Selon plusieurs études européennes, la présence d’insectes diminue depuis des années. Une problématique qui impacte les écosystèmes et notre alimentation. L’ingénieur agronome Amélie Bajolet réagi à ce constat et notamment à « l’effet pare-brise ». Explications.
Interview avec Amélie Bajolet – Peut-on prévenir la disparition des insectes?
“Je suis ingénieure agronome de formation, spécialisée sur les questions des produits phytosanitaires comme les pesticides. J’ai travaillé sur la partie réglementaire, soit l’homologation des pesticides, à l’Agence nationale de sécurité sanitaire. Pour pouvoir les commercialiser, il y a des autorisations de mise sur le marché.
Dans ce cadre-là, j’ai pu voir comment le risque sur les pollinisateurs était pris en compte. Ensuite, j’ai travaillé dans l’industrie du biocontrôle. Les biocontrôles sont des produits qui sont des alternatives aux produits chimiques conventionnels. Ils sont plutôt faits à partir de produits naturels, de microorganismes, de bactéries ou encore de champignons. Ils visent à remplacer les produits chimiques et ainsi à diminuer l’impact négatif des traitements sur l’environnement et la santé humaine.
Depuis 8 ans, je travaille du côté des agriculteurs, sur les changements de pratiques qui amènent à la diminution des pesticides. Et ce, à partir de la structure Bee Friendly, que je préside. Il s’agit d’une structure d’accompagnement, de formation des agriculteurs autour de la préservation de la biodiversité, et en particulier des insectes pollinisateurs dont les abeilles font partie.“
Au Royaume-Uni, l’étude participative de Kent Wildlife Trust and Buglife a permis d’estimer une diminution alarmante de 37,6 % des impacts d’insectes entre 2022 et 2023. Il s’agit-là de « l’effet pare-prise ». Amélie Bajolet peut-elle nous parler de ce phénomène ?
“Nous entendons parler de « l’effet pare-brise » depuis les années 2000. Au fur et à mesure des années, nous avons constaté que les pare-brises n’avaient plus à être nettoyés, car ils contenaient de moins en moins d’insectes. Ce phénomène est pertinent car il permet de sensibiliser le grand public. Beaucoup d’entre-nous ont en effet pu faire ce constat.
Les chiffres de cette étude sont alarmants. C’est un déclin à prendre en compte car les pollinisateurs sont importants pour notre alimentation et contribuent à la survie des plantes. Aussi, aujourd’hui, nous savons par exemple que de nombreux oiseaux disparaissent car ils se nourrissent d’insectes. Nous sommes donc sur la base d’une pyramide en train de s’effondrer.“
Une disparition des insectes qui fait froid dans le dos.
Plusieurs autres études européennes montrent que le nombre d’insectes ne fait que diminuer depuis une cinquantaine d’années. Amélie Bajolet peut-elle réagir à cette problématique ?
“Ces études sont importantes. Elles mesurent le déclin des pollinisateurs. Un déclin que les naturalistes soulignent depuis les années 70.
Les pesticides et l’agriculture intensive apportent la plus grande faiblesse à ces insectes. A cela se rajoute le réchauffement climatique, la présence de ravageurs, des maladies, de l’urbanisation, de la pollution lumineuse etc.
L’impact des pesticides est de plus en plus documenté mais il nous faudrait plus de données scientifiques. Elles nous permettraient, par exemple, de connaître la liste rouge des abeilles en voie de disparition, en France.
De manière générale, les insectes sont moins connus que d’autres compartiments de la biodiversité comme les mammifères par exemple. Il nous reste de nombreuses choses à apprendre sur eux.”
Est-il possible d’identifier les espèces d’insectes précises qui disparaissent ?
“Les insectes n’ont pas tous été référencés. Ainsi, bien que nous voyons des insectes disparaitre de nos pare-brise, ou en observant autour de nous, difficile de savoir lesquels ce sont.
Alors que, dans les faits, nous sommes capables de mesurer les espèces qui sont en train de disparaitre. Seulement, il faudrait mettre en place des protocoles scientifiques qui sont assez coûteux.
Aujourd’hui il n y a pas eu de volonté politique ou scientifique de mener des études à large spectre pour pouvoir à la fois, quantifier les populations qui se dégradent et qualifier les espèces en voie de disparition. Aussi, il faut reformer des chercheurs. Nous avons perdu de compétences entomologistes, qui participent à la connaissance de ces insectes.”
A l’échelle individuelle, peut-on participer à ce changement en faveur de la préservation des insectes ?
“Je pense qu’il est important d’observer les insectes. Pas seulement ceux qui nous piquent, comme les moustiques ! Certaines espèces sont incroyables.
Aussi, tout un chacun peut avoir une influence sur l’agriculture, en faisant des choix de consommation. Il faudrait choisir de consommer des produits biologiques, des produits qui font attention aux pollinisateurs ou encore des produits de l’agriculture paysanne… Concernant la viande, il faut par exemple privilégier les élevages de vaches qui sont élevées à l’herbe.
On peut aussi acheter du miel français et ainsi soutenir les apiculteurs qui ont un rôle à jouer dans le changement du modèle agricole. Ce sont autant de gestes essentiels.”
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