Pour la première fois, le G20 s’est réuni sur le sol africain, à Johannesburg. Et pour la première fois depuis longtemps, le multilatéralisme en sort renforcé. Malgré l’abstention des États-Unis et l’absence de Donald Trump, les grandes puissances ont adopté une déclaration commune qui défend une vision commune de l’économie mondiale, du climat et des conflits internationaux. Un camouflet discret mais réel pour Washington, et une victoire politique pour les pays attachés à un G20 ouvert et inclusif, à commencer par l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde et plusieurs capitales européennes, dont Paris et Berlin.
Un sommet sans les États-Unis… mais pas sans enjeu
Le décor était déjà inhabituel : un G20 en Afrique, présidé par Cyril Ramaphosa, avec l’ombre d’un futur sommet américain en 2026 qui inquiète beaucoup de capitales. Washington souhaite en effet remodeler l’agenda du G20 autour d’une approche très limitée, centrée sur la seule croissance économique, la dérégulation et la réduction du nombre de groupes de travail. Les dossiers énergie, environnement, santé, pourtant devenus essentiels depuis la pandémie et l’accélération du réchauffement climatique, risquent d’être relégués à l’arrière-plan, voire supprimés dans la configuration que prépare l’administration américaine pour 2026.
À Johannesburg, les autres membres ont fait exactement l’inverse. La déclaration finale réaffirme la coopération multilatérale, mentionne les inégalités économiques et le dérèglement climatique, et maintient les groupes de travail qui s’intéressent à l’énergie, à la santé et à la protection de l’environnement. En clair : le G20 ne sera pas réduit à un club de comptables préoccupés uniquement par la croissance du PIB.
L’absence de Donald Trump, qui a choisi de boycotter le sommet au nom de théories infondées sur une prétendue persécution des Blancs en Afrique du Sud, n’a pas empêché les discussions d’avancer. Pour beaucoup, elle a même libéré de l’espace politique. Le Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva l’a résumé d’une phrase : ce qui compte, ce n’est pas la chaise vide des États-Unis, mais la vitalité des échanges entre les autres. Selon lui, le multilatéralisme est « plus vivant que jamais ».
Une Europe soulagée par ce G20
Les Européens, et en particulier la France et l’Allemagne, pouvaient difficilement espérer un meilleur scénario. Le sommet aurait pu se conclure sur une déclaration minimale, édulcorée, voire échouer à produire un texte commun. C’est l’inverse qui s’est produit : le texte adopté affirme la coopération entre grandes puissances et évite d’effacer les sujets qui fâchent, comme le climat ou les inégalités internationales.
Le chancelier allemand Friedrich Merz n’a pas caché sa désapprobation face au choix américain de rester à l’écart. Il a jugé que ce n’était pas une « bonne décision » et dit que le monde était en train de se réorganiser, avec de nouveaux liens qui se tissaient en dehors des schémas habituels. En filigrane, une idée claire : en se retirant, Washington laisse le champ libre à d’autres.
L’Afrique du Sud, pays hôte, a joué un rôle central en présentant l’accord comme un exemple de convergence entre économies avancées et pays émergents. Pour Ramaphosa, les intérêts communs l’emportent sur les divergences. La dynamique rappelle celle qu’on voit se dessiner depuis plusieurs années : Indonésie, Inde, Brésil puis Afrique du Sud, quatre présidences successives issues du Sud global, qui redéfinissent les priorités du G20 et refusent de se contenter d’un rôle de figurants.
La paix mondiale, du slogan aux dossiers concrets
L’autre aspect marquant de la déclaration concerne les conflits en cours. Les délégués sont parvenus à se mettre d’accord sur une formule appelant à une paix « juste, globale et durable » pour plusieurs dossiers explosifs : l’Ukraine, le Soudan, la République démocratique du Congo et le territoire palestinien occupé. Les mots sont prudents, mais leur juxtaposition dans un même paragraphe illustre une volonté d’élargir le regard, de ne plus limiter les préoccupations de sécurité à l’Europe ou au Moyen-Orient.
Pour certains observateurs africains, la mention du Soudan est une avancée symbolique importante. Le journaliste et commentateur soudanais Saeed Abdalla a souligné qu’il fallait y voir une première : le conflit soudanais, qui ravage le pays depuis plus de deux ans, trouve enfin un écho dans une enceinte dominée par les grandes économies mondiales. Le signal envoyé n’apporte pas de solution immédiate, mais il brise une forme d’invisibilité internationale.
En rappelant la situation au Congo et en Palestine, la déclaration replace aussi les conflits oubliés au cœur d’un forum où, trop souvent, seules les urgences géopolitiques des grandes puissances dominent les échanges.
L’ombre du sommet américain de 2026
En arrière-plan de cette démonstration d’unité se profile pourtant une bataille à venir. Les États-Unis doivent prendre la présidence du G20 en 2026, avec l’intention d’organiser le sommet sur un golf de Floride appartenant à Donald Trump. Le simple choix du lieu concentre déjà les critiques, tant il illustre une personnalisation et une privatisation de la diplomatie qui choque une partie des partenaires.
Le projet américain pour 2026 prévoit de réduire drastiquement les groupes de travail thématiques pour ne garder qu’un noyau centré sur la croissance, la dérégulation et un agenda économique minimaliste. Pour les Européens et une grande partie des pays émergents, ce serait un retour en arrière. Au fil des années, le G20 a intégré des sujets comme la santé publique, l’urgence climatique, la transition énergétique, la régulation financière, la dette des pays pauvres. Supprimer ces espaces de discussion reviendrait à ignorer les leçons de la pandémie et de l’accélération du réchauffement.
La décision sud-africaine de maintenir ces groupes, et de les inscrire clairement dans la déclaration finale est comme comme un avertissement à Washington : le reste du monde n’est pas prêt à accepter un G20 amputé de ses enjeux contemporains.


