D’habitude, les rues sont propres, alors on reste un peu étonné en voyant les images qui proviennent des rues de Tokyo.
On peut y voir des sacs de McDonald’s s’empiler. Ils sont pleins, mais ce n’est pas la nourriture, pour une fois, qui intéresse les gens, mais de simples cartes Pokémon. Elles vont être revendues beaucoup plus chères.
Peut-on en vouloir à ces gens de vouloir faire du profit ? En tout cas, McDonald’s Japon a dû présenter ses excuses suite au fiasco de sa campagne marketing où ils offraient des cartes Pokémon en édition limitée avec les repas « Happy Meals ». Cette campagne a entraîné de longues files d’attente et une vague d’indignation sur les réseaux sociaux en raison du gaspillage alimentaire.

Les utilisateurs ont exprimé leur frustration sur X en indiquant “unhappy meal”, en raison de la difficulté à se procurer des repas pour leurs enfants.
Dans un monde capitaliste et une société de surconsommation, est-ce qu’on peut encore être choqué ? Apparemment, la réponse est oui, alors peut-être que notre conscience est encore en éveil… Tant qu’elle ne s’éteint pas, c’est qu’il reste de l’espoir.
J’ai interrogé Mr. Japanization, journaliste à Tokyo, spécialiste de la culture japonaise, pour avoir son regard sur cet événement.
Une vision triste d’un pays modèle à cause de McDonald’s
Nous avons l’habitude, en tant qu’Occidentaux, de voir les Japonais rigoureux en matière de propreté. On peut le constater avec l’éloge de la propreté de Tokyo ou même lors de leur nettoyage dans les activités sportives pendant les Jeux olympiques. Alors, quel regard pouvons-nous porter sur ce qui s’est passé chez McDonald’s avec les cartes Pokémon et tous les détritus laissés ?
Ces images de détritus alimentaires abandonnés en rue viennent bousculer notre vision occidentale d’un Japon « parfait » et propre. N’avons-nous pas tous en mémoire ces images de supporters nettoyant le stade après un évènement ? Cette représentation est réelle, mais elle est aussi en partie idéalisée.
La réalité du terrain, telle que je l’ai observée depuis plus d’une décennie au Japon, c’est que les comportements des Japonais sont parfois moins homogènes au Japon même. Mais cette pression sociale peut se fissurer rapidement. Dans certains cas, les comportements redeviennent tout simplement « humains », comme ici dans le cas de l’événement McDonald’s.
Cet événement ne remet pas en cause la culture japonaise de la propreté, mais elle nous rappelle que les Japonais sont avant tout des humains comme les autres et que sous certaines pressions sociales ou consuméristes, les normes peuvent soudainement éclater. Cependant, en dépit des images chocs, rappelons qu’il s’agit là d’une minorité de comportements hors normes.
Est-ce la quête de l’argent qui a vraiment été le leitmotiv, ou bien le rapport à la culture du manga ?
Pokémon est un symbole culturel profondément ancré au Japon. Et pourtant, le leitmotiv principal est bien financier. Quelques heures après le lancement de la campagne, des milliers de cadeaux Pokémon se retrouvaient en vente sur l’équivalent du “bon coin” japonais à des prix édifiants.
Mais dans un sens, c’est l’attrait pour la culture pop qui permet à ce marché de la revente d’exister. Les Japonais sont extrêmement occupés avec le travail et peu d’entre eux ont la chance de se rendre chez McDonald’s en pleine semaine pour une simple carte Pokémon…
Il est plus facile pour les collectionneurs ayant du pouvoir monétaire d’acheter directement chez un “scrapper” ! À mon sens, le fait que les Japonais sont globalement très occupés, avec peu de temps libre, explique en partie pourquoi l’événement fut de courte durée et pris d’assaut par des arrivistes. Ils savent parfaitement que la demande est là…
La propreté à la poubelle!
Est-ce que vous pouvez expliquer la contradiction entre les initiatives locales de nettoyage et le fait que le Japon soit le 8e émetteur mondial de gaz à effet de serre?
La question de la propreté est surtout une norme locale très rapprochée qui permet de maintenir le “vivre ensemble” et la paix sociale. La question plus globale de la pollution est une notion “macro-structurelle” qui échappe à la visibilité directe du citoyen Japonais.
La pollution reste une notion vague et peu palpable. Ainsi, les comportements au quotidien des Japonais sont particulièrement polluants et très peu se soucient des conséquences de leur consommation. Il manque un lien concret et visible entre l’action et l’externalité lointaine de sa conséquence. A contrario, la “saleté” est visible et fait peser une honte directe sur la personne qui jette un déchet dans la rue. Les Japonais répondent avant tout à l’image qu’ils donnent aux autres.
Le jour où polluer deviendra une honte assimilée à un niveau culturel, alors les Japonais prendront les mesures individuelles nécessaires pour changer leurs comportements.
Les différences entre le pays du Soleil levant et l’Hexagone
Pourriez-vous nous donner un exemple marquant qui pourrait paraître étonnant en France et qui ne l’est pas au Japon ?
J’aime citer le cas des écoles japonaises où ce sont les enfants, dès le primaire, qui nettoient eux-mêmes leur établissement (salles de classe, couloirs, toilettes, etc…). En France, cela surprendrait énormément ! Sans doute même que des parents protesteraient contre cet “asservissement” ?
Au Japon, via cette éducation élémentaire à la propreté, nettoyer son propre espace de vie n’est pas perçu comme une punition, mais comme une éducation morale vitale. On apprend ainsi la responsabilité dans la qualité de l’espace de vie de tous, le respect des lieux collectifs et surtout la solidarité du groupe : les élèves nettoient ensemble, ce qui oblige à mettre ses forces en commun ! Drôle de paradoxe dans une société pourtant très capitaliste et individualiste une fois à l’âge adulte. Peut-être que l’occident manque de « rites collectifs » ?
Je ne pense pas qu’on puisse donner des leçons ou juger, ce n’est pas le but, mais c’est tout de même étonnant que la nourriture ait été laissée à l’abandon. La plupart des gens l’auraient au moins donnée à des SDF. Cela ne se fait-il pas au Japon ?
Donner à des SDF ? Impensable au Japon ! Et c’est un des nombreux paradoxes d’un pays en noir et blanc. Les associations d’aide aux SDF sont rares et celles qui existent sont menées principalement par des groupes d’expatriés.
Pourtant, les sans-abri autour des gares sont tous japonais. Mais ceux-ci ne mendient pas et leur venir en aide est parfois perçu comme une atteinte à leur honneur. De manière générale, j’ai observé que les citoyens japonais, en dépit d’un aspect collectif marqué dans leur éducation, sont très socialement isolés et évitent tout contact avec les gens qu’ils ne connaissent pas, et dont la classe sociale diffère de la leur. Chacun semble enfermé dans une bulle de peur. Un paradoxe sachant que la criminalité est extrêmement basse.


