Le mardi 15 avril 2025, à Paris, François Bayrou a réuni autour de lui plusieurs membres du gouvernement, des députés, des représentants des caisses de sécurité sociale ainsi que des responsables syndicaux pour évoquer ce que lui-même qualifie de “tsunami stratégique”.
L’expression peut paraître forte, mais le Haut-commissaire au Plan entend ainsi souligner ce qu’il considère comme un déséquilibre profond des finances publiques françaises. L’objectif de la réunion : présenter, en toute franchise, la gravité de la situation budgétaire actuelle et les sacrifices qui seront exigés en 2026 pour éviter que le pays ne sombre dans une spirale d’endettement incontrôlable
Depuis plusieurs mois déjà, l’inquiétude grandit au sommet de l’État. L’exécutif s’efforce de contenir un déficit public structurel tout en rassurant les marchés financiers et les agences de notation, qui surveillent de près les engagements de la France.
La perspective d’un déficit à 4,6 % du PIB en 2026 ne résulte pas d’un simple glissement des comptes : elle incarne un déséquilibre persistant, nourri par des années de dépenses publiques élevées, parfois jugées indispensables dans le contexte des crises successives – pandémie, inflation, guerre en Ukraine, et récemment les dépenses liées à la transition énergétique.
Mais aujourd’hui, l’addition arrive. Le gouvernement cherche à réduire ce déficit de manière nette, et cela suppose, selon les premières estimations, de trouver pas moins de 40 milliards d’euros d’économies supplémentaires sur l’exercice budgétaire 2026. Une somme colossale, qui ne pourra être dégagée ni par un simple ajustement technique, ni par des mesures temporaires.
Le choix du moment et de la méthode
Cette réunion, organisée avec six mois d’avance sur le calendrier budgétaire habituel, ne relève pas d’un réflexe improvisé. Elle s’inscrit dans une volonté de transparence affichée par François Bayrou, qui préfère parler maintenant, plutôt que d’imposer plus tard, dans l’urgence, des coupes budgétaires brutales.
L’Association des maires de France (AMF) a annoncé son refus de participer à la rencontre. Son premier vice-président délégué, André Laignel, a dénoncé ce qu’il considère comme une “mise en scène”, affirmant que les élus locaux n’ont été conviés que quelques jours auparavant, sans document préparatoire, ni programme de travail. Pour lui, il s’agit davantage d’un acte de communication que d’une consultation réelle.
Ce boycott est révélateur d’une inquiétude profonde dans les territoires : les collectivités locales redoutent de devoir, une fois de plus, compenser les restrictions budgétaires de l’État. Beaucoup estiment que les services publics de proximité — crèches, transports, centres de santé, équipements culturels — sont déjà fragilisés, et que de nouvelles coupes risqueraient de dégrader davantage la qualité de vie des habitants.
Une équation délicate : réduire le budget sans taxer
Du côté de Bercy, le discours sur le budget se veut rassurant. Le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, a tenu à clarifier un point essentiel : la réduction du déficit ne se fera pas en augmentant la pression fiscale sur les classes moyennes ou les entreprises.
En d’autres termes, pas de nouvelle hausse de la TVA, pas d’impôt sur le revenu relevé, et pas de taxe additionnelle sur les bénéfices des sociétés. Le cap est clair : il faudra faire des économies, pas lever davantage d’impôts.
Où trouver 40 milliards d’euros si l’on exclut les recettes supplémentaires ? Le patronat, en tout cas, reste sur ses gardes. Patrick Martin, président du Medef, a rappelé ce matin que les entreprises ont déjà supporté 13 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires cette année. Il a mis en garde contre toute tentation de faire porter l’effort à ceux qui, selon lui, “font tourner le pays chaque jour“. Le discours est sans ambiguïté : le monde économique ne tolérera pas une charge fiscale accrue.
Des coupes à venir dans les dépenses publiques ?
Reste donc l’autre versant de l’équation : la dépense publique. Là encore, les marges de manœuvre sont limitées. Le poids de la dette est désormais considérable : les intérêts à verser aux créanciers de la France représentent l’un des premiers postes de dépenses de l’État. Toute hausse des taux d’intérêt, même minime, entraîne une hausse immédiate du service de la dette. Cela limite considérablement la liberté de manœuvre budgétaire.
Des économies sur les dispositifs de soutien à l’emploi, les aides aux entreprises, certaines niches fiscales, ou encore une réforme du fonctionnement de l’État seraient à prévoir. Mais toucher à ces leviers est politiquement risqué. Réformer l’assurance chômage ou les retraites complémentaires, par exemple, pourrait raviver la colère sociale. Modifier les règles d’accès à certains droits sociaux, même dans une optique d’efficacité, risque d’être perçu comme une attaque contre les plus vulnérables. Et revoir les dotations aux collectivités territoriales, déjà fragilisées, aggraverait les tensions avec les élus locaux.
Une Assemblée déstabilisée
Dans ce contexte, l’examen du budget à l’automne s’annonce difficile. L’exécutif ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, ce qui rend tout vote incertain. En cas de rejet, le gouvernement pourrait être contraint de recourir de nouveau à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’un texte sans vote, mais expose l’exécutif à une motion de censure. Or, l’usage répété de cet outil constitutionnel fragilise politiquement le pouvoir en place. Une motion de censure votée par une alliance de partis d’opposition — de droite, de gauche ou des extrêmes — pourrait faire tomber le gouvernement. Ce scénario reste peu probable à court terme, mais il n’est plus considéré comme inconcevable.
Une parole politique qui veut redonner du sens
Plutôt que de masquer les chiffres ou d’attendre les échéances électorales pour prendre des mesures impopulaires, François Bayrou choisit de parler franchement, quitte à heurter certaines sensibilités.
Le Haut-commissaire au Plan plaide pour une mobilisation nationale, qui dépasse les calculs à court terme. Pour lui, les difficultés à venir ne doivent pas être perçues comme une fatalité, mais comme l’occasion de repenser notre manière de gérer les finances publiques. Cela suppose de faire des choix clairs : sur ce que l’État doit continuer à financer, sur ce qu’il peut confier à d’autres acteurs, et sur ce qu’il doit peut-être abandonner.
La conférence de presse prévue à l’issue de la réunion doit permettre à François Bayrou de présenter une première cartographie de la situation, avec des chiffres précis, des courbes d’évolution de la dette, et des hypothèses de trajectoire budgétaire. Il ne s’agira pas encore d’annonces fermes, mais d’un cadre général, destiné à poser les bases d’un débat qui s’annonce intense dans les mois à venir.