Le Mexique est en pleine tourmente politique, alors que le président sortant Andrés Manuel López Obrador (AMLO) pousse une réforme judiciaire controversée.
Cette réforme, qui vise à réformer la structure et le mode de nomination des juges mexicains, a suscité des tensions croissantes, non seulement au sein du pays, mais également avec son partenaire le plus important, les États-Unis.
La question de l’indépendance judiciaire et des implications économiques et politiques de cette réforme pourrait bien constituer un point de friction majeur entre les deux nations.
Une refonte du système judiciaire au Mexique
La réforme judiciaire d’AMLO propose des changements radicaux dans le fonctionnement de la Cour suprême du Mexique et du système judiciaire en général.
Au lieu du processus actuel, où les juges sont nommés par le président et ratifiés par le Sénat, la réforme suggère que les juges et magistrats soient élus par le peuple. Le président justifie cette initiative en affirmant que l’actuel système judiciaire sert les intérêts des élites économiques et politiques.
Selon lui, une élection populaire rendrait les juges plus responsables devant les citoyens. La réforme prévoit de réduire le nombre de juges de la Cour suprême de 11 à 9, avec une diminution de la durée de leur mandat de 15 à 12 ans.
Ce changement vise à renouveler plus régulièrement la composition de la cour. La mise en place d’un comité indépendant serait chargée de surveiller les juges afin de combattre la corruption et l’impunité. Ce dernier point est crucial dans un pays où environ 99 % des crimes restent impunis, selon l’organisation non-gouvernementale Impunidad Cero.
López Obrador et ses alliés, dont la future présidente Claudia Sheinbaum, soutiennent que ces réformes sont nécessaires pour garantir l’indépendance des juges et briser la corruption endémique dans le système judiciaire mexicain.
Les opposants affirment qu’une telle réforme politiserait la justice, remettant en cause la séparation des pouvoirs, une valeur fondamentale dans une démocratie.
La réforme d’AMLO a déclenché une vague de protestations à travers le pays, tant de la part des juges que des citoyens ordinaires. L’opposition politique, y compris le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et le Mouvement Citoyen (MC), a fermement dénoncé la réforme. Selon eux, elle ferait de la justice un instrument politique au service du pouvoir en place.
Les craintes exprimées par les opposants sont partagées par des organisations internationales. Margaret Satterthwaite, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, a publiquement exprimé ses “profondes préoccupations” concernant les implications de cette réforme sur l’indépendance judiciaire au Mexique. Human Rights Watch a également exhorté les législateurs à rejeter ces propositions, soulignant que la réforme violerait les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
En dépit de cette opposition, la réforme a déjà été approuvée par la Chambre basse du Congrès mexicain, où le parti de López Obrador, Morena, et ses alliés détiennent une supermajorité. Le débat se poursuit au Sénat, où Morena est sur le point de réunir une majorité qualifiée pour faire passer la réforme.
Cette réforme au Mexique risque de faire basculer les relations avec les Etats-Unis
Cette réforme judiciaire a des répercussions bien au-delà des frontières mexicaines. Les États-Unis, principal partenaire commercial du Mexique, ont exprimé de vives inquiétudes quant à l’impact de cette réforme sur l’État de droit et sur la confiance des investisseurs. L’ambassadeur des États-Unis au Mexique, Ken Salazar, a averti que ces changements pourraient “menacer” les relations commerciales bilatérales, qui reposent sur la certitude et la stabilité du cadre juridique mexicain.
Les investisseurs américains craignent que la politisation du système judiciaire mexicain n’entraîne une augmentation de l’incertitude juridique et financière. Un système judiciaire moins indépendant pourrait être perçu comme plus vulnérable aux pressions politiques, compromettant ainsi l’impartialité dans le règlement des litiges commerciaux. Ces préoccupations sont d’autant plus pertinentes dans un contexte où le Mexique attire des investissements massifs dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, l’automobile et les technologies.
En réponse aux critiques américaines, López Obrador a dénoncé ce qu’il considère comme une ingérence étrangère dans les affaires internes du Mexique. Il a même annoncé une “pause” dans les relations avec les ambassades des États-Unis et du Canada, critiquant ouvertement les déclarations des ambassadeurs de ces deux pays. Cela marque une rupture dans la coopération diplomatique qui a longtemps été un pilier des relations bilatérales entre les États-Unis et le Mexique.
Les tensions sont exacerbées par les implications de la réforme pour la lutte contre les cartels de la drogue. Les États-Unis craignent que des juges élus politiquement, et potentiellement inexpérimentés, ne soient plus susceptibles de céder à l’influence des cartels, affaiblissant ainsi la capacité du Mexique à lutter contre le crime organisé. Cela pourrait mettre en péril les programmes de coopération en matière de sécurité, un domaine crucial pour les deux nations.