre du pays) qui produisent des biens pour l’exportation – a structuré un écosystème transfrontalier, employant quelques 3 millions de Mexicains et profitable à des milliers d’entreprises états-uniennes.
Le Mexique a pleinement capitalisé sur les avantages comparatifs fondés sur sa position géographique privilégiée, un faible coût du travail et l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA depuis 1994 et ACEUM depuis 2020). Des économies d’échelle ont été réalisées dans certains secteurs comme l’automobile, l’électronique et l’aéronautique.
D’après l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (UNIDO), le Mexique se classait en 2023 au 9e rang en termes de contribution à la valeur ajoutée manufacturière mondiale (1,8 %). Près de 80 % de ses exportations de biens manufacturés sont des produits medium et high-tech : dans ce domaine, le Mexique occupe le 4e rang mondial derrière Taïwan, les Philippines et le Japon.
Toutefois, la production locale est constituée essentiellement de chaînes d’assemblage de produits finis ou semi-finis. La valeur ajoutée domestique intégrée dans les exportations est donc estimée à seulement 9 % des exportations totales mexicaines en 2020 (OCDE, base de données TiVA, 2020.
Profitant des tensions commerciales entre Washington et Pékin depuis 2018, le Mexique est devenu en 2023 le premier fournisseur des États-Unis. Face à la tourmente commerciale mondiale depuis le début de l’année 2025, les recettes d’exportations mexicaines vers les États-Unis ont, jusqu’à présent, affiché une bonne résistance.

La part de marché du Mexique a culminé à 15,5 % en 2024, contre 13,5 % pour la Chine (cette dernière était à 21,6 % en 2017). La part des exportations mexicaines à destination des États-Unis a crû de 79,5 % en 2018 à 83,1 % en 2024 – essentiellement des biens manufacturés ou semi-finis, mais aussi des produits agricoles et du pétrole brut. Particulièrement décrié par Donald Trump, l’excédent commercial bilatéral sur les biens avec les États-Unis s’est accru continûment depuis 2009 pour atteindre 247 milliards de dollars (210 milliards d’euros) en 2024, au deuxième rang mondial derrière la Chine (360 milliards de dollars).
Sécuriser la pérennité de l’ACEUM
L’accord de coopération sur la sécurité signé le 4 septembre 2025 entre le Mexique et les États-Unis apparaît comme un succès de la capacité de négociation de la présidente Claudia Sheinbaum.
Il fait suite à l’annonce en février du déploiement de 10 000 militaires mexicains à la frontière et à l’extradition de 55 narcotraficants vers les États-Unis au cours des huit premiers mois de l’année.
Les autorités mexicaines souhaitent désormais anticiper la révision de l’Accord Canada États-Unis Mexique (ACEUM) prévue en juillet 2026, en comptant sur une position moins radicale et plus pragmatique de l’administration Trump.
À date, le taux moyen de droits de douane acquitté par le Mexique est estimé à 5 % (contre 0,2 % en 2024), alors que le taux moyen appliqué par les États-Unis serait de 11 % au niveau mondial (contre 2 % en 2024) et de 40 % sur les importations chinoises (contre 10 % en 2024).
Selon le ministère des finances du Mexique, mi-2025, 81 % des exportations mexicaines vers les États-Unis étaient conformes à l’ACEUM et seraient entrées sur le territoire sans droits de douane, contre à peine 50 % en 2024. Cette progression s’explique notamment par des efforts en matière de traçabilité.
Par ailleurs, le Mexique cherche à diversifier ses partenaires commerciaux. Le pays est signataire de 14 autres accords de libre-échange avec une cinquantaine de pays, sans compter le nouvel Accord global modernisé avec l’UE conclu le 17 janvier 2025, en cours de ratification.
L’administration Sheinbaum vise aussi à renforcer les relations commerciales avec les pays voisins. Un exemple est l’accord avec le Brésil, renouvelé en août dernier dans le secteur agricole et des biocarburants.
En parallèle, des tarifs douaniers de 10 à 50 % devraient être imposés sur certains produits importés au Mexique, notamment venant de pays avec lesquels il n’a pas d’accord de libre-échange. Les produits en provenance de Chine et d’autres pays sans traités de libre-échange seront taxés jusqu’à 50 % afin de protéger l’emploi dans les secteurs sensibles.
En réponse, la Chine évoque des mesures de représailles envers le Mexique, devenu un partenaire commercial important au cours des dix dernières années, notamment dans l’automobile.
Rester attractif pour les investisseurs
L’attractivité du Mexique pour les investisseurs étrangers post-pandémie pourrait être remise en cause par la politique protectionniste de l’administration Trump, à l’origine de l’attentisme de certaines firmes et d’une possible révision de leur stratégie de nearshoring vers les États-Unis ou d’autres pays.
En 2024, le Mexique a accueilli un niveau record d’investissements directs étrangers (IDE) depuis 2013 (44 milliards de dollars, ou 37 milliards d’euros, soit 2,4 % du PIB), devenant le 9e récipiendaire mondial et le 2e parmi les pays émergents, derrière le Brésil et devant l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam et surtout la Chine, dont les flux d’IDE se sont effondrés.

Depuis 2018, la majorité des IDE entrants au Mexique sont provenus des États-Unis ; pourtant, l’encours total demeure dominé par les entreprises européennes (54 %), devant les entreprises états-uniennes ou ayant investi depuis les États-Unis (32 %), les investisseurs chinois ne constituant que 1 % des IDE installés.
Si les flux d’IDE totaux sont demeurés très dynamiques au premier semestre 2025 (+ 2 % par rapport à 2024), ils ont baissé dans le secteur manufacturier. Des projets d’investissements ont été annulés, suspendus ou reportés depuis la réélection de Donald Trump et l’adoption de la réforme judiciaire mexicaine.
Selon le Consejo Coordinador Empresarial, un organisme autonome représentant les entreprises mexicaines, plus de 60 milliards de dollars (50,9 milliards d’euros) d’investissements seraient actuellement gelés.
Les autorités chinoises auraient, par exemple, refusé au constructeur BYD l’autorisation d’implanter une usine automobile au Mexique avec 10 000 emplois à la clé.
Préserver des comptes externes solides
Le contexte international ne suscite pas d’inquiétude majeure, à ce stade, quant à un risque de dérive des comptes externes mexicains à court ou à moyen terme.
Le déficit du compte courant de la balance des paiements est structurellement modéré (- 0,9 % du PIB en moyenne sur 10 ans et – 0,3 % du PIB en 2024) et couvert par les flux nets d’IDE (2,1 % du PIB en moyenne sur 10 ans). Les réserves de change sont confortables et la Banque centrale n’intervient pas sur les marchés des changes, laissant flotter le peso librement. L’endettement externe est aussi modéré (36 % du PIB).
Le compte courant a pu profiter des mannes records de recettes touristiques (33 milliards de dollars, ou 28 milliards d’euros, soit 1,8 % du PIB en 2024), minorant le déficit de la balance des services, et surtout de remesas, c’est-à-dire les transferts d’argent de la diaspora (64 milliards de dollars, ou 54 milliards d’euros, soit 3,5 % du PIB en 2024).
Mais ces remesas, à 97 % en provenance des États-Unis, ont chuté de 6 % au premier semestre 2025 par rapport au premier semestre 2024. Leur évolution sera importante à suivre, compte tenu de leur rôle de soutien au pouvoir d’achat de nombreuses familles mexicaines. Les transferts hors virements bancaires, soit environ les trois quarts des transferts totaux, seront assujettis à une taxe de la part des États-Unis à compter de janvier 2026.
Par ailleurs, la structure de son commerce extérieur explique les difficultés du Mexique à générer des excédents commerciaux pérennes (hors période Covid), affichant un déficit de la balance des biens de 0,4 % du PIB en moyenne sur 10 ans.
En effet, dans le cadre de l’intégration industrielle nord-américaine, les importations mexicaines de biens intermédiaires ont représenté pas moins de 77 % des importations totales en moyenne depuis 2010, induisant une forte corrélation entre la dynamique des importations et celle des exportations et limitant la valeur ajoutée nette locale.
Parallèlement, la balance énergétique du Mexique est déficitaire depuis 2015
(- 1,2 % du PIB), compte tenu de la baisse de production de pétrole et de la dépendance aux produits raffinés en provenance des États-Unis.
Le solde du compte courant est aussi affecté par le déficit substantiel de la balance des revenus primaires (- 2,7 % du PIB sur 10 ans), lié aux rapatriements de profits et dividendes des nombreuses firmes étrangères implantées sur le territoire.
Prendre son destin économique en main, sans renier l’ancrage nord-américain
Au final, les tensions avec les États-Unis interrogent sur le modèle économique mexicain.
Pays émergent, le Mexique a vu sa croissance économique plafonner au niveau de celle des pays développés en moyenne sur les vingt dernières années (1,7 %), le positionnant dans le Top 10 des pays émergents et en développement les moins dynamiques. Le niveau et la volatilité de la croissance illustrent les limites de l’arrimage au marché nord-américain, en l’absence de puissants leviers de croissance endogènes (consommation, investissement public et privé, financement de l’économie par les banques).
Préserver la rente géo-économique, diversifier les marchés d’exportation et autonomiser le régime de croissance par un renforcement de la demande interne sont les principaux défis pour les prochaines années. Y répondre passera par des réformes repoussées ad vitam aeternam, notamment en matière fiscale et énergétique, de gouvernance publique et d’environnement des affaires.
Les orientations de politiques économiques et de politiques publiques seront cruciales afin de préserver les finances publiques tout en répondant aux importants besoins en termes de dépenses sociales, de retraite et d’infrastructures pour libérer le potentiel de croissance et assurer à la fois la stabilité macro-financière, le développement socio-économique et la transition énergétique du pays.



