À La Rochelle, la survenue de cancers pédiatriques a bouleversé tout un territoire. De cette alerte est née, en 2018, Avenir Santé Environnement, une association citoyenne qui enquête sur les liens entre pollution, pesticides et santé. Son porte-parole, Franck Rinchet-Girollet, père d’un enfant qui a été malade, dénonce l’inaction de l’État et appelle à une convention citoyenne sur la transition agricole.
Pour commencer, Franck Rinchet-Girollet peut-il se présenter brièvement et raconter son engagement liés aux sujets de santé et d’environnement ?
Je suis porte-parole d’Avenir Santé Environnement, une association née en 2018 à la suite de cancers pédiatriques à La Rochelle. J’ai moi-même eu un enfant atteint d’un cancer.
À La Rochelle, le registre des cancers a mis en évidence un excès de risque sur deux communes. On a décidé d’agir, parce que personne ne nous donnait de réponse.
On a travaillé sur plusieurs pistes. Soit l’agriculture, l’industrie ou encore la pollution domestique. On est sur une plaine céréalière très exposée aux pesticides, et on s’est vite rendu compte que ces produits ne restaient pas dans les champs. La Rochelle a installé un capteur de qualité de l’air. Au total, 30 pesticides y ont été détectés, parfois en quantités importantes, même autour des écoles.
On a aussi signalé la pollution d’un captage d’eau potable par un herbicide, le chlortoluron. L’eau a été distribuée pendant douze jours. Et ce point de captage se situait justement dans la zone des cancers pédiatriques.
Quelles actions sont les actions que Franck Rinchet-Girollet a pu mener pour faire la lumière sur ces pollutions ?
Face à l’inaction des autorités, on a lancé notre propre projet nommé NEXT, en 2024. On a financé nous-mêmes des analyses sur 72 enfants de six communes. Tous ont été testés le même jour. Et on a retrouvé 45 molécules de pesticides dans les cheveux et 14 dans les urines.
Ces données prouvent une imprégnation chronique sur le territoire. Il nous a fallu sept ans pour obtenir des réponses, et encore, sans l’aide de l’État. Depuis, le préfet a fini par s’en saisir et des études plus larges ont été engagées. La Ligue contre le cancer a aussi financé une extraction du registre départemental. Résultat, on y a découvert deux autres foyers de surincidence.
Nous, on ne cherche pas la cause unique, on agit pour que ça ne se reproduise pas.
La loi Duplomb, promulguée cet été malgré la censure partielle du Conseil constitutionnel, a suscité beaucoup de colère. Quelle est la réaction de l’association ?
On a été effarés. Cette loi, c’est un recul sanitaire. Elle permet de revenir sur des interdictions et de maintenir des produits dont la dangerosité est connue.
Nous, sur notre territoire, on compte 28 communes, plus d’élevage, uniquement des cultures céréalières. En d’autres termes, on est directement en première ligne.
On a ainsi participé avec les ONG nationales à la mobilisation. 1 000 personnes étaient dans la rue à La Rochelle. Aussi, on est montés à Paris pour le vote solennel.
Flore Brotot a pris la parole à l’Assemblée, les médecins spécialistes des pesticides étaient là. On voulait que les députés votent devant les parents d’enfants malades.
Pourtant, pendant ce temps, l’État continue à laisser faire et à vendre ces produits. Pour nous, la responsabilité est politique
Franck Rinchet-Girollet a souvent parlé de « l’effet cocktail ». Peut-il nous en dire davantage ?
C’est le cœur du problème. Les agences sanitaires évaluent les substances une par une, mais dans la réalité, nos enfants sont exposés à des dizaines de produits en même temps.
Ces interactions, on ne les prend pas en compte. Et pourtant, elles multiplient les risques.Chaque fois qu’une étude sort, l’ARS ou Santé publique France refusent d’intégrer cette approche globale.
C’est une faille majeure dans la méthodologie. D’autant qu’aujourd’hui, on parle de pesticides, de PFAS, de perturbateurs endocriniens… Malgré tout, on continue à ignorer ce que les gens vivent au quotidien.
L’article sur l’acétamipride a été censuré, mais beaucoup craignent son retour. Franck Rinchet-Girollet pense-t-il que la bataille est terminée ?
Non, elle ne l’est pas. L’acétamipride, ou un équivalent, reviendra par une autre voie. C’est toujours pareil, on interdit d’un côté, on réintroduit de l’autre.
On joue avec les mots et les procédures. Tant qu’on ne remettra pas en cause le modèle agricole lui-même, la santé publique sera la variable d’ajustement du système.
La loi évoque aussi l’eau, les mégabassines et le modèle agricole intensif. Quelles menaces concrètes Franck Rinchet-Girollet voit-il ?
Cette loi renforce un modèle productiviste déjà à bout de souffle. Les mégabassines, par exemple, ne règlent rien. Elles déplacent le problème, accaparent l’eau pour maintenir des cultures dépendantes des intrants.Sur notre territoire, l’élevage a disparu, remplacé par la monoculture céréalière.
Les sols sont épuisés, l’eau polluée et les agriculteurs, pris dans un engrenage.
Alors oui, il faut poser la question : est-ce vraiment le monde qu’on veut laisser à nos enfants ?
Quelles sont, selon Franck Rinchet-Girollet, les alternatives efficaces pour protéger à la fois la santé publique et le monde agricole ?
Il faut accompagner la transition, pas l’imposer. Les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement sans avoir à utiliser des produits toxiques. On doit leur donner les moyens de changer. Soit de vrais soutiens économiques, des prix justes, de la formation, de l’accompagnement.Ce n’est pas un combat contre eux, c’est un combat avec eux. On partage la même inquiétude, celle de voir notre santé et nos terres se dégrader.
La pétition contre la loi a rassemblé plus de deux millions de signatures. Est-ce que cette mobilisation peut encore infléchir le cours des choses selon Franck Rinchet-Girollet ?
Je pense que oui. C’est une mobilisation historique. Les citoyens ne veulent plus être tenus à l’écart de ces décisions. Mais aujourd’hui, le pouvoir politique n’écoute pas.
Alors il faut continuer, localement, à faire entendre nos voix.
Quand des parents, des médecins, des élus locaux se réunissent, on peut faire bouger les lignes.
Franck Rinchet-Girollet porte l’idée d’une convention citoyenne sur la transition agricole. À quoi ressemblerait-elle ?
Cette idée est née d’une réflexion en 2025. On vit une fracture massive sur les questions de santé et d’environnement. Et moi, je crois à l’intelligence collective. Une convention citoyenne, c’est mettre autour de la table citoyens, agriculteurs, scientifiques et élus pour débattre autrement, sortir du clivage.
La région Nouvelle-Aquitaine vient d’ailleurs de voter une motion de soutien à cette proposition.
On va maintenant faire le tour des régions et des départements pour construire ce mouvement.
Même si la convention sur le climat n’a pas tout réglé, elle a ouvert un espace démocratique. Il faut en faire autant pour l’agriculture.
Pour conclure, quel message Franck Rinchet-Girollet souhaite-t-il adresser aux parlementaires et aux citoyens ?
Aux parlementaires, je dis, écoutez les territoires et aux citoyens, ne lâchez rien.
On n’est pas en opposition avec le monde agricole, mais on refuse que des produits dangereux continuent d’être utilisés. Notre objectif, c’est de sortir collectivement de la dépendance chimique, de protéger notre santé et de laisser un avenir digne de ce nom à nos enfants.


