Statues équestres dans les gares, policiers à cheval lors de manifestations, objets de décoration kitsch dans les salons d’Amérique… Et pourtant, combien d’entre eux montent encore à cheval pour aller travailler ? C’est cette contradiction, ce paradoxe étrange, celui d’un animal à la fois omniprésent culturellement et absent de notre quotidien,que le Dr. William Taylor tente d’éclairer.
Ce chercheur et auteur de Hoofbeats: How Horses Shaped Human History mêle souvenirs personnels, fouilles en Mongolie et observations culturelles pour mieux comprendre le lien unique qui unit l’homme et le cheval, de l’Antiquité à aujourd’hui.
La puissance discrète du cheval dans nos vies
« Nous vivons dans un monde où les chevaux sont partout par leur signification culturelle, leurs symboles, nos rappels visuels et sensoriels de leur impact et pourtant, la plupart d’entre nous ne vont plus du point A au point B à cheval. Il y a donc une forme de contradiction dans notre monde : les chevaux sont partout et nulle part à la fois. »
– Dr. William Taylor, archéologue, Université du Colorado Boulder
Cette phrase condense à elle seule la thèse de Taylor : le cheval est un animal de ferme, de loisir et aussi un pilier oublié de notre monde moderne, encore présent dans nos villes, nos traditions et nos souvenirs collectifs, mais vidé de sa fonction originelle.
À travers des exemples concrets (comme la statue d’un poulain à Cortez ou les chevaux de la police d’Albuquerque), Taylor montre que la trace matérielle du cheval subsiste, même si l’usage quotidien a disparu. Il montre la présence symbolique et la disparition fonctionnelle du cheval qui bouleverse notre relation avec cet animal majestueux.
La culture du cheval, un vestige oublié?
Taylor incarne littéralement cette histoire, lui qui a grandi dans une famille marquée par la culture cowboy, mais sans avoir lui-même monté à cheval dans sa jeunesse. « J’ai grandi dans une maison décorée de chevaux… mais sans chevaux », confie Taylor.
Ce n’est qu’en fouillant une tombe équine de 2 500 ans en Mongolie qu’il saisit la richesse de cette relation millénaire.
Il y découvre non seulement des équipements de chevaux exceptionnellement conservés, mais surtout une culture où le cheval est encore aujourd’hui un moyen de transport quotidien. Cette expérience contraste avec la sienne : dans les steppes, les chevaux vivent libres, socialisent entre eux et interagissent étroitement avec les humains. C’est là, selon Taylor, que l’on peut comprendre comment l’évolution du cheval, sa vitesse, sa force, mais surtout son intelligence sociale a façonné les civilisations humaines.
Eh oui, nous faisons encore des découvertes surprenantes sur cet animal
Si vous pensiez que l’archéologie est un domaine mort et qu’il faut décourager vos enfants de l’étudier, vous risquez d’être surpris. On fait encore d’innombrables découvertes.
Sur les chevaux, nous en avons même fait cette année :
Dans un contexte funéraire et rituel, à Pech Maho (Aude), on a fait la mise au jour de 85 chevaux et 6 ânes déposés dans un espace clos à la suite d’un incendie daté du IIIe siècle av. J.-C., ils ont vraisemblablement connu un conflit et ont donc été soumis à une inhumation collective d’équidés.
La stratigraphie rigoureuse (l’étude de ce qui se passe sous des couches de terre) et des analyses isotopiques (l’analyse de la composition chimique dans un matériau) et génétiques ont permis d’explorer à la fois les pratiques rituelles post-destruction, la gestion des cheptels et la valeur symbolique de ces animaux dans le monde protohistorique méditerranéen.
Cette découverte fait bon ménage avec celle, toute récente, de Stuttgart, où des sépultures équines liées à une unité de cavalerie romaine suggèrent une ritualisation militaire de la mort animale dans le monde romain provincial.
Les travaux menés dans l’Indre par l’Inrap révèlent, quant à eux, un autre type de dispositif : des fosses datées de la transition entre période gauloise et romaine (Ier s. av. – Ier s. ap. J.-C.) qui contiennent jusqu’à dix chevaux, quelques fois associés à du mobilier domestique, ce qui pourrait témoigner de rites d’abandon liés à un changement de moeurs.
Les découvertes sur les sacrifices de chevaux continuent en Sibérie : un kourgane scythe (un monticule de terre qui recouvre une tombe)révèle livré en tout début d’année a révélé plus de cent chevaux sacrifiés lors de funérailles aristocratiques.
L’étude de la variabilité phénotypique des spécimens (marques de harnachement, découpe, alimentation) permet de mieux comprendre les stratégies de sélection et d’ostentation chez les élites nomades.
Le fait que nous ne découvrions sont choses que cette année nous force à reconsidérer le rôle du cheval comme auxiliaire de guerre, de transport, et surtout comme véritable médiateur rituel et politique : Autrement dit, la mise à mort et l’exposition dans l’espace funéraire ou post-catastrophique obéissent à des logiques idéologiques, symboliques et territoriales.
Le cheval est donc un marqueur de victoire ou de défaite.


