L’enquête nationale sur les gangs de prédateurs sexuels en Angleterre et au pays de Galles traverse une tempête avant même d’avoir commencé.
Quatre femmes, toutes survivantes d’abus, ont quitté le comité censé représenter les victimes. Leurs démissions jettent une ombre sur la crédibilité du projet lancé à grand renfort de promesses par le Premier ministre Keir Starmer.
Une enquête attendue depuis vingt ans
Annoncée en juin, la Commission indépendante sur les gangs de prédation sexuelle doit examiner les affaires d’exploitation d’enfants par des groupes d’hommes, souvent dans des villes du nord de l’Angleterre. Le gouvernement assure que cette enquête aura de vrais pouvoirs : convoquer des témoins, cibler certaines zones, et mener des investigations locales sur la base d’informations transmises par la police et les survivants.
Contrairement à d’autres commissions, celle-ci n’est pas supervisée par le ministère de l’Intérieur, mais par une association indépendante, le NWG Network, qui accompagne les professionnels travaillant auprès d’enfants victimes d’abus.
L’idée était de rompre avec la méfiance vis-à-vis de l’État et de garantir que les victimes soient entendues. Mais en pratique, la méfiance n’a fait que grandir.
Comment en est-on arrivé là ?
Le scandale des “grooming gangs” a éclaté en 2003 grâce aux révélations du Times. Depuis, il revient régulièrement dans le débat public, sans jamais vraiment disparaître.
Ces affaires concernent des groupes d’hommes, souvent d’origine pakistanaise, reconnus coupables d’avoir abusé de jeunes filles, principalement blanches, dans des villes comme Rotherham ou Rochdale.
Début 2024, le sujet est revenu sur le devant de la scène, en partie à cause d’Elon Musk, qui avait publiquement accusé le gouvernement britannique de ne pas agir.
Face à la pression médiatique et politique, Keir Starmer a finalement accepté de lancer une enquête nationale après les recommandations de Dame Louise Casey, experte en gestion de crises publiques. Cette dernière préconisait une série d’enquêtes locales coordonnées sous une direction nationale.
Les démissions qui font tout vaciller
Mais l’espoir d’une enquête crédible s’est effondré cette semaine quand quatre femmes du panel des victimes ont annoncé leur départ.
Elles dénoncent un processus opaque, un contrôle excessif de la parole des survivants et le risque de voir l’enquête s’éloigner de son objectif initial : les gangs organisés de prédateurs sexuels.
Dans leurs lettres ouvertes, elles accusent le gouvernement d’imposer des limites à ce qu’elles peuvent dire et à qui elles peuvent parler. Elles s’inquiètent aussi des profils proposés pour diriger l’enquête : un ancien policier et une travailleuse sociale, deux fonctions que les victimes associent souvent à des institutions qui les ont ignorées dans le passé.
Les deux candidats ont depuis retiré leur candidature.
“Ce n’est plus une enquête, c’est une couverture”
L’une des démissionnaires, Ellie Reynolds, a affirmé que l’enquête était devenue “moins une recherche de vérité qu’une opération d’étouffement”.
Le gouvernement dément catégoriquement toute tentative de dissimulation.
La ministre chargée de la protection de l’enfance, Jess Phillips, a déclaré que l’exécutif restait “pleinement engagé à révéler les défaillances systémiques”.
Mais le fossé se creuse : les quatre femmes exigent désormais la démission de Jess Phillips comme condition pour revenir à la table.
Elles l’accusent de “trahison” après ses propos jugés ambigus sur le périmètre de l’enquête.
Une querelle sur la portée même de l’enquête
Le cœur du désaccord est simple : faut-il se concentrer uniquement sur les gangs organisés ou élargir le champ à toutes les formes d’exploitation sexuelle d’enfants ?
Pour les survivantes, le mandat doit rester clair.
L’une d’entre elles, Fiona Goddard, a publié sur les réseaux sociaux un document envoyé par le NWG Network, rempli de “questions de réflexion” sur ce que l’enquête devrait accomplir.
Parmi elles : “Faut-il se concentrer sur les gangs de prédation ou adopter une approche plus large ?”
En colère, Fiona Goddard a directement interpellé la ministre Jess Phillips par message :
“Si cette enquête est censée porter sur les gangs, pourquoi parle-t-on soudain d’autre chose ? Tout est en train de dévier.”
Phillips lui a répondu qu’il s’agissait simplement de “consulter les survivants sur la direction à prendre”, tout en ajoutant :
“Je peux vous assurer qu’il n’y a aucune manipulation. Pour moi, cette enquête concerne bien les gangs, mais il faut que ce soit décidé collectivement.”
Un projet qui patine
Pendant que la colère monte, la recherche d’un président pour diriger la commission s’enlise. Cinq mois ont passé sans résultat. Dame Louise Casey, qui a rédigé la première évaluation, souhaitait que tout soit terminé en trois ans, un délai ambitieux pour une enquête de cette ampleur. Le gouvernement n’a pas encore fixé de calendrier officiel.
Certains députés conservateurs et plusieurs survivants demandent désormais qu’un juge prenne la tête de la commission. Keir Starmer s’y oppose, car il estime qu’un juge ralentirait tout le processus, car les enquêtes judiciaires doivent souvent attendre la fin des procédures pénales.
“L’enquête ne sera pas édulcorée”
Le Premier ministre a tenté de calmer le jeu au Parlement : “L’enquête ne sera pas affaiblie ni détournée de son but”, a-t-il promis.
Elle étudiera la religion et l’origine ethnique des auteurs, un sujet incontournable, et un nouveau président sera nommé “dans les plus brefs délais”.
Dame Louise Casey, elle, a accepté d’apporter son aide pour remettre le projet sur les rails.
Mais à ce stade, beaucoup doutent que les victimes reprennent confiance. Pour celles qui ont déjà vécu l’indifférence des autorités, chaque mot compte. Et chaque silence aussi.


