Saint-Patrick: Célébrer la coopération entre la France et l'Irlande
La Saint-Patrick n’est pas particulièrement célébrée par la majorité des Français.
La fête nationale irlandaise n’est pas snobée pour son manque de festivité : de nombreux bars en France proposent des offres spéciales pour la Saint-Patrick et les Français sortent pour profiter des Irish coffees et Guinness à prix réduit. Cependant, il est surprenant que les Français ne soient pas plus nombreux à ressentir le besoin de célébrer la Saint-Patrick étant donné les excellentes relations entre les deux pays.
Pour vivre heureux, vivons cachés - L’Irlande: une alliée discrète et ancrée dans l'Histoire
L’histoire des relations diplomatiques entre la France et l’Irlande commence en 1578, lorsque le Collège des Irlandais à Paris est créé par le Père John Lee en réponse à la réforme protestante qui visait à convertir les catholiques en protestants et à empêcher la formation de prêtres catholiques en Irlande.
Près de cent ans plus tard, les Français apportent leur soutien à l’Irlande dans la guerre Williamite – aussi appelée « la guerre des deux rois » car elle opposait les partisans du roi Guillaume le Conquérant et de Jacques II.
L’objectif des Français était d’envahir l’Angleterre et cet objectif ne dérangeait pas les Jacobites irlandais, qui y voyaient un moyen de retrouver leur indépendance face à l’oppression protestante.
À l’époque, la plus grande puissance politique d’Europe était Louis XIV, surnommé “Le Roi Soleil ». Son accueil de Jacques II en exil et son acheminement constant d’armes, de troupes et de munitions ont non seulement permis aux Jacobites irlandais de tenir bon pendant trois ans, mais ont également cimenté les liens entre l’Irlande et la France.
Même si les Jacobites irlandais ont perdu face aux protestants, les Français ont réussi à déstabiliser gravement les îles britanniques et ont pu accueillir des vétérans irlandais qui ont offert leur loyauté au royaume.
L’ancien président d’Irish In France (Irlandais en France, une communauté d’expatriés irlandais en France), Paul Lynch, est un expert quant à la question migratoire irlandaise. Dans une interview exclusive pour Le Parisien Matin, il décrit une merveilleuse relation, marquée par une méfiance mutuelle envers les Anglais et un amour partagé de la culture française .
“En 1796, une expédition française est organisée pour voler au secours de l’Irlande pour l’aider à se libérer du joug Anglais. Malheureusement, une terrible tempête s’est produite près de la côte sud de l’Irlande et la flotte française n’était pas préparée à ces conditions et a subi de nombreuses pertes. La tempête a potentiellement changé l’histoire de l’Irlande et de la France, et nous pouvons émettre l’hypothèse que si les Français avaient pleinement réussi, peut-être que tout le monde en Irlande parlerait français.”
La Révolution française a également contribué à l’émergence de mouvements nationalistes en Irlande, notamment la Société des Irlandais unis, fondée en 1791 par Theobald Wolfe Tone. Cette organisation prônait l’unité des Irlandais de toutes confessions religieuses pour obtenir l’indépendance de l’Irlande et s’inspirait des idéaux révolutionnaires français.
Même si la rébellion de 1798 a échoué, elle a jeté les bases du mouvement nationaliste irlandais qui a finalement abouti à l’indépendance de l’Irlande au XXe siècle. Les idéaux de la Révolution française, tels que la souveraineté populaire et les droits de l’homme, ont continué à inspirer les luttes pour la justice et l’émancipation en Irlande tout au long du XIXe et du XXe siècle.
La répression britannique contre les mouvements nationalistes irlandais s’est intensifiée après la Révolution française. Les autorités britanniques craignaient que les idées révolutionnaires ne se propagent en Irlande et ne menacent leur contrôle sur le pays.
Cela a conduit à la rébellion irlandaise de 1798, au cours de laquelle les républicains irlandais, inspirés par les événements en France, ont tenté de renverser le gouvernement britannique. Bien que la rébellion ait été réprimée, elle a marqué un tournant dans l’histoire de l’Irlande et a contribué à forger une identité nationale distincte.
Plus récemment, la France a apporté une aide significative à l’Irlande pendant la crise financière de l’Union européenne, qui a éclaté dans les années 2008-2009. Lorsque l’Irlande a été confrontée à une crise financière profonde et à des difficultés économiques majeures, la France, en tant que membre de l’Union européenne, a joué un rôle crucial dans la réponse collective de l’UE pour aider l’Irlande à surmonter ses difficultés.
Plus précisément, la France a participé à la mise en place de mécanismes de sauvetage financiers et de programmes d’assistance financière coordonnés par l’Union européenne, en collaboration avec le Fonds monétaire international (FMI) et d’autres partenaires internationaux.Ces programmes ont permis à l’Irlande de bénéficier d’un soutien financier, de réformes structurelles et de mesures d’ajustement économique pour stabiliser son système financier, restaurer la confiance des marchés et relancer la croissance économique.
De rares moments de tension entre la France et l’Irlande
Dès les années 1980, des tensions entre les pêcheurs français et irlandais ont augmenté en raison de la concurrence croissante pour les ressources halieutiques dans les eaux territoriales riches en poisson. Les désaccords sur les quotas de pêche et les recours à des pratiques de pêche concurrentielles pour maximiser leurs prises ont entraîné des conflits en mer et entre les deux groupes de pêcheurs.
La mise en place de réglementations de l’Union européenne visant à protéger les stocks de poissons et à promouvoir une pêche durable a parfois été mal perçue par les pêcheurs français et irlandais, qui ont estimé que ces réglementations les empêchaient d’exercer leur activité de manière rentable.
De même, les tensions liées à la Politique Agricole Commune (PAC) entre l’Irlande et la France ont émergé en raison de divergences d’opinions sur plusieurs aspects de la politique agricole de l’Union européenne.
Les fonds de la PAC sont distribués aux États membres de l’UE en fonction de plusieurs critères, notamment la taille de leur secteur agricole et la productivité agricole. L’Irlande et la France ont parfois eu des désaccords sur la répartition des fonds de la PAC entre les différents États membres. Les agriculteurs irlandais ont souvent plaidé pour une part plus importante des subventions agricoles, tandis que la France a défendu ses propres intérêts agricoles. Les réformes de la PAC ont souvent été l’objet de débats animés entre les États membres de l’UE, y compris l’Irlande et la France. Par exemple, des divergences ont pu apparaître sur des questions telles que la réduction des subventions agricoles, la promotion de pratiques agricoles durables et la gestion des marchés agricoles.
Ces tensions n’ont pas nécessairement été constantes, mais elles ont émergé périodiquement lors des discussions sur les réformes de la PAC et les allocations budgétaires de l’UE pour l’agriculture. Malgré ces désaccords, l’Irlande et la France ont généralement cherché à trouver des compromis et à travailler ensemble pour défendre leurs intérêts agricoles communs au sein de l’UE.
Il est possible de voir de nouvelles tensions apparaître dans le futur car les deux pays ne partagent pas toujours les mêmes priorités en termes de vision diplomatique. En effet, l’Irlande adopte une politique de neutralité militaire depuis sa création en 1937, ce qui se traduit par un engagement à ne pas participer aux alliances militaires et à résoudre les conflits par des moyens pacifiques et sa diplomatie est axée sur la promotion des droits de l’homme, le développement durable, et la consolidation de la paix à travers le monde.
Cela s’oppose radicalement à la diplomatie française. La France joue un rôle actif sur la scène internationale en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et l’un des principaux acteurs de l’Union européenne.
Sa diplomatie repose sur le principe de la souveraineté nationale. En outre, la France cherche à maintenir une diplomatie d’influence à travers une politique étrangère indépendante, en entretenant des relations étroites avec ses partenaires européens, africains, et ses anciennes colonies du Maghreb
Le entre la France et l’Irlande s'approfondit
Lynch exprime que cet attachement ne relève pas du passé. « Aujourd’hui encore, l’Irlande est très pro-Français. »
Le lien entre la France et l’Irlande s’est poursuivi et s’est même renforcé au fil du temps. Les deux gouvernements ont réaffirmé leur engagement à développer leurs partenariats de recherche, à promouvoir des objectifs de développement durable ambitieux et à favoriser des échanges commerciaux et culturels fructueux.
Leur Plan d’action commun pour la période 2021-2025 vise à intensifier la coopération bilatérale dans divers domaines stratégiques tels que l’innovation technologique, la transition énergétique, la préservation de l’environnement, la promotion de la diversité culturelle et linguistique, ainsi que le renforcement des liens entre les universités et les centres de recherche des deux pays.
Ce plan témoigne de la volonté partagée de la France et de l’Irlande de promouvoir une collaboration étroite et mutuellement bénéfique pour relever les défis du XXIe siècle et saisir les opportunités offertes par la mondialisation.
Plus concrètement, Paul Lynch explique que depuis le Brexit en 2016, les échanges commerciaux entre l’Irlande et la France ont énormément augmenté:
“Lorsque le Brexit a eu lieu, les principales exportations irlandaises, à savoir les produits alimentaires – le Kerry Gold (un beurre excellent, produit originaire d’Irlande.), le bœuf et l’agneau – ont grimpé en flèche.”
L’Irish Times confirme l’analyse de Lynch : le commerce bilatéral de la République avec la France atteint un montant record de 30 milliards d’euros par an à la suite du Brexit.
En France, l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution reflète un engagement en faveur des droits des femmes et de leur autonomie reproductive.
Parallèlement, en Irlande, la remise en question de la clause désuète sur les femmes au foyer et la révision de la définition de la famille démontrent une volonté de modernisation et d’adaptation aux réalités contemporaines.
Ces initiatives suggèrent un changement profond dans la perception des rôles de genre et une ouverture à une société plus inclusive et égalitaire. Il est donc légitime de se demander si les deux pays peuvent unir leurs forces pour avancer en tant que nations européennes progressistes, tout en respectant leur héritage culturel et religieux dans une Union Européenne divisée .
Ce processus pourrait marquer un tournant dans l’histoire des relations franco-irlandaises, en renforçant leur collaboration sur des enjeux sociétaux cruciaux et en favorisant une approche commune dans la construction d’un avenir plus juste et équilibré.
La conclusion de Paul Lynch et sa prédiction quant aux relations franco-irlandaises se définit par le boost apporté par le Brexit: “Le Brexit a accéléré beaucoup de choses entre la France et l’Irlande et continuera de le faire dans les années à venir.”
Auteur / autrice
-
Suzanne Latre est la rédactrice en chef du Parisien Matin. Elle est une romancière publiée avec une formation en politique, diplomatie et droit. Elle est spécialiste des relations internationales et porte un intérêt particulier aux affaires irlandaises et françaises. Elle est également directrice de Spokz People, une organisation qui soutient le bien-être des personnes handicapées. Suzanne Latre contribue aux rubriques politiques et culturelles du Parisien Matin.
Voir toutes les publications