Alors que le gouvernement français a fait avancer son projet de loi de finances pour 2024 au Parlement sans vote le mercredi 18 octobre, et que les menaces d’une procédure de déficit excessif (EDP) planent, la France est une fois de plus sous le microscope des agences de notation financière.
Moody’s, qui attribue actuellement à la France une notation de ‘Aa2’ avec une perspective stable, doit publier sa nouvelle notation le vendredi 20 octobre, suivie de Fitch et de Standard & Poor’s (S&P), qui publieront les leurs les 27 octobre et 1er décembre respectivement.
Alors que la dégradation de la notation financière de la France par Fitch en “AA-” avec une perspective “stable” en avril dernier a eu peu d’impact sur les marchés, elle a servi d’avertissement au gouvernement qu’il ne souhaite pas revivre cette expérience.
Fitch avait évoqué des “déficits budgétaires élevés” avec des progrès “modestes” dans leur réduction, à la suite de trois années de dépenses publiques importantes pour amortir l’impact de la pandémie et de l’inflation.
L’agence de notation avait également exprimé des inquiétudes concernant les fortes tensions sociales entourant la très contestée réforme des retraites, adoptée en avril malgré de vives réactions. Fitch l’avait considérée comme un possible “impasse politique” que les investisseurs devraient prendre en compte.
Quelques semaines après la notation d’avril de Fitch, la France avait évité de justesse une dégradation de S&P, la plus influente des trois agences de notation, qui avait maintenu sa notation “AA”. À l’époque, le ministre de l’Économie français, Bruno Le Maire, avait tout fait pour plaider en faveur de la crédibilité de la France en matière de discipline budgétaire : “Nous avons une stratégie crédible pour accélérer la réduction de la dette”, avait-il déclaré à l’époque.
Six mois plus tard, alors que le projet de loi de finances pour 2024 est sur le point d’être adopté au Parlement sans vote – en supposant qu’un vote de défiance échoue – les agences de notation examinent de plus en plus attentivement la situation financière de la France.
La France se bat pour éviter une dégradation de la notation par S&P
Le gouvernement français se bat bec et ongles pour convaincre l’agence de notation S&P Global qu’elle ne devrait pas dégrader la notation du pays malgré des niveaux élevés de dette et de déficit, soulevant des questions complexes sur le financement de la transition écologique.
“Stabiliser et réduire”
Confronté à une dette dépassant 3 billions d’euros et un déficit largement supérieur au seuil européen de 3 %, le gouvernement a cherché à démontrer sa sérieux en dévoilant son projet de loi de finances pour 2024 fin septembre.
Des économies d’au moins 16 milliards d’euros sont prévues, dont la majeure partie proviendra de la fin des mesures exceptionnelles prises par le gouvernement après la guerre en Ukraine, telles que le prétendu “bouclier énergétique” contre la hausse des factures d’énergie.
“Investir dans l’avenir signifie prendre le contrôle de nos dépenses publiques”, a déclaré le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, le mardi 17 octobre.
Le gouvernement prévoit une croissance économique de 1 % en 2023 et de 1,4 % en 2024. Il compte réduire le déficit public de 4,9 % du PIB cette année à 4,4 % en 2024 et 2,7 % en 2027.
Dans ce scénario, la dette resterait stable à 109,7 % du PIB en 2024 et baisserait à 108,1 % à la fin de la période quinquennale.
“Notre détermination est de maintenir une trajectoire des finances publiques claire”, comme le prévoit le Pacte de stabilité 2024-2027 de la France, qui définit les objectifs budgétaires à long terme des États membres de l’UE vis-à-vis de la Commission.
Le Maire de la France s’accroche au plan de réduction de la dette malgré la dégradation de Fitch
L’agence de notation Fitch sous-estime l’impact des nouvelles réformes structurelles récemment approuvées, notamment le projet de loi sur les retraites, a déclaré le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, après l’annonce de la dégradation de la note de crédit de la France par l’agence.
Projections optimistes
Cependant, un éventail d’économistes considère les projections comme optimistes.
“Normalement, le projet de budget est susceptible de rassurer les agences de notation à moins qu’elles ne remettent en question sa crédibilité”, a déclaré Eric Dor, directeur des études à l’IESEG School of Management, à l’AFP. Mais “les perspectives du FMI montrent que la consolidation budgétaire est bien plus lente que ce que le ministère de l’Économie français affirme”, a-t-il ajouté.
Le Haut Conseil des finances publiques français (HCFP), un organe de surveillance, a également exprimé des inquiétudes dans un rapport publié en septembre, déplorant les prévisions de Bercy comme “élevées” et “supérieures au consensus des économistes (+0,8%)”. La Banque centrale française a fixé ses prévisions à +0,9%.
Dans le même temps, le HCFP parle d’une réduction du déficit “optimiste” à 4,4 % du PIB en 2024, bien que “les dépenses continueront d’augmenter de manière significative en 2024, plus que ce que recommande l’Union européenne”.
Par conséquent, on craint qu’une procédure de déficit excessif (EDP) puisse être déclenchée dès le printemps prochain par la Commission.
Le budget 2024 de la France marche sur un fil tendu alors que la procédure de déficit excessif plane
Le budget 2024 de la France marche sur un fil tendu, avec le financement de la transition écologique et la lutte contre l’inflation passant avant la réduction de la dette publique – bien que le déficit élevé suscite des craintes que la Commission puisse déclencher une procédure de déficit excessif.
Tensions géopolitiques
D’autres facteurs pourraient conduire Moody’s et Fitch à dégrader leur perspective à “négative”, et S&P à abaisser sa notation.
Par exemple, Norbert Gaillard, un économiste, a déclaré à l’AFP que “la hausse des prix des matières premières due aux tensions géopolitiques pourrait peser sur la consommation des ménages et la croissance, et ne serait pas favorable aux recettes budgétaires”.
Il a également souligné “le risque d’une nouvelle augmentation des taux d’intérêt par la BCE (Banque centrale européenne) lors de sa réunion du 26 octobre”, ce qui viendrait s’ajouter à un fardeau de la dette déjà élevé.
Lors d’une intervention à l’Assemblée nationale française mardi, Le Maire a également évoqué les impacts économiques et budgétaires d’un conflit prolongé au Moyen-Orient.
En fin de compte, alors que la France prévoit d’emprunter un montant record de 285 milliards d’euros sur les marchés en 2024, les notations de crédit ont un poids considérable – et la France est prête à montrer qu’elle travaille dur pour les maintenir.