Après des années de polémiques, de reproches, et deux nuits et deux jours de discussions, les députés européens et les représentants des gouvernements des États membres sont parvenus à un accord sur la politique migratoire de l’UE, ce mercredi 10 avril au matin.
Un système d’aide financière sera mis en place pour les pays frontaliers, ainsi que des centres fermés pour les migrants ayant peu de chance de voir leurs demandes d’asile aboutir.
Le « Pacte sur la migration et l’asile » durcit les contrôles des arrivées aux frontières du bloc et met en place un système de solidarité entre États membres.
UE: Un délicat compromis
La politique migratoire a alimenté tensions et divisions entre les délégations depuis des années. Les eurodéputés ont fini par voter pour la vaste réforme de la politique migratoire européenne, fruit d’un difficile compromis et depuis tant attendu.
Ce « Pacte sur la migration et l’asile » durcit les contrôles des arrivées aux frontières du bloc et met en place un système de solidarité entre États membres. Le Parlement européen a voté en faveur de dix textes formant ce « Pacte sur la migration et l’asile », lors d’une session plénière à Bruxelles, brièvement interrompue par les protestations de militants hostiles à cette réforme.
« Nous sommes face à nos responsabilités », a déclaré dans l’hémicycle l’eurodéputée française Fabienne Keller (Renew Europe, centristes et libéraux), estimant que voter contre ce pacte était « offrir une victoire à l’extrême droite européenne ». « Ce pacte ne résoudra pas tout, mais c’est un pas en avant, un pas de géant », a encore estimé l’élue, rapporteure de l’un des règlements-clés, portant sur les procédures d’asile.
La refonte des règles est basée sur une proposition de la Commission présentée en septembre 2020 après l’échec d’une précédente tentative de réforme, dans la foulée de la crise des réfugiés de 2015-2016.
Pourtant, ce Pacte migratoire, auquel sont favorables dans l’ensemble les trois principales familles politiques européennes – PPE (droite), Socialistes et démocrates (S&D) et Renew Europe – suscite malgré tout l’opposition d’une grande partie de l’extrême droite, et de l’autre côté des Verts, de la gauche radicale et de certains socialistes.
L' UE vit un « moment historique »
« C’est un moment historique. En tant qu’Européens, après huit ans de discussions intensives, nous avons trouvé un compromis entre une protection stricte des frontières contre les passeurs et la mafia, d’une part, et le maintien de nos valeurs, l’asile et la convention de Genève, d’autre part », a estimé Manfred Weber, président du PPE, premier groupe du Parlement, avant l’ouverture des débats.
La réforme a fait l’objet d’un accord politique en décembre avec l’objectif d’une adoption finale avant les élections européennes de juin.
Le Nouveau Pacte sur la migration et l’asile devrait entrer en vigueur l’année prochaine, l’objectif étant une adoption finale de l’ensemble des textes avant les élections européennes du mois de juin, alors que la question de l’immigration accapare le débat politique dans de nombreux pays, comme en témoigne notamment l’actualité en France, mais aussi en Allemagne ou en Suède.
À côté de cette réforme, qui ne s’appliquera que courant 2026, l’UE multiplie les accords avec les pays d’origine et de transit des exilés (Tunisie, Mauritanie, Égypte) pour tenter de réduire le nombre d’arrivées à ses frontières.
L’Union fait face à une hausse des demandes d’asile, qui ont atteint 1,14 million en 2023, soit leur plus haut niveau depuis 2016, selon l’Agence européenne pour l’asile.
Les entrées « irrégulières » sont elles aussi en augmentation, à 380 000 en 2023, selon Frontex. Sur les onze premiers mois de l’année 2023, l’agence Frontex a enregistré plus de 355 000 traversées des frontières extérieures, soit une hausse de 17 %.
Les demandes d’asile quant à elles pourraient atteindre plus d’un million d’ici la fin 2023, selon l’Agence de l’UE pour l’asile (EUAA). Les chiffres de 2015, d’un afflux d’un million de personnes aux portes de l’Europe en quelques mois, n’ont pas été atteints depuis.
La réforme met en place un « filtrage » obligatoire des migrants arrivant aux frontières de l’Union, consistant à les enregistrer dans la base de données commune Eurodac. Une « procédure à la frontière » est prévue pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d’obtenir l’asile : ils seront retenus dans des centres le temps que leur dossier soit examiné de façon accélérée, dans le but de renvoyer les déboutés plus rapidement.
« Une solution équilibrée » pour l'UE
La règle en vigueur selon laquelle le premier pays d’entrée dans l’Union d’un migrant est responsable de sa demande d’asile est maintenue avec quelques aménagements.
Mais pour aider les pays où arrivent de nombreux exilés, comme l’Italie, la Grèce ou l’Espagne, un système de solidarité obligatoire est installé. Les États en première ligne sont satisfaits: cet accord représente « une solution équilibrée qui ne laisse plus les pays frontaliers particulièrement exposés à la pression migratoire, se sentir seuls », a salué le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Piantedosi.
Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis exprimait en Conseil des ministres sa « satisfaction » qu’ait été trouvée « une réponse européenne importante au grand effort national visant à mettre en œuvre une politique d’immigration stricte mais juste ».
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a salué « un accord fondamental pour l’Espagne », qui va permettre au pays d « améliorer la gestion de nos frontières (et) gérer de manière plus humaine et coordonnée les flux migratoires ».
Les autres États membres doivent contribuer en prenant en charge des demandeurs d’asile (relocalisations) ou en apportant une contribution – financière ou matérielle – au profit du pays sous pression migratoire. Une façon de tenter de surmonter l’opposition de la Hongrie et la Pologne à tout quota de réfugiés – même si ces deux pays restent hostiles à la réforme.
« Effondrement des valeurs » de l'UE
Quelques 161 organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, Amnesty International, l’International Rescue Committee, ou encore Oxfam, ont appelé les eurodéputés à rejeter le Pacte, s’inquiétant des « détentions de familles avec enfants » et une « criminalisation » des exilés. « Pas une seule vie ne sera sauvée par la décision d’aujourd’hui (…). Cet accord est un échec historique et un hommage aux partis de droite européens », ont aussi regretté plus de 15 ONG de secours en mer, dont Sea-Watch et SOS Humanity, dans leur communiqué commun.
Mêmes griefs à gauche de l’échiquier politique. « C’est un effondrement des valeurs », a fustigé l’élu français Mounir Satouri (Verts). À l’inverse, à l’extrême droite, les nouvelles règles sont jugées insuffisamment restrictives. La commissaire européenne Ylva Johansson, à l’origine de la proposition de Pacte, a dénoncé mardi « les forces politiques qui veulent que l’immigration soit un sujet toxique impossible à gérer ».
Après le vote, le Pacte devra encore être formellement approuvé par les États membres. La Commission européenne présentera d’ici juin un plan de mise en œuvre. Car de nombreuses questions sont laissées en suspens, suscitant des incertitudes sur le fonctionnement du système.
Auteur / autrice
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Diplômée d’une licence de langues, d’un Master Science Po - études politiques et journalisme et d’un Master d’histoire de la Russie, Louison est journaliste politique pour Le Parisien Matin. Elle est spécialisée dans les relations internationales et travaille avec des magazines locaux.
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