Le 10 septembre, dans un village de Norges-La-Ville, la statue de l’Abbé Pierre a été déboulonnée sans aucun débat, près d’une importante communauté Emmaüs.
Les annonces des abus sexuels réalisés par le clergé, autrefois très estimé, ne sont qu’un ajout à la longue liste des scandales qui embarrassent l’Église catholique. Mais ces abus sont-ils seulement une caractéristique de cette communauté ou bien également un point commun à de multiples cadres religieux ?
Le mariage des religieux n’empêche pas nécessairement les violences sexuelles dans les milieux religieux, quels qu’ils soient.
Dans l’Église orthodoxe, dans les lieux de culte musulmans ou encore dans le secret de la communauté juive ultra-orthodoxe, ces violences prennent la forme de pédocriminalité mais aussi massivement de violences sexistes.
L’Église orthodoxe, négligente face aux violences sexistes et sexuelles.
L’Église catholique semble être celle qui est majoritairement concernée par les cas de violences sexuelles dans les milieux religieux. Ces cas ne sont pas l’exclusivité de l’Église catholique, notamment en matière de pédocriminalité.
Le 10 juillet dernier, une commission d’enquête revenait sur l’agression des trois frères affirmant avoir été violés dans un monastère de Béziers à la fin des années 1970. La métropole orthodoxe grecque de France a créé la commission chargée de ce dossier, précisément dans un objectif de réparation.
Les auteurs présumés des violences sont décédés. Lorsqu’il s’agit de viols contre les femmes, faits qui ne sont pas étrangers aux scandales internes de l’Église orthodoxe, le problème de la culpabilisation de la victime se pose souvent.
Le 2 septembre 2022, l’évêque orthodoxe Chrystostomos de Dodoni déclare qu’ “une femme n’est pas violée à moins qu’elle le veuille“, sur une chaîne TV, au cours d’un débat sur l’avortement. Il affirme que la “participation” de la femme est nécessaire pour qu’une grossesse résulte d’un viol, dont il nie le caractère non-consentant. Au contraire, il qualifie l’avortement de “crime“. Niki Kerameus, ministre grecque de l’Éducation et des Affaires religieuses, condamnent ces propos qui «choquent brutalement la société et ne sont pas conformes à la position de l’Église, qui soutient les femmes victimes d’abus et de viols“.
L’Église orthodoxe reste majoritairement masculine et conservatrice, portée davantage sur les questions traditionnelles que sur le progrès, notamment en ce qui concerne la considération des femmes, des violences sexistes et sexuelles ou encore des féminicides.
Le mouvement #MosqueMeToo rappelle que les violences sexuelles existent aussi chez les musulmans.
En Islam, le mariage des religieux augmente leur piété, ce qui donne un angle de vue totalement différent de la place de la sexualité dans les milieux musulmans. Les relations sexuelles doivent obligatoirement avoir lieu dans le mariage, c’est une prescription commune aux trois religions monothéistes. La sexualité est même incluse dans le paysage paradisiaque musulman.
Du point de vue de la théologie musulmane, il y a une réelle prévention contre les instincts sexuels et contre la sexualité dite illégitime, notamment au travers de l’instauration de la non-mixité. Cette non-mixité, dans des pays non-musulmans, est a minima appliqué dans les lieux de culte musulmans, c’est-à-dire les mosquées ou à l’occasion de pèlerinages comme celui de La Mecque.
La chercheuse et doctorante à Science Po Aix Fatima Khemilat dénoncent les abus sexuels dans les lieux de culte musulmans, malgré les mesures de non-mixité. Elle affirme qu’ils ne sont pas une spécificité musulmane, mais qu’ils arrivent parce qu’il s’agit de groupes sociaux et humains, où le sexisme et l’abus de pouvoir ont toujours une place.
#MosqueMeToo est un hashtag très controversé dénonçant les violences sexuelles dans les lieux de culte musulmans. Les femmes témoignent, notamment de harcèlement et d’attouchements dont elles ont été victimes pendant le hajj, le pèlerinage à La Mecque. Cet hashtag suit la lignée des hashtags viraux #BalanceTonPorc ou #MeToo . À chaque pèlerinage en Arabie Saoudite, il y a près de 50% de femmes.
Et chaque année, ce pèlerinage obligatoire dans la vie d’un musulman rassemble près de deux millions de personnes.
Aisha Sarwari, une éditorialiste féministe pakistanaise, confirme que « les musulmanes, comme toutes les autres femmes, subissent des harcèlements, mais quand cela a lieu dans un cadre religieux, on leur demande de se taire au nom d’une cause plus grande. C’est à la fois injuste et oppressif“. À l’origine lancé par le témoignage de Mona Eltahawy, journaliste américano-égyptienne, ce mouvement pointe également du doigt la raison pour laquelle les lieux de culte religieux sont l’idéal des prédateurs. Les lieux de culte et ses représentants incarnent une autorité qu’on ne veut ni embarrasser ni confronter.
Libérer la parole dans ces lieux peut même être considéré comme de la médisance et de l’incitation à la xénophobie, et dans le cas musulman, à l’islamophobie. Pincements de fesses, pressions sur les seins, frottements, ces femmes pèlerines dénoncent progressivement des témoignages très similaires. La confiance des agresseurs se base sur la sainteté du lieu, invalidant supposément le caractère scandaleux de leurs témoignages et participant au secret.
La créatrice malgré elle du mouvement a fait un bilan du type de réponses qu’elle a reçu :
“Je recense toutes les réponses. 1. Tu es trop moche pour être agressée. 2. Tu es payée pour dire ça. 3. Tu cherches juste à être célèbre. 4. Tu veux juste de l’attention. 5. Tu veux détruire l’islam. 6. Tu veux juste salir l’image des musulmans. 7. Tu es une pute. Etc etc etc.“
Les abus sexuels, sexistes ou pédocriminels, interviennent dans tous les milieux religieux, comme le confirme le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Haffiz, en 2021. Il soutient que c’est un combat de tous les cultes contre ces crimes.
“Pour autant, le culte musulman, qui est le fait d’êtres humains comme les autres, n’est pas à l’abri. Il ne saurait rester en retrait de la lutte contre les violences commises sur les enfants, non seulement par sens de la réalité mais aussi par devoir religieux : le prophète Mohammed disait de l’enfant qu’il est le fruit du cœur de l’Homme.“, affirme-t-il par exemple au sujet de la pédocriminalité des chefs religieux.
La communauté juive ultra-orthodoxe et ses violences cachées.
Les violences sexuelles sont moins médiatisées dans les milieux non-catholiques. Depuis quelques années, c’est la communauté juive orthodoxe qui attire l’attention.
De façon générale, le mariage des rabbins est autorisé et encouragé. L’engagement au célibat des fidèles est très rare et ne correspond qu’à des exceptions qui sont peu nombreuses. La solitude est une épreuve dans le Judaïsme, confirmée par la volonté divine dès la Genèse 2:18 de faire à Adam une compagnie, affirmant qu’il n’est pas bon qu’il reste seul.
La communauté juive orthodoxe française, branche très exigeante du judaïsme, a fait l’objet d’une enquête maintenant célèbre de Lila Berdugo et de Salomé Parent-Radchi. Elles mettent en lumière les violences sexuelles commises par certains chefs religieux dans le podcast “Tu ne te tairas point“. Le podcast sorti en 2023 met en scène six épisodes.
Ce témoignage raconte l’histoire de Déborah par exemple qui, après avoir passé beaucoup de temps avec un rabbin de sa communauté, s’est rendue compte qu’elle avait des sentiments pour lui. Ces sentiments étant partagés, elle décida de garder une relation platonique et de prendre ses distances, ce que le chef religieux n’a pas accepté avant de commencer un harcèlement et des violences sexuelles contre la jeune femme.
L’enquête des deux journalistes révèle que la hiérarchie du rabbin avait connaissance des faits. Un ensemble de témoignages apparaît dans le podcast, mettant en cause des dizaines de chefs religieux usant d’emprise et de manipulation sur leurs victimes. “Rabbin” signifie “mon maître|” en hébreu, et ce seul titre hiérarchique est un frein à la libération de la parole des victimes dans la communauté. Il établit la supériorité de certains membres sur d’autres, supériorité qui les rend plus valides car les lier à des scandales participerait à Lachon Hara, la médisance au sein de la communauté juive.
S’il limite la criminalité sexuelle, et en particulier la pédocriminalité, le mariage des religieux n’empêche pas l’abus d’autorité et de pouvoir des chefs religieux de toutes les confessions sur leurs fidèles.
Le tabou de la sexualité, du moins de la fornication, est un point commun aux religions monothéistes. Ce même tabou augmente le caractère scandaleux des faits de violences dans la mesure où ceux-là même qui entretiennent la chasteté religieuse des fidèles jusqu’au mariage par leurs prêches, sont ceux qui la transgressent de façon criminelle.