Des personnes impliquées dans le domaine des cryptomonnaies ont été prises pour cibles dans des attaques violentes. C’est parti de la menace physique pour aller jusqu’à l’enlèvement, parfois avec torture à la clé, dans le but d’obtenir l’accès à leurs portefeuilles numériques.
Contrairement aux escroqueries classiques ou aux piratages en ligne, ces attaques se déroulent dans le monde réel.
Elles visent des individus bien identifiés, en lien avec des entreprises connues du secteur, et parfois même leurs proches.
Le rapt de David Balland : un acte de violence prémédité
Le 21 janvier 2025, David Balland, entrepreneur français de 36 ans, cofondateur de Ledger — entreprise reconnue pour la fabrication de portefeuilles physiques sécurisés permettant de stocker des cryptomonnaies — a été enlevé à son domicile de Méreau, près de Bourges. L’attaque ne visait pas un inconnu : Balland est une figure du milieu, connu pour gérer des actifs numériques pesant plusieurs milliards d’euros.
Ce jour-là, des individus armés ont pénétré dans sa maison et capturé non seulement Balland, mais aussi sa compagne. Les deux victimes ont été séparées. Lui a été transporté dans une autre ville, tandis que sa femme a été maintenue ailleurs, ligotée.
Pendant sa captivité, Balland a été physiquement malmené. Les ravisseurs ont utilisé la violence pour lui soutirer les codes d’accès à ses fonds. Dans une démarche particulièrement barbare, ils lui ont sectionné un doigt. Cette mutilation n’était pas seulement destinée à le faire céder : elle servait aussi de preuve pour appuyer leur demande de rançon. Une vidéo de l’acte a été envoyée à Eric Larchevêque, associé de Balland et également cofondateur de Ledger, accompagnée d’une exigence : 10 millions d’euros à verser en cryptomonnaie.
Larchevêque a immédiatement contacté la police, déclenchant une opération menée par plusieurs unités spécialisées. Moins de 48 heures plus tard, Balland a été localisé dans une maison à Châteauroux. Une intervention rapide a permis de le sauver. Il a été hospitalisé sans délai.
Le lendemain, sa compagne a été retrouvée enfermée dans le coffre d’une voiture abandonnée en Essonne. Bien qu’elle ait été retenue contre sa volonté, elle n’avait pas été gravement blessée.
Au total, neuf personnes ont été arrêtées, dont un homme de 26 ans soupçonné d’avoir organisé toute l’opération. Il s’agit d’un individu déjà connu de la justice pour des faits similaires. La question se pose donc de savoir pourquoi une personne ayant un tel passé criminel était encore en liberté. Le système judiciaire français, souvent critiqué pour sa clémence, n’apporte pas toujours de réponse claire.
Les inculpations retenues sont lourdes : enlèvement, actes de torture, extorsion avec armes, participation à une organisation criminelle. Ces poursuites pourraient mener à de longues peines de prison.
Un père enlevé à Paris : pression sur le fils millionnaire
Quelques mois plus tard, un autre enlèvement s’est produit, cette fois au cœur de la capitale. Le 1er mai 2025, un homme d’une cinquantaine d’années a été enlevé en pleine rue, dans le 14ᵉ arrondissement de Paris, alors qu’il promenait son chien. Quatre hommes encagoulés l’ont forcé à monter dans une camionnette de livraison en pleine journée.
La victime n’était pas connue du grand public, mais son fils, vivant à Malte, avait gagné beaucoup d’argent grâce à une entreprise spécialisée dans le marketing d’actifs numériques. Les ravisseurs réclamaient entre cinq et sept millions d’euros, toujours en cryptomonnaies, en échange de la libération du père.
L’homme a été transporté et séquestré à Palaiseau, une commune de la banlieue sud de Paris. Durant sa détention, les criminels ont, là encore, coupé un doigt, montrant qu’ils n’hésitaient pas à employer des méthodes particulièrement violentes pour faire pression. La famille avait déjà reçu des menaces, ce qui suggère une surveillance en amont.
Grâce à la géolocalisation des téléphones portables et à la vidéosurveillance de la commune, la police a pu intervenir. Le 3 mai, un raid a permis de retrouver le père encore vivant. Il a été pris en charge par les secours. Aucun paiement n’avait été effectué à ce moment-là.
Cinq suspects ont été arrêtés, et des chefs d’inculpation similaires au précédent cas ont été retenus.
Nouvelle tentative à Paris : la fille d’un patron de start-up crypto visée
Le 13 mai, une nouvelle attaque a été tentée. Cette fois-ci, les assaillants ont visé les proches de Pierre Noizat, cofondateur de Paymium, l’une des plus anciennes plateformes d’échange de bitcoin en France. Vers 8 h 20 du matin, dans le 11ᵉ arrondissement de Paris, sa fille, accompagnée de son mari et de leur enfant de deux ans, a été approchée par une camionnette blanche.
Trois hommes masqués sont descendus du véhicule et ont tenté d’embarquer la jeune femme et son fils de force. L’un d’eux tenait une arme qui s’est révélée être un pistolet à billes. Des passants ont alerté les secours tandis qu’un commerçant du quartier, Nabil, est intervenu avec un extincteur pour faire fuir les assaillants. Grâce à ce geste courageux, personne n’a été kidnappé.
Le fourgon utilisé pour la tentative a été retrouvé peu après. L’enquête est en cours pour identifier les trois hommes impliqués. Cette attaque est emblématique d’un changement de stratégie des groupes criminels : au lieu de viser directement les chefs d’entreprise, ils s’en prennent désormais à leurs enfants ou conjoints, pensant que ces cibles seraient moins protégées et donc plus faciles à exploiter.
Pourquoi la France devient-elle une cible privilégiée ?
En 2024, sur les 22 affaires recensées dans le monde impliquant des enlèvements en lien avec les cryptomonnaies, six ont eu lieu en France — soit davantage que dans tout autre pays.
Les agresseurs utilisent souvent les mêmes méthodes : enlèvement brutal, détention dans des logements ordinaires, mutilation d’un doigt pour envoyer une preuve de vie et une menace. Ces actes laissent penser qu’un ou plusieurs groupes criminels organisés opèrent sur le territoire français avec un mode opératoire désormais bien rodé.
La France abrite un écosystème important de start-ups spécialisées dans les actifs numériques. Les fondateurs sont souvent actifs sur les réseaux sociaux, participent à des conférences publiques, donnent des interviews — autant d’éléments qui les rendent identifiables.
Ensuite, les failles de cybersécurité dans certains secteurs de la blockchain ont parfois exposé des informations personnelles, facilitant l’identification de cibles potentielles. Enfin, la situation sécuritaire générale, avec une augmentation des faits de violence urbaine et des défaillances judiciaires répétées, crée un contexte favorable à l’émergence de ce type de criminalité.
Après la tentative d’enlèvement du 13 mai, les images de la scène, filmées par un passant, ont circulé massivement sur les réseaux sociaux. On y voit des passants hurler, un homme crier « au secours », une lutte confuse sur un trottoir parisien, et enfin les assaillants fuir dans leur véhicule.
La scène a profondément choqué l’opinion publique. Plusieurs personnalités du secteur ont dénoncé un climat de peur permanent. Eric Larchevêque, déjà touché par l’affaire Balland, a écrit sur X (anciennement Twitter) un long message dans lequel il fustige le manque de protection et dénonce ce qu’il appelle la “mexicanisation” de la France, faisant allusion à une violence mafieuse s’installant dans les grandes villes.
Il déplore qu’au lieu de mettre en place des mesures efficaces, certains insinuent que les victimes sont responsables de ce qui leur arrive en raison de leur visibilité.
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a annoncé qu’il rencontrerait prochainement les professionnels du secteur pour discuter de leur sécurité et tenter d’apporter des solutions concrètes.