Quand Le Parisien Matin a interrogé des passants américains et britanniques dans Paris en leur demandant “Que vous évoque la France?”, l’une des réponses phares était “La mode”.
Bien sûr, la France jouit d’une renommée mondiale grâce à des marques telles que Louis Vuitton, Chanel, Hermès, Dior, Louboutin, Repetto, The Kooples, Sandro, etc. Malheureusement, nous ne sommes plus vraiment sur un pied d’égalité commercial face à des marques plus abordables.
Nous payons le prix fort: Un déclin de la mode, une baisse de la créativité, de l’innovation et pire encore, la fuite de nos talents.
La mode française perd en attractivité à cause des prix et des envies des consommateurs.
Il serait exagéré de dire que la mode française ne fait plus du tout envie, mais depuis quelques années, elle perd de son attrait face à la concurrence internationale et aux évolutions des comportements d’achat.
En France, des géants internationaux comme Zara, H&M, et Shein dominent le marché. De la Fast-fashion, plus abordable en somme. Les marques françaises qu’on adorait, comme Naf Naf, Kookaï et San Marina ont rencontré des difficultés, certaines allant jusqu’à la faillite, notamment à cause de l’inflation, des coûts de production élevés, et de l’impact persistant de la pandémie.
Explication? Une robe chez Sézane, marque française reconnue pour sa qualité coûte en moyenne entre 120 et 180 euros, tandis qu’une robe équivalente chez Zara ou H&M est proposée autour de 30 à 50 euros. Chez Shein, une marque ultra-fast fashion, des robes similaires peuvent être trouvées pour moins de 20 euros.
Pour le consammateur français moyen, qui pourrait s’attendre à dépenser environ 1 500 € à 2 500 € par mois selon son mode de vie et sa ville de résidence (1 000 € à 1 200 € par mois pour une personne seule, hors Paris, qui fait attention à ses dépenses) pour un salaire moyen d’environ 2 100 euros nets par mois, le choix est très vite fait.
D’autant plus que les consommateurs achètent aujourd’hui environ 40 % de vêtements en plus qu’il y a 15 ans, tout en les conservant deux fois moins longtemps. Cette surconsommation est notamment due à la disponibilité accrue de vêtements à bas prix, encouragée par des campagnes marketing intensives et des plateformes de vente en ligne qui favorisent les achats impulsifs grâce à des remises constantes et des publicités ciblées.
La pop culture et les médias amplifient un comportement collectif qui valorise la possession excessive de vêtements, influençant les individus à acheter non par besoin, mais pour répondre à des attentes sociales et culturelles. Il suffit d’ouvrir une application comme Instagram ou TikTok pour voir un grand nombre d’influenceurs montrer une garde-robe qui, bien que très jolie, ne répond pas au besoin d’avoir des vêtements pratiques.
Léa Elui est l’influenceuse mode la plus suivie de France. Comme vous le verrez dans les images ci-dessous, elle porte des vêtements en polyester issus d’usines chinoises mais surtout, les vêtements qu’elle promeut ne sont pas adaptés à la vie quotidienne. Si l’on se demande “Où est-ce que je pourrait porter cette tenue, tout en respectant les règles de bienséance sociale?”, la réponse est très simplement “A la maison.”. Ces tenues ne sont pas pratiques pour travailler et ne respectent pas les règles intérieures de nombreuses écoles et lieux publics.
Une étude du Global Fashion Agenda a révélé que 92 millions de tonnes de déchets textiles sont générés chaque année, reflétant une accumulation excessive de vêtements dans nos garde-robes. Ce qui contribue à notre consommation excessive de vêtements chinois, nous pourrions le théoriser ainsi:
Tout d’abord, les consommateurs admirent des influenceuses comme Léa Elui ou des personnages de sitcom ou de séries, qui changent tout le temps de tenue. Ils sont ensuite happés par le prix bas et les livraisons rapides de sites chinois, qui sont beaucoup plus attractifs en termes de prix que les boutiques françaises. Enfin, ils se rendent compte que les vêtements qu’ils ont achetés ne répondent pas à leurs besoins pratiques ou bien à leur style personnel, ou que leur qualité est moindre. Ils jettent les vêtements chinois et le cycle recommence.
La mode française se tire une balle dans le pied.
Il ne serait pas juste de ne faire la morale qu’aux consommateurs. Les marques de mode françaises sont aussi coupables des mauvaises décisions qu’elles prennent.
En 2019, Le Figaro a rapporté que les marques de luxe et de mode moyenne gamme ont du mal à justifier la différence de prix par rapport aux marques concurrentes, ce qui a entraîné une baisse de 7% des ventes pour certaines d’entre elles dans le secteur de la mode française.
Les baskets Veja, par exemple, coûtent entre 130 et 150 €. Ces prix reflètent l’utilisation de matériaux durables comme le coton bio et le polyester recyclé, ainsi qu’une production dans des usines portugaises ou brésiliennes respectant des normes éthiques.
Sachant que 81% des français prennent surtout les prix en compte en effectuant leurs achats, ils n’ont aucune incentive à choisir des baskets Veja plutôt que Shein si le design est pareil, sachant que la production ne se fait même pas en France.
D’ailleurs, cette difficulté à justifier des prix plus élevés est en partie causée par la lenteur à capitaliser sur la consommation éthique. En 2020, 70% des consommateurs dans une étude de Fashion Revolution ont affirmé qu’ils seraient prêts à payer plus pour des produits fabriqués de manière éthique. Les marques françaises, cependant, ont pris du retard en matière de certifications écologiques et éthiques. Carven ou Chloé ont été très critiquées pour leur manque de transparence concernant les conditions de production et l’impact environnemental de leurs produits. À l’inverse, des marques comme Patagonia et Stella McCartney ont capté cette demande en pleine expansion et en ont fait un argument marketing fort.
Pour en revenir aux influenceurs, les marques de mode françaises ont aussi été lentes à renforcer leur présence digitale et élaborer de véritables stratégies de marketing via Internet. LVMH et Kering ont dû renforcer rapidement leur présence en ligne pour compenser la fermeture de leurs magasins physiques pendant la pandémie en 2020, mais de nombreuses marques françaises moyennes ont été prises au dépourvu. Résultat? Les usines chinoises avaient déjà commencé à recruter des influenceurs locaux comme Léa Elui, pour promouvoir leurs produits. Cela coûte moins cher d’employer des personnes “normales” plutôt que de recruter des stars pour être l’égerie de la marque et aide les consommateurs à s’identifier au produit.
La bêtise de s’imprégner de tendances mode étrangères
Dans de nombreux magazines, le savoir-faire et le flair français ont été perdus au profit de la mise en valeur de célébrités américaines, de mots qui font le buzz et de la sélection des produits de manière aléatoire.
Le magazine Voici a récemment publié un article vantant les bottes aux semelles épaisses en utilisant des anglicismes et essayant de faire croire aux consommateurs qu’un produit était devenu ringard et doit être remis au goût du jour de suite:
“Décidément, le jean droit à coupe large a tout gagné. Non seulement il est canon avec des ballerines, des baskets et des mocassins mais il assure également lorsqu’il est associé à des bottes pointues à petits talons ou à des bottines chunky. Ces dernières ont une esthétique plus massive, une semelle plus épaisse et font évidemment des pieds plus imposants. Comme elles s’opposent aux styles qui buzzent en ce moment, on pensait qu’elles disparaîtraient. Elizabeth Olsen et Dakota Johnson prouvent le contraire.“
Floriane Reynaud pour Voici
Les Dr. Martens ont quasiment été à la mode non-stop depuis presque 30 ans. Lancées en 1947 en tant que bottes de travail avec une semelle à ressorts, elles ont gagné en popularité dans les années 1960 et 1970 en tant que symbole de la culture punk. Les générations suivantes, notamment dans les années 1990, ont continué à les porter, associées à des mouvements alternatifs. Leur robustesse et leur style distinctif en ont fait un élément clé du vestiaire rebelle.
Le consommateur français ne peut pas s’identifier aux magazines de mode français parce qu’ils promeuvent des célébrités étrangères et parce qu’ils propagent des inepties sans nom. C’est pourquoi les marques françaises ont très peu de manières de se démarquer de la Fast-Fashion sans suivre dans ses pas.