Vendredi 28 février, Canal+ diffusait en direct la 50e cérémonie des Césars. Entre tradition chevillée au corps, focalisation des récompenses sur deux films – dont un réalisé par un Jacques Audiard déjà lauréat de multiples trophées décernés par L’Académie – et avancée peu soulignée mais réelle par le sacre d’Hafsia Herzi dans la catégorie meilleure actrice. Comme chaque année, la réunion de la “Grande Famille du cinéma” reflète de façon biaisée mais pertinente l’évolution des moeurs.
Une évolution hésitante
“Je viens d’arriver dans le game, je ne vais pas me griller comme ça tout de suite, doucement !”. À sa première prise de parole, Jean-Pascal Zadi résumait par avance l’ambiance de la 50e Cérémonie des Césars.
50 ans et une attitude qui rappelle celle d’un adolescent qui voudrait se rebeller sans blesser celles et ceux qu’il aime, casser le système tout en sachant qu’il en dépend.
Comme la législation qui n’évolue pas au même rythme que la société (l’outrage sexiste et sexuel est est un délit depuis le 24 janvier 2023, presque chaque semaine, un nouvel acteur ou réalisateur est entaché par le soupçon de propos déplacés ou d’abus sexuels), la cérémonie, parfois en retard, parfois en décalage avec le public, offrait cette année l’état des lieux d’un pays qui peine à s’accorder tout en évitant le clash avec un soin visible.
Un exemple parlant est la forme qu’a pris désormais la rituelle invective au Ministère de la Culture.
Le moment de “révolte” est désormais cadré, admis chaque année et confié à un invité de la soirée. Corinne Masiero en avait fait un instant mémorable en 2021. Son corps de femme quinquagénaire a davantage suscité l’intérêt que son propos, la nudité d’une femme lambda devenant pour quelques jours l’objet d’un dégoût largement communiqué.
Josiane Balasko a sagement manifesté son inquiétude à Mme Dati en 30 secondes montre en main, enrobée d’encouragements à la création d’une Europe de la culture. “Il est vital qu’une Europe de la culture soit créée, je ne sais pas où ça en est, cette affaire. Je referme la parenthèse mais elle était importante”
Un discours plus radical a été tenu par Jonathan Glazer à la réception du trophée pour le meilleur film étranger pour “ La zone d’intérêt“. Le flottement qui s’en est suivi rappelait un peu celui d’une classe de collège témoin d’un harcèlement scolaire dont la victime se rebifferait. Ce qui est dit est vrai, mais appuyer manifestement le propos est une prise de risque trop importante pour être tentée.
“Festival- de-Cannonisation”
Comme c’est régulièrement le cas depuis la création de la cérémonie, la soirée s’est achevée par ce qui apparaît avant tout comme la mise en valeur de deux films. Cette focalisation, paradoxalement, prend des allures inclusives quand on sait que ces deux films sont consacrés à la transition d’un narco-traficant en bienfaitrice et au quotidien d’un demandeur d’asile et à la précarité induite par sa condition.
Hafsia Herzi, quant à elle, est la première femme racisée à remporter le César de la meilleure actrice.
Autre évolution majeure, aucune statuette n’est venue gratifier le travail d’acteur ou de metteur en scène mis en cause dans des affaires d’abus sexuels, avérés ou pour lesquels des investigations seraient en cours. Le départ d’Adèle Haenel en 2020 semble, après 5 ans, avoir été compris comme le signal du refus du système de domination pourtant souvent étrillé par les femmes, quand la parole leur est donnée.
On se souvient ainsi de Justine Triet, l’an dernier, rappelant qu’elle était la deuxième femme en 49 ans à être reconnue pour son travail de réalisatrice et de Judith Godrèche et son plaidoyer reconnu unanimement comme courageux mais pas spécialement suivi d’un regain de visibilité de l’actrice.
Dans cette atmosphère équilibriste, Franck Dubosc, reprenant le motif de la bande-annonce de la cérémonie, a livré un sketch drôle, léger avec la pointe d’ironie sur l’entre-soi de la cérémonie, qui de plus en plus, tel le Festival de Cannes, semble suivre un modèle tout tracé des nominations, partagé entre stars populaires toujours nommées jamais récompensées, film engagés et présentés comme élitiste et réalisateur indéboulonnable, dont le génie est reconnu à chaque sortie. Cette dynamique fait regretter une tenace tendance au nombrilisme, comme s’il était difficile d’admettre que de nouveaux talents émergent hors de ce sérail.