Génération Z : quand l’entrée dans la vie adulte se fait à 38 ans
Le Royaume-Uni avance, mais au pas. Dans les trois mois précédant septembre, l’économie n’a progressé que de 0,1 %. Un chiffre presque immobile, qui donne des sueurs froides au Trésor avant le budget d’automne.
En même temps, 84 100 propriétaires étaient en retard de paiement sur leur crédit immobilier au troisième trimestre 2025, selon UK Finance. Cela représente des milliers de familles pour qui chaque échéance de prêt devient un test de survie financière.
Pour la génération Z, ce climat n’a rien de nouveau. Ils ont grandi dans ce décor. Là où leurs parents parlaient d’« entrer dans la vie active » vers 18 ou 20 ans, beaucoup ont l’impression que la vraie vie commence, au mieux… à 35 ou 38 ans.
Devenir adulte ? Oui, mais quand on pourra se le permettre
Pendant longtemps, un emploi stable et un salaire correct suffisaient pour acheter un logement, s’installer, construire quelque chose de durable. Aujourd’hui, même avec des revenus plus élevés qu’à l’époque de leurs parents, une grande partie des jeunes de la génération Z voient ces objectifs reculer au loin.
Les salaires ont certes progressé en données corrigées de l’inflation, mais la hausse des prix de l’immobilier a pulvérisé ces gains. Ajoutez à cela le coût de la vie, les loyers qui s’envolent, la facture énergétique, les transports, et tout ce qui compose le quotidien. L’accès à l’indépendance devient alors un luxe.
Pour ceux qui refusent de consacrer près de 40 % de leurs revenus au loyer, comme l’a relevé un service pour locataires, il reste une solution : rester chez leurs parents. Et ce « temporaire » dure parfois des années.
Même les petites étapes symboliques, comme apprendre à conduire, deviennent des projets d’envergure. Le coût de l’obtention du permis a bondi de plus de 70 % en cinq ans. La voiture, autrefois symbole d’émancipation, reste pour beaucoup un rêve à reporter.
Le travail flexible, ou la précarité déguisée en liberté
Sur le marché du travail, la révolution numérique et les plateformes ont tout changé. La « gig economy », cette économie des missions courtes et des petits boulots, pèse des centaines de milliards et devrait encore tripler d’ici quelques années.
Sur le papier, cela semble séduisant puisqu’on peut avoir des horaires souples, la possibilité de cumuler plusieurs activités et l’impression de garder le contrôle sur son temps. En réalité, les protections sont minces. Pas de garantie d’heures, peu de droits, pas toujours de retraite, et une insécurité constante.
Un jeune de 19 ans qui enchaîne des heures comme plongeur en cuisine et se dit content qu’on l’appelle « quand on a besoin de lui » parle de flexibilité. Mais cette flexibilité ne construit ni épargne, ni pension, ni projet immobilier. Elle permet juste de tenir, tant bien que mal.
Pendant que leurs parents tiraient profit de carrières stables, de contrats à durée indéterminée, de retraites plus généreuses, leurs enfants jonglent avec des emplois fragmentés et une inquiétude permanente : combien de temps cela va-t-il encore tenir ?
La promesse de “generation buy” restée lettre morte
En 2015, David Cameron promettait de transformer la « generation rent » en « generation buy ». Depuis, chaque Premier ministre ou presque a cherché à recycler ce slogan, comme si le simple fait de le répéter pouvait faire baisser les prix.
Pendant ce temps, les faits sont têtus : les prix de l’immobilier ont progressé beaucoup plus vite que les salaires depuis les années 1970. Le logement n’a jamais été aussi cher par rapport aux revenus depuis plus d’un siècle. Selon des analyses récentes, à peine un jeune Britannique sur cinq âgé de 18 à 34 ans vit réellement de façon autonome ; la majorité vit encore chez ses parents.
Et le chantier annoncé de 1,5 million de logements en Angleterre sur cinq ans patine. Les autorisations de construire sont au plus bas depuis la fin des années 1970, et à Londres, la construction se grippe.
Une décision a bien été prise pour réduire les obligations de logements abordables dans certains programmes, en passant de 35 % à 20 %, dans l’idée de débloquer les projets. Mais ce levier risque surtout de fragiliser encore davantage ceux qui ont déjà le plus de mal à se loger.
L’ombre d’une retraite impossible
Pour les jeunes qui peinent déjà à payer un studio ou une chambre, penser à la retraite relève parfois de la science-fiction. Et pourtant, les projections sont vertigineuses.
D’ici 2072, le Royaume-Uni pourrait compter près de 22 millions de retraités, soit presque le double d’aujourd’hui. Un rapport récent estime qu’en tenant compte de l’inflation, un jeune d’aujourd’hui devrait accumuler environ trois millions de livres sur son plan de retraite pour espérer partir avec un niveau de vie confortable.
Trois millions. Alors même que des milliers de jeunes consacrent l’essentiel de leurs revenus au loyer, au remboursement d’emprunts étudiants et aux dépenses de base. Pour ceux qui enchaînent les contrats courts, cette somme ressemble davantage à une statistique abstraite qu’à un objectif atteignable.
On ne parle plus seulement de difficulté à finir le mois. Pour certains, c’est la sensation d’être coincé dans une vie où tout – logement, famille, épargne – semble repoussé à plus tard, sans garantie de « plus tard ».
Une génération plus stratège que dépensière
Les clichés ont la vie dure : La Gen Z, décrite comme frivole, accro aux achats impulsifs et aux tendances virales, serait incapable de gérer son argent. Les données racontent autre chose.
Une enquête menée aux États-Unis auprès de 2 000 jeunes adultes montre qu’un tiers d’entre eux se considèrent comme de vrais planificateurs : ils établissent un budget, suivent leurs dépenses, réfléchissent à leurs choix. Un quart se décrit comme « chasseur de bonnes affaires », et comparent les prix avant d’acheter. En face, seule une petite minorité se reconnaît dans le profil du consommateur spontané qui achète sur un coup de tête.
Loin de l’image d’une génération insouciante, on voit plutôt un groupe qui se sait exposé, qui anticipe, qui calcule. Le glamour de la dépense ostentatoire perd du terrain ; la sécurité financière devient une forme de liberté.
La fac, le nez dans les livres… et l’angoisse du compte en banque
Sur les campus aussi, les chiffres parlent. Au Canada, par exemple, les étudiants racontent un quotidien rythmé par une obsession : tenir financièrement jusqu’à la fin du semestre.
Une étudiante en troisième année à Halifax explique qu’elle ne quitte presque jamais son campus. Non pas par manque d’envie, mais parce qu’elle n’a tout simplement pas les moyens de « faire quelque chose » en ville. Elle mange sur un rocher à l’ombre, une gamelle à la main, surveillant autant ses notes que ses dépenses.
Si son niveau baisse, elle risque de perdre sa bourse, qui finance une partie importante de ses frais de scolarité. Et sans cette aide, elle devra arrêter ses études.
Les chiffres de la scolarité sont, eux aussi, implacables. Les droits d’inscription ont explosé au fil des décennies. Dans certaines provinces, ils ont doublé, voire triplé, par rapport à ce qu’ils seraient si leur hausse avait suivi l’inflation.
Dans le même temps, les emplois pour les 15-24 ans restent difficiles à décrocher. Certains étudiants racontent avoir envoyé des dizaines, voire une centaine de candidatures pour obtenir une poignée d’entretiens et, au mieux, un poste de plongeur ou de serveur.
Même lorsque le salaire minimum augmente et que l’on calcule ce que pourrait rapporter un plein temps l’été et un temps partiel pendant l’année, l’équation ne tient pas. Une fois payés les frais d’inscription, il reste à trouver de quoi financer un logement dont les loyers ont atteint des niveaux records.
Coloc, lit partagé et dettes qui gonflent
Beaucoup n’ont qu’une option suite à l’augmentation des loyers : rester chez leurs parents. D’autres se serrent à plusieurs dans un logement. À Halifax, un étudiant partage par exemple une seule et même chambre avec deux autres personnes pour réduire sa part de loyer.
Même avec ce genre de compromis, il se dit inquiet pour tous ceux qui n’ont pas de soutien familial ni de temps pour travailler assez à côté des études.
Les chiffres de l’endettement étudiant montrent aussi que la facture s’alourdit. Le pourcentage d’étudiants qui obtiennent leur diplôme avec une dette reste stable, mais ceux qui doivent plus de 25 000 dollars à la fin du cursus sont de plus en plus nombreux. Dans certaines provinces, leur dette moyenne frôle ou dépasse les 40 000 dollars.
On comprend alors que les choix de vie se modifient : certains allongent leurs études sur cinq ou six ans au lieu de quatre, d’autres réduisent leur nombre de cours pour pouvoir travailler davantage.
Les experts se divisent sur le diagnostic, pas sur la difficulté
Des chercheurs se penchent sur ces trajectoires. Pour certains, il n’y a plus débat : il est plus dur d’être un jeune adulte aujourd’hui qu’il y a quelques décennies. Entre loyers, frais d’inscription, salaires qui peinent à suivre et précarité professionnelle, la marche semble nettement plus haute.
Ils rappellent aussi que les étudiants d’aujourd’hui bénéficient de dispositifs dont leurs parents ne profitaient pas : crédits d’impôt, prêts publics à taux avantageux, bourses, programmes d’épargne étudiés pour les études. Selon eux, chaque augmentation des frais d’inscription s’accompagne, au moins partiellement, de nouveaux mécanismes de soutien.
Certaines décisions restent possibles : choisir une université plus proche de chez soi, rester en famille plus longtemps, accepter de sacrifier un peu d’indépendance pour préserver un minimum de stabilité financière.
Mais même ceux qui défendent ce point de vue reconnaissent que cette « dépendance prolongée » modifie la façon de devenir adulte. Là où, il y a cinquante ans, un étudiant quittait le domicile familial plus tôt, souvent pour de bon, aujourd’hui beaucoup avancent avec une corde de rappel : les parents, indispensables pour absorber les chocs.
Une génération sous pression, mais pas résignée
Ce que ces récits et ces chiffres racontent, c’est celle d’une génération qui apprend à manœuvrer dans un environnement plus hostile :
– Elle refuse autant que possible les achats impulsifs,
– elle planifie,
– elle cherche des compromis entre études, travail et santé mentale,
– elle invente des formes d’entraide, de colocation, de débrouille collective.
Les experts qui militent pour une meilleure « justice entre les générations » insistent : le problème ne vient pas des jeunes, mais des choix budgétaires cumulés au fil du temps. Les politiques publiques demandent davantage de sacrifices aux plus jeunes qu’aux générations plus âgées, alors que dans les familles, ce sont souvent les parents et les grands-parents qui se privent pour aider leurs enfants.
Le décalage entre ce qui se passe autour de la table du dîner et ce qui se décide dans les parlements n’a jamais été aussi visible.
Alors, qui a eu la vie la plus difficile ?
Une tentative de comparaison a été faite en prenant un étudiant type en 1965, 1980, 1995, 2010 et 2025, avec un revenu de job étudiant (18 heures par semaine pendant l’année, 40 heures l’été), un loyer moyen pour un appartement une pièce, et les frais de scolarité.
Dans aucun de ces cas, le revenu ne suffisait à couvrir toutes les dépenses, même en laissant de côté la nourriture ou le chauffage. Il y avait toujours un trou à combler.
Mais la part couverte par le salaire varie : autour de 86 % en 1980, 82 % en 2010, 67 % en 1995, 64 % en 2025, et seulement 58 % en 1965. L’histoire n’est donc pas linéaire.
On pourrait en conclure qu’à chaque époque, être étudiant a toujours été une épreuve. Mais ce qui frappe aujourd’hui, c’est l’absence de perspective claire : une fois le diplôme en poche, rien ne garantit l’accès à un emploi stable, ni à un logement abordable, ni à une retraite qui ressemble à autre chose qu’un vœu pieux.
Alors oui, il est sans doute plus difficile, aujourd’hui, de cocher les cases traditionnelles de la vie adulte. Mais le portrait serait incomplet si on oubliait la force de cette génération qui, malgré tout, s’organise, s’informe, apprend à dire non à certaines dépenses et à remettre en question un modèle que ses parents considéraient comme acquis.


