Le 29 février 2025, C8 a cessé définitivement d’émettre sur la télévision numérique terrestre (TNT) française. Cette décision, actée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et confirmée par le Conseil d’État, marque la fin d’une chaîne qui aura suscité des polémiques constantes et cristallisé les tensions autour du paysage audiovisuel français.
Loin d’être un simple retrait administratif, la fermeture de C8 soulève des questions fondamentales sur la liberté d’expression, la régulation des médias et les jeux d’influence dans l’audiovisuel.
La chaîne C8 sous le feu des critiques
C8, filiale du groupe Canal+ détenu par Vincent Bolloré, était décrite par certains comme le “Fox News français” en raison de son ton provocateur et de son positionnement perçu comme conservateur. Principalement incarnée par l’animateur Cyril Hanouna et son émission phare “Touche pas à mon poste” (TPMP), la chaîne s’est régulièrement retrouvée sous le feu des projecteurs pour ses dérapages médiatiques, ses attaques contre des personnalités publiques et ses amendes records infligées par l’Arcom.
Depuis 2017, C8 a accumulé des sanctions financières dépassant 7,5 millions d’euros, notamment pour manquements à l’honnêteté de l’information, non-respect de la dignité humaine et absence de contrôle éditorial. L’un des incidents les plus notoires reste l’agression verbale en direct du député Louis Boyard par Cyril Hanouna en 2022, qui a conduit à une amende de 3 millions d’euros, un record dans l’histoire de la régulation audiovisuelle française.
La décision de l’Arcom : un processus de longue haleine
L’exclusion de C8 du renouvellement des fréquences TNT ne fut pas une décision soudaine. Depuis plusieurs années, l’Arcom pointait du doigt les manquements de la chaîne en matière de respect du pluralisme, d’éthique journalistique et de protection des téléspectateurs. Malgré des avertissements répétés et des sanctions croissantes, la chaîne a continué sur sa ligne éditoriale contestataire, s’attirant ainsi l’hostilité d’une partie du monde politique et médiatique.
En juillet 2024, lors du renouvellement des fréquences TNT, l’Arcom a exclu C8 ainsi que NRJ12 de la liste des candidats sélectionnés. Cette décision a été confirmée le 12 décembre par le Conseil d’État, qui a jugé que les violations répétées de C8 justifiaient pleinement le non-renouvellement de son autorisation de diffusion.
Marine Le Pen et d’autres figures de la droite et de l’extrême droite ont dénoncé une atteinte à la liberté d’expression et une décision “politique” visant à museler un média d’opinion. De son côté, le groupe Canal+ a fustigé une “incompréhensible censure” et évoqué la mise en péril de 400 emplois.
De nombreuses associations de journalistes et d’observateurs des médias ont pourtant estimé que C8 avait franchi trop de lignes rouges et qu’une chaîne bénéficiant d’une fréquence publique devait respecter un cadre déontologique strict.
Un témoin qui a souhaité rester anonyme précise : “C8, c’est la chaîne représentée par Cyril Hanouna aux yeux de la plupart des gens. Il a causé de nombreux problèmes avec ses innombrables controverses et les multiples amendes qu’elles ont engendrées. Avant, il était drôle. Maintenant, il se prend au trop sérieux et se prend pour une autorité morale et politique. Il n’y a plus d’engouement autour de cette chaîne à cause de ce personnage, mais ce n’est pas pour autant que la décision de l’Arcom est juste.“
Et la suite pour C8?
L’arrêt de C8 n’est pas facile pour le groupe Canal+. Suite à la perte d’une vitrine puissante sur la TNT, la maison mère a également annoncé la fin de ses chaînes payantes sur la télévision hertzienne en France d’ici juin 2025, ce qui montre un environnement réglementaire et fiscal de plus en plus contraignant. Cette décision s’ajoute à l’arrêt du contrat de sous-licence avec Disney+, privant les abonnés Canal+ d’un accès direct à la plateforme.
Canal+ cherche à renforcer sa présence à l’international, notamment en Afrique et en Asie, comme prouvé par l’acquisition de MultiChoice Group en Afrique. Il est tout de même prévu que la perte de C8 et les incertitudes réglementaires en France pèseront lourdement sur son chiffre d’affaires en 2025.
Dès le 1er mars 2025, les fréquences occupées par C8 et NRJ12 ont été attribuées à deux nouvelles chaînes : T18, un projet porté par le groupe CMI France du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, et OFTV, soutenue par le groupe Ouest-France. Ces nouveaux acteurs devront s’imposer dans un marché ultra-concurrentiel, où la consommation des médias se déplace de plus en plus vers le numérique et les plateformes de streaming.
Le Conseil d’État a laissé une porte entrouverte en suggérant que l’Arcom puisse rouvrir un appel à candidatures pour d’autres fréquences en juin 2025. Cette perspective pourrait offrir une possibilité de retour pour C8, mais elle demeure incertaine et soumise à des conditions strictes.