Demain, les Allemands se rendront aux urnes pour choisir leur nouveau gouvernement, dans un contexte de crise économique persistante, de tensions sociales dues aux politiques d’immigration et des menaces terroristes depuis le terrible attentat au marché de Noël en 2024 et de poussée des mouvements populistes qui sont justifiés par ces mêmes problématiques.
L’élection du 23 février pourrait signaler un nouveau virage pour la politique allemande, un vers l’Alternative für Deutschland (AfD), un parti d’extrême droite autrefois vu comme un symbole de racisme, d’intolérance voire même d’un retour au nazisme des années 1940.
Avec des figures américaines qui se mêlent des affaires allemandes comme Elon Musk qui promeut ce parti, l’AfD n’a jamais été aussi près de remporter le pouvoir.
L’AfD ou l’histoire d’un parti marginal devenu populaire
Fondé en 2013, l’AfD était initialement un mouvement anti-euro, critique des politiques monétaires de l’Union européenne. Avec la crise migratoire de 2015 et l’afflux massif de réfugiés en Allemagne, le parti a progressivement adopté une ligne politique beaucoup plus dure sur l’immigration, la souveraineté nationale et l’identité allemande.
Son discours radical lui a permis de séduire une partie grandissante de l’électorat, en particulier dans les régions de l’ex-RDA, où il a enregistré des scores impressionnants lors des élections régionales de 2024. En Thuringe, en Saxe et en Brandebourg, l’AfD a atteint plus de 30 % des voix, surpassant ou talonnant les partis traditionnels. Aujourd’hui, les sondages le placent autour de 20 % au niveau national, ce qui en fait une force politique incontournable.
Fait marquant de cette campagne électorale, le parti a reçu un soutien implicite de certaines figures influentes de la politique et de l’économie américaine. Elon Musk a publiquement déclaré que “seul l’AfD peut sauver l’Allemagne“, et le vice-président américain J.D. Vance a tenu des propos favorables à son égard lors de la Conférence de Munich sur la sécurité.
Ces interventions sont perçues comme une tentative de l’administration Trump de peser sur les équilibres politiques en Europe. Washington et Berlin ont déjà connu des tensions sous la précédente présidence de Trump, et une victoire ou un résultat fort de l’AfD pourrait compliquer encore davantage les relations transatlantiques.
Alice Weidel, une figure controversée
A la tête du parti, Alice Weidel a, comme Marine Le Pen en France, offert un contraste avec l’image traditionnelle de l’extrême droite. Ancienne analyste financière, polyglotte et titulaire d’un doctorat en économie, elle vit en couple avec une femme d’origine sri-lankaise et est mère de deux enfants. Son profil tranche avec les stéréotypes du nationalisme radical et donne à l’AfD une image plus moderne et acceptable pour certains électeurs.
Cette stratégie de “diversité” ne masque pas les nombreuses polémiques entourant le parti. Plusieurs de ses dirigeants ont tenu des propos révisionnistes ou ouvertement racistes. Björn Höcke, l’un des cadres influents, par exemple, qualifie le Mémorial de l’Holocauste à Berlin de “monument de la honte“. Récemment, le parti a été exclu d’un groupe parlementaire européen pour ses positions jugées trop extrêmes.
L’AfD est-elle une alternative respectable ou est-elle simplement un obstacle à la démocratie?
L’Office fédéral pour la protection de la Constitution (BfV) surveille de près certaines branches de l’AfD, qu’il considère comme des groupes extrémistes. Cette situation inédite pour un parti représenté au Bundestag souligne l’inquiétude grandissante au sein des institutions allemandes.
Le système judiciaire et les services de renseignement ont multiplié les enquêtes sur des figures de l’AfD. Plusieurs cadres du parti font face à des accusations de financement illégal ou de liens avec des organisations d’extrême droite violentes. Ces controverses n’ont cependant pas freiné son ascension.
Un équilibre politique fragilisé par un soutien croissant
Si l’AfD n’a pour l’instant aucune chance de gouverner seule, sa montée en puissance oblige les partis traditionnels à durcir leur discours. Friedrich Merz, chef de la CDU/CSU et favori pour succéder à Olaf Scholz, a adopté un ton plus ferme sur l’immigration et la sécurité, sous la pression de l’électorat conservateur.
Merz se heurte à une difficulté majeure : la nécessité de former une coalition. Avec environ 30 % des intentions de vote, la CDU/CSU devra s’allier à d’autres formations, très probablement les Libéraux (FDP) et les Verts. Or, ces derniers refusent tout rapprochement avec l’AfD, ce qui limite les marges de manœuvre pour un virage à droite trop prononcé.
Un score élevé de l’AfD pourrait fragiliser l’Union européenne puisqu’il renforcerait les mouvements populistes dans d’autres pays, notamment en France, en Italie et en Hongrie.
Un gouvernement dirigé par la CDU/CSU mais sous pression de l’AfD reverrait la position allemande sur des sujets clés comme le soutien à l’Ukraine, qui est déjà compromis suite au retour à l’administration Trump, la politique énergétique ou encore la fiscalité européenne.
Alors que le vote approche, une chose est sûre : l’Allemagne n’a jamais été aussi polarisée depuis la réunification. L’issue du scrutin pourrait redéfinir durablement l’avenir politique du pays et de l’Europe tout entière.