L’Afrique est confrontée à une crise du logement sans précédent qui menace de se transformer en catastrophe sociale et économique.
Le déficit actuel est estimé à plus de 52 millions d’unités, un chiffre qui augmente chaque année à mesure que la population du continent croît et que l’urbanisation s’accélère. Thierno Habib, directeur général de la banque de développement Shelter Afrique, a récemment qualifié cette situation de “bombe à retardement”, soulignant l’urgence d’investir dans des solutions de logement abordables pour éviter une crise humanitaire à grande échelle.
Pourquoi y a t-il une telle crise du logement sur le continent africain?
L’urbanisation en Afrique connaît un rythme effréné. Avec une population qui devrait dépasser les 2,5 milliards d’ici 2050, le nombre de personnes vivant dans les villes pourrait dépasser 50 % à la même échéance, ce qui met une pression énorme sur les infrastructures existantes. Des villes comme Nairobi, Lagos et Kinshasa voient leur population exploser, sans qu’une augmentation correspondante des unités de logement soit réalisée. Par exemple, Nairobi manque déjà de plus de 2 millions d’unités, et cette crise du logement est largement représentative des conditions dans d’autres grandes villes africaines.
Le coût élevé des nouveaux logements est un obstacle majeur pour une grande partie de la population. En Afrique subsaharienne, les unités résidentielles coûtent en moyenne entre 15 000 et 40 000 dollars, ce qui est inabordable pour la majorité des habitants dont le revenu moyen est bien inférieur à ces montants. Au Nigeria, où la demande est particulièrement élevée, environ 28 millions d’unités manquent, un chiffre qui représente presque un tiers du déficit continental.
En parallèle, l’accès à la propriété foncière est entravé par des systèmes d’enregistrement inefficaces et corrompus, compliquant l’obtention de titres fonciers et décourageant les promoteurs. Ces dysfonctionnements gonflent les coûts du terrain et ralentissent la construction de nouveaux logements, agissant comme un frein à la résorption de la crise du logement.
Les limites africaines pour contrer la crise du logement existent bel et bien.
Certains pays africains tentent de répondre à cette crise par des réformes politiques et fiscales. Par exemple, le Kenya a introduit une taxe d’habitation de 1,5 % sur les salaires afin de financer la construction de 200 000 logements par an. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie à long terme visant à réduire la pénurie de logements, mais elle rencontre des résistances, notamment en raison du scepticisme généralisé quant à l’efficacité des précédents efforts de ce type. Beaucoup craignent que ces programmes ne finissent par échouer, à l’image de ceux de certains prédécesseurs de l’actuel président William Ruto.
D’autres nations, telles que l’Afrique du Sud, sont aux prises avec un héritage historique de ségrégation spatiale, héritée de l’apartheid, qui exacerbe les inégalités dans l’accès au logement. Des quartiers comme Blikkiesdorp, au Cap, abritent des milliers de personnes dans des conditions précaires depuis plus d’une décennie. Cette situation est emblématique des difficultés structurelles rencontrées par de nombreuses villes africaines dans leur tentative de répondre à la crise du logement.
Pour combler ce déficit, une collaboration entre les gouvernements, le secteur privé et les investisseurs internationaux est essentielle. Des organisations comme Shelter Afrique militent pour une augmentation des investissements dans le secteur du logement abordable. L’objectif est de développer des partenariats public-privé qui permettent de créer des unités à faible coût tout en garantissant leur accessibilité aux populations vulnérables.
Au-delà des défis liés à l’accès au logement, la crise constitue également une opportunité pour les investisseurs. Les forums comme le Global Africa Forum ou encore les dialogues organisés par l’Africa Prosperity Network mettent l’accent sur la nécessité de mobiliser des fonds pour des projets de logements à grande échelle. Ces plateformes cherchent à connecter l’Afrique avec sa diaspora pour stimuler les investissements dans des secteurs clés comme l’énergie, l’éducation, le logement et les infrastructures numériques.
La crise du logement ne se limite pas à un problème d’infrastructure ; elle a des répercussions profondes sur le développement socio-économique. Le logement constitue une base essentielle pour l’accès à l’éducation, à l’emploi, et à des conditions de vie décentes. Dans des pays comme l’Afrique du Sud, où les inégalités héritées de l’apartheid perdurent, l’absence de logements abordables aggrave la ségrégation économique et sociale, limitant les opportunités d’ascension sociale pour des millions de personnes.
Les habitants des bidonvilles, comme ceux de Kibera à Nairobi ou de Blikkiesdorp au Cap, sont confrontés à des conditions de vie insalubres, avec peu ou pas d’accès aux services de base tels que l’eau potable, l’électricité ou les soins de santé. En outre, ils sont souvent éloignés des centres d’emploi, ce qui renforce le cycle de la pauvreté. Ursula Felkers, une résidente de Blikkiesdorp, a illustré cette réalité en décrivant son quotidien marqué par l’isolement géographique et l’absence d’opportunités économiques.
La résolution de la crise du logement en Afrique nécessite une approche multi-sectorielle et coordonnée. Des réformes foncières sont nécessaires pour simplifier l’enregistrement des terres et encourager les promoteurs à investir. Il est crucial de développer des solutions financières innovantes qui permettent aux classes moyennes et basses d’accéder à la propriété.
L’Afrique a également besoin d’infrastructures de transport modernes pour mieux connecter les zones périphériques aux centres économiques. Des projets massifs de construction de logements sociaux doivent être priorisés, accompagnés de programmes de subventions et de microfinancements pour permettre aux populations les plus vulnérables de devenir propriétaires ou de louer à des prix raisonnables.