Les ondes de choc des attaques de Hamas sur Israël la semaine dernière continuent de résonner à travers le paysage politique européen, et les effets se font particulièrement ressentir en France.
Craignant une “montée des tensions” dans son propre pays, le président Emmanuel Macron a rencontré des représentants de tous les partis politiques la semaine dernière pour discuter des réponses potentielles à la situation. Ses craintes sont fondées. La France abrite la troisième plus grande population juive au monde, ainsi que la plus grande population musulmane d’Europe. De plus, le passé colonial de la France en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, tout autant que son passé en tant que collaborateur de l’Allemagne nazie dans la Solution Finale, rend les risques d’autant plus réels.
L’Antisémitisme en France
En fait, les tensions ont déjà augmenté. Le même jour où Macron a rencontré les partis politiques, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est entretenu avec la presse. Plus de 100 actes antisémites avaient eu lieu en France depuis le massacre de Hamas, a-t-il annoncé. Et lorsqu’on lui a demandé si le conflit israélo-palestinien pourrait être “exporté” en France, Darmanin a répondu oui et non. Il n’y avait aucune preuve de cela dans les rues, mais c’était une toute autre affaire sur les écrans, où la France Insoumise (LFI) d’extrême gauche ne “cherche pas à éviter l’importation du conflit”, a-t-il déclaré.
L’Affaire Mélenchon
Il est clair que les politiciens français n’ont pas besoin d’importer des conflits autant que les boulangers français n’ont besoin d’importer des croissants. Comme le montre l’accusation implicite de Darmanin à l’encontre de LFI, l’antisémitisme français est un ingrédient essentiel du conflit politique actuel. En effet, la réalité de l’antisémitisme a longtemps été explicite dans la politique et la culture françaises modernes. Comme l’a remarqué l’historien français Eugen Weber, l’antisémitisme est “aussi français que les croissants” depuis la fin du XIXe siècle.
L’extrême droite en France a particulièrement apprécié cette idéologie toxique. Sur plus d’un siècle, de l’affaire Dreyfus, lorsque l’officier de l’armée juive française Alfred Dreyfus a été injustement accusé de trahison, à l’affaire du détail, lorsque l’ancien dirigeant politique Jean-Marie Le Pen a été justement accusé de négationnisme de l’Holocauste, en affirmant que c’était simplement un détail historique, l’antisémitisme a été la pierre angulaire de la pensée réactionnaire française.
Cependant, l’antisémitisme en France n’a pas été l’affaire exclusive de la droite. De Pierre-Joseph Proudhon à Georges Sorel, des penseurs influents de la gauche française se sont attachés à présenter le Juif comme la source de tous les maux sociaux et économiques de l’ère moderne. Non seulement le banquier juif cosmopolite était le moteur du capitalisme, mais le travailleur juif immigrant était un concurrent pour les emplois. Pourtant, dans les années 1930, la gauche française avait suffisamment évolué pour nommer le politicien juif Léon Blum à sa tête (et futur Premier ministre).
Tout cela nous ramène à l’affaire Mélenchon en cours. Le lendemain du massacre de 1 300 hommes, femmes et enfants par Hamas, le leader volatil de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a défié les demandes de qualifier l’attaque de “terroriste”. Au lieu de cela, il a insisté sur le fait que “la violence déchaînée contre Israël et Gaza ne prouve qu’une chose : la violence engendre plus de violence”.
La position de Mélenchon, qu’il et ses proches refusent toujours de répudier, a déclenché une tempête de critiques. La Première ministre Élisabeth Borne, dont le père a survécu à Auschwitz pour se suicider plusieurs années plus tard, a dénoncé la déclaration “révoltante d’ambiguïté” de Mélenchon. On ne peut pas mettre sur un pied d’égalité, a-t-elle déclaré, un État démocratique avec une organisation terroriste qui vient de l’attaquer – une position, a suggéré Borne, qui sentait l’antisémitisme.
Plus révélateur encore, et inquiétant, est que les paroles de Marine Le Pen, la dirigeante de l’extrême droite du Rassemblement National – fondé par son père en tant que Front National fasciste il y a un demi-siècle – correspondent à la gravité des événements. À l’Assemblée nationale, Le Pen a annoncé que “nous avons vu ce que nous pensions ne plus jamais voir dans l’histoire : des pogroms où des femmes, des enfants et des hommes ont été tués uniquement parce qu’ils étaient juifs”. Après une salve d’applaudissements sonores de la droite et de nombreux membres du parti au pouvoir, elle a ensuite dénoncé “ceux qui soutiennent, excusent ou relativisent l’insoutenable, dont certains siègent dans cette enceinte”.
Il n’y avait aucune raison pour que Le Pen cite des noms – tout comme il n’y a aucune raison de chercher loin pour trouver les raisons de sa prise de position. Depuis qu’elle a hérité du parti, Le Pen cherche à le transformer d’un mouvement dirigé par un antisémite et imprégné de nostalgie pour l’Algérie française en un parti politique comme les autres. Nous pouvons légitimement remettre en question la sincérité des paroles qu’elle a prononcées à l’Assemblée nationale, mais ce qui est indiscutable, c’est son sens du timing politique.
Il y a de bonnes raisons de s’inquiéter de ce moment étrange de l’histoire française. Tout d’abord, cela nous rappelle que le pays a besoin d’une gauche politique électoralement viable et moralement fiable. Plus inquiétant encore, cela nous rappelle également qu’un parti d’extrême droite moralement peu fiable est désormais un peu plus viable.