Aux États-Unis, la question de l’immigration et de la politique frontalière est un terrain miné, surtout pour l’administration Trump.
Daniel Schnur, analyste politique et ancien conseiller politique, a livré une analyse de la situation.
Schnur pense que ce qui faisait la force de Donald Trump était ses positions sur l’immigration. Malheureusement pour Trump, elles deviennent maintenant un fardeau.
L’immigration, la dernière bouée de sauvetage de Trump, s’enfonce.
« Il y a encore quelques mois, l’immigration et la politique frontalière étaient les seuls sujets où Trump bénéficiait encore d’un soutien majoritaire des Américains », explique Daniel Schnur.
Mais la donne a changé. « Il était déjà en difficulté sur tous les autres enjeux, y compris l’économie et l’inflation, qui l’avaient porté à la victoire en novembre dernier. Maintenant, pour la première fois, ses chiffres sur l’immigration sont dans le rouge, avec une opinion publique plus négative que positive, et de loin. »
Ce renversement est lié à la visibilité méiatique des déportations. Les journaux américains ont aussi rapporté la présence supposée de membres de l’ISIS à Los Angeles, ce qui décrédibilise Trump, qui avait promis que ces déportations signeraient un retour à la sécurité. Schnur note que cette perte de popularité sur l’immigration est un coup dur : « C’était sa dernière bouée de sauvetage politique. »
Trump semble maintenant hésiter. « Il y a quelques semaines, il a parlé publiquement de discussions avec des acteurs des secteurs agricole et hôtelier, qui lui ont dit que leurs entreprises souffraient des déportations. Il s’est demandé s’il ne fallait pas faire quelque chose pour les personnes sans papiers, mais respectueuses des lois, installées ici depuis longtemps. »
Le Département de la Sécurité intérieure a rapidement contredit Trump, mais celui-ci est revenu à la charge quelques jours plus tard. « Si ses chiffres dans les sondages ne s’améliorent pas, attendez-vous à des assouplissements sur certains points de sa politique migratoire », prédit Schnur. Mais il y a un hic : cette question divise sa base. « L’immigration est le dernier sujet qui maintient sa base conservatrice à ses côtés. Il est coincé, il ne sait pas quoi faire. »
Une politique migratoire qui est vue comme antithétique aux droits humains
La politique migratoire de Trump fait l’objet de vives controverses, notamment juridiques. « La Californie et 19 autres États ont rejoint un procès contre l’administration pour des arrestations sans motif valable », rapporte Schnur.
Ces États soutiennent que si une arrestation est justifiée par des preuves d’un séjour illégal, elle est légale, mais « si la seule raison est la couleur de peau ou l’accent, cela viole plusieurs lois fédérales. »
Schnur prend soin de nuancer son propos : « Autant je peux désapprouver la manière dont l’administration gère ce dossier, autant comparer cela à l’Allemagne des années 1930 ou 1940 est probablement exagéré. Cela ne justifie pas les actions actuelles, mais il faut reconnaître l’ampleur des horreurs de cette époque. »
Une économie pas relancée à 100%
Schnur veut aussi évoquer le récent budget. « Le budget a creusé les déficits de manière spectaculaire sans réduire les dépenses de façon significative », explique-t-il.
Le revirement de Trump sur l’Ukraine, passé d’une position ambiguë à un soutien marqué, a mécontenté certains de ses alliés, comme Marjorie Taylor Greene (MTG), une femme politique complotiste de droite.
« Trump est conscient que s’il perd la Chambre des représentants aux élections de mi-mandat, il risque une nouvelle procédure de destitution », avertit Schnur. Cette menace le pousse à jongler entre maintenir le soutien de sa base et séduire un électorat plus large. « S’il pense qu’assouplir sa politique migratoire peut aider les Républicains à garder la Chambre, il le fera. Sinon, il maintiendra le cap actuel. »
Vers une dérive autoritaire ?
« Je pense qu’on est encore très tôt dans ce processus », dit Schnur. Il reconnaît que l’administration a une vision « très expansive » de l’autorité présidentielle, mais il tempère : « Le vrai test viendra avec les élections de mi-mandat de 2026 ou si l’administration refuse ouvertement d’obéir à une décision de justice. »
Pour l’instant, Trump donne un semblant de respect aux décisions judiciaires, même s’il traîne les pieds. « S’ils disaient carrément : ‘Peu importe ce que disent les tribunaux’, ce serait un pas majeur vers l’autoritarisme. Mais on n’en est pas là », estime Schnur.
L’économie mondiale et l’indifférence apparente de Trump
« L’administration est tellement focalisée sur le court terme qu’elle néglige les conséquences à long terme sur la place des États-Unis dans l’économie mondiale. » dit Schnur. Il cite un article du Wall Street Journal qui décrit cette approche comme un « coup de fouet » économique temporaire, au prix d’un ralentissement futur. « Trump minimise l’importance de ces impacts à long terme », ajoute-t-il.
Un problème nommé Ukraine
« Il est peu probable que l’un ou l’autre camp obtienne une victoire totale », répond Schnur lorsqu’on lui parle de la Guerre ukrainienne.
Il envisage une issue où l’Ukraine conserverait une partie de son territoire, sans reconquérir la Crimée, mais infligerait une défaite suffisamment significative à la Russie pour dissuader d’autres agressions. « Si Trump maintient son soutien, même partiel, les chances de l’Ukraine se sont considérablement améliorées ces dernières 24 heures », analyse-t-il.
Les tarifs douaniers, une vraie bombe à retardement
Schnur , interrogé sur les tarifs répond : « Trump a repoussé l’entrée en vigueur des tarifs au 1er août, ce qui évite une hausse des prix pendant la période des fêtes. » Le but était de limiter les retombées économiques immédiates, mais Schnur prévient : « Les perspectives des Républicains pour les élections de mi-mandat sont fragiles, surtout si l’économie se dégrade à cause de ces tarifs. »
Quant à la « transférabilité » de la popularité de Trump à d’autres Républicains, comme ses enfants Eric ou Lara, Schnur est sceptique : « Trump peut influencer les primaires républicaines, mais il n’a jamais prouvé qu’il pouvait transmettre sa popularité dans des élections générales. »
Une justice inébranlable ?
L’administration pourrait-elle pousser le juge de la Cour suprême Clarence Thomas à démissionner si le Sénat risquait de basculer ? « Peu probable », répond Schnur. « Thomas est têtu, comme l’était Ruth Bader Ginsburg. Et même si les Républicains perdaient le Sénat, Trump resterait président jusqu’en 2029, donc il n’y a pas d’urgence à le remplacer maintenant. »
Et dans l’espace?
Enfin, des questions sur l’industrie spatiale émergent sur l’influence d’Elon Musk et de son projet de « American Party ».
Schnur conseille de jeter un œil au site de l’Independent Center, un groupe qu’il soutient, qui promeut des candidats indépendants au Congrès pour équilibrer la polarisation politique. « Si Musk persiste avec cette idée, cela pourrait changer la donne, mais c’est à voir », conclut-il prudemment.


