Le changement climatique est une menace réelle pour l’Afrique, avec 668 millions de personnes qui feront face aux effets de l’humidité et de la sécheresse avant la fin du XXIème siècle avec comme conséquences l’insécurité alimentaire chronique, de graves problèmes de santé et des pertes financières qui se solderont par de la migration de masse.
Pour Mbaye Hadj, ingénieur en génie électrique, fondateur du cabinet EMC Africa (Energy & Maintenance Conseil), et auteur du livre “Changement climatique. La lourde menace sur l’Afrique“, il est temps de s’intéresser à des stratégies de survie et de promouvoir le développement durable.
Une alternative aux défis de développement durable en Afrique
Vous évoquez dans votre livre l’idée que le développement durable est une idéologie imposée par l’Occident, qui pourrait ne pas correspondre aux besoins spécifiques de l’Afrique subsaharienne. Quelle alternative crédible pourrait permettre à l’Afrique de se développer tout en prenant en compte les défis climatiques ?
J’observe un “suivisme aveugle” car depuis les indépendances, beaucoup de programmes ont été mis en place pour la sortir de sa pauvreté. Pourtant l’Afrique ne cesse de s’appauvrir et d’être de plus en plus dépendante. Et en matière de changement climatique, si nous ne prenons pas garde, ça va être un incessant recommencement. Moi j’alerte les africains à prendre conscience des enjeux principaux et ainsi prendre les bonnes décisions pour se sortir de ce marasme économique.
Tant que l’Afrique ne prendra pas conscience que pour faire face aux défis de ce monde, il faut être un continent uni, rien ne se fera. C’est vraiment ça la clé de voute pour créer un modèle de développement plus résilient et autonome.
Vous affirmez que l’énergie est au cœur de la logique du développement durable, et que l’Afrique doit accroître son système énergétique pour soutenir son développement. Quel est l’équilibre à trouver entre l’accroissement de la capacité énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
Sur ce point, j’admets une démarche subjective qui consiste à dire que l’Afrique doit s’éloigner de tout ce qui pourrait nuire à la planète. Je vous donne l’exemple du charbon et du fioul sur lesquels l’Afrique ne peut et ne doit pas assoir son développement. Il y a une énergie fossile qui reste, avant le nucléaire ; c’est le gaz. Les spécialistes savent qu’il pollue presque deux fois moins que le fioul et le charbon. L’Afrique doit donc faire usage de son propre gaz en le mélangeant avec des énergies renouvelables telles que l’hydraulique, le solaire, la géothermie. Il faut donc faire un mix intelligent pour assoir son développement économique.
Seuls l’Afrique du Sud et l’Egypte utilisent l’énergie nucléaire. Et j’estime qu’à l’horizon 2050 2100, l’Afrique doit intégrer le nucléaire dans son bouquet énergétique. Et cela se prépare. On ne peut le faire du jour au lendemain. La France l’utilise depuis des années avec une parfaite maitrise. Les ressources fossiles, tout le monde sait que ça va se tarir. Il y a l’avènement des véhicules électriques et tout cela. Donc il faudra vraiment faire un mix intelligent et stratégique en tenant compte de nos besoins de développement et de la nature de cet environnement. Pour illustrer, figurez-vous que l’Espagne, avec sa maigre superficie, produit plus d’électricité que les 47 pays subsahariens réunis. C’est ahurissant.
L’agriculture et sa place dans le développement durable
L’agriculture est essentielle pour l’économie africaine, mais elle est gravement menacée par le changement climatique. Vous avez mentionné la nécessité d’améliorer ce secteur et de soutenir l’industrialisation. Quelles stratégies spécifiques recommanderiez-vous pour transformer l’agriculture en Afrique dans un contexte de changement climatique tout en évitant la dépendance aux modèles importés ?
L’agriculture occupe une position centrale à cause car une bonne partie de la population vit de cela. Quand on compare les rendements de certains produits agricoles, nous sommes à la traîne. Les autres nous devancent. Si nous prenons le cas du riz, les rendements entre les pays africains et les pays asiatiques ne sont pas les mêmes.
L’ISRA (Institut Sénégalais de Recherche Agricole) doit jouer un rôle, comme d’autres instances, afin de faire évoluer la recherche de solutions afin d’accroitre les productions agricoles. C’est crucial car sinon les effets du changement climatique dans ce secteur vont continuer de croître. Les instituts de recherche en Afrique doivent donc être davantage mobilisés dans la recherche de solutions à ce niveau.
En parlant d’agriculture, la Grande Muraille Verte avait été initiée pour combattre, entre autres, la désertification. Pourquoi ce projet est-il à l’arrêt, alors qu’il pourrait constituer une des solutions pour atténuer les effets du changement climatique en Afrique ?
L’idée de la grande muraille verte c’est de planter des arbres en partant du Sénégal à la corne de l’Ethiopie, traversant ainsi 11 pays. Mais ce que je trouve dommage c’est que l’Afrique est toujours dans une position attentiste. Ce type de projets de reboisement, chaque pays devrait le porter car il y va de la survie de la faune et de la flore. Il faudrait vraiment un changement de paradigme et de mentalité.
L’Afrique est-elle passive face au changement climatique?
Vous parlez d’une “passivité” qui aurait rendu l’Afrique impotente face au péril climatique. Quelles actions concrètes ou changements de mentalité conseillez-vous aux gouvernements et aux jeunes Africains pour sortir de cette situation et devenir des acteurs actifs du changement climatique ?
On dit que moins de 30% des africains ont réellement conscience des enjeux du réchauffement climatique. En faisant une revue littéraire sur le sujet, j’ai trouvé très peu d’écrits faits par des Africains eux même. C’est dire à quel point le sujet n’est pas pris au sérieux malgré l’imminence. Dans un second temps, l’enjeu principal est d’aller avec une vision unique.
Le levier sur lequel je miserai, ça serait d’abord celui de l’adaptation et celui de l’atténuation via la transition énergétique. On est dans une course contre la montre et les effets du changement climatique vont s’intensifier. Récemment il y a eu des inondations à Dubaï, pourtant ils ont pu gérer cela grâce à une infrastructure adaptée.
C’est ce travail qui doit être fait en Afrique en rehaussant son curseur de résilience. Si la quantité de pluie qui est tombée à Dubaï tombe au Sénégal par exemple, on mettra une année pour s’en remettre. En France et en Allemagne, il peut y avoir des inondations, mais ils se relèvent plus vite car ils se sont donné les moyens de cette politique. Le volet d’atténuation, on doit le laisser aux responsables de cette pollution, et nous concentrer sur le volet d’adaptation.