Shabana Mahmood, ministre de l’Intérieur du gouvernement travailliste, l’a dit : l’immigration illégale est en train de “diviser notre pays”.
Invitée dans l’émission de Laura Kuenssberg, elle a défendu une réforme promise comme la plus vaste refonte de la politique d’asile depuis des décennies, avec un objectif clair : reprendre la main et réduire ce qu’elle appelle les “facteurs d’attraction” du système britannique.
En face, l’opposition conservatrice juge ces annonces trop timides, tandis que les associations de défense des droits humains parlent d’un durcissement cruel et inefficace. L’ambiance politique est électrique, et l’asile est au cœur du débat public.
Shabana Mahmood veut “restaurer l’ordre et le contrôle”
À la télévision, la ministre a insisté sur deux lignes directrices : limiter l’attrait du Royaume-Uni pour les arrivées irrégulières, en particulier les traversées de la Manche en petits bateaux, et durcir les conditions d’accès aux aides sociales pour certains demandeurs d’asile.
Le ministère de l’Intérieur prévoit en effet de retirer l’obligation légale de fournir un logement et une allocation à une partie des personnes qui demandent l’asile. Seront visées les personnes autorisées à travailler, mais qui refusent de le faire et celles qui enfreignent la loi sur le territoire britannique.
L’idée affichée est de réserver l’argent du contribuable à celles et ceux qui participent à la vie économique et sociale du pays. Mahmood promet plus de détails dans un discours attendu le lundi suivant, présenté comme une pièce centrale de sa stratégie.
Pour elle, le Royaume-Uni reste un pays accueillant, mais la générosité aurait un effet pervers :
“Notre pays a une longue tradition d’accueil pour ceux qui fuient des dangers, mais cette générosité attire aussi des migrants qui traversent la Manche illégalement. Le rythme et l’ampleur des arrivées mettent une pression énorme sur les communautés”
Une réforme sur l’immigration inspirée du modèle danois
Ce durcissement ne sort pas de nulle part. Le gouvernement travailliste regarde de très près ce qui se fait en Scandinavie, en particulier au Danemark, réputé pour avoir l’une des politiques d’asile les plus restrictives d’Europe.
De hauts responsables du Home Office se sont rendus à Copenhague pour comprendre le fonctionnement danois. Dans ce modèle, les personnes reconnues réfugiées obtiennent un titre de séjour temporaire, souvent de deux ans. Elles doivent renouveler leur statut régulièrement et si leur pays d’origine est jugé assez sécuritaire, elles peuvent être renvoyées. Le chemin vers la citoyenneté est plus long et encadré et une loi adoptée en 2016 autorise la saisie de certains biens de valeur pour financer leur prise en charge.
Le Royaume-Uni, de son côté, accorde aujourd’hui le statut de réfugié pour cinq ans, avec possibilité ensuite de demander un droit au séjour permanent si certaines conditions sont remplies. Le Home Office promet désormais d’“aligner” le système britannique sur les standards les plus restrictifs d’Europe, et parfois de les dépasser : protection limitée dans le temps, soutien conditionnel, et attente plus forte en matière d’intégration.
Sur le terrain les chiffres sont en hausse et la colère monte
Les chiffres donnent une idée de la pression ressentie par le gouvernement.
Sur l’année se terminant en mars 2025 :
- 109 343 personnes ont demandé l’asile au Royaume-Uni.
- Cela représente une hausse d’environ 17 % par rapport à l’année précédente.
- Ce total dépasse même le pic atteint en 2002.
Dans le même temps, l’immigration est passée devant l’économie dans les préoccupations des électeurs. La montée du parti Reform UK, formation populiste dirigée par Nigel Farage, pousse les travaillistes à durcir le discours. Reform UK arrive parfois en tête dans les sondages d’intention de vote, et impose ses thèmes : expulsions plus rapides, réduction drastique des arrivées, sortie des cadres juridiques européens jugés trop contraignants.
Les manifestations devant les hôtels hébergeant des demandeurs d’asile se multiplient. Une partie de l’opinion s’exaspère des coûts, de l’hébergement financé par l’État et des retards dans le traitement des dossiers.
Les associations dénoncent un bouc émissaire
Plus de 100 organisations caritatives ont adressé une lettre ouverte à Shabana Mahmood. Leur message est d’arrêter de faire des migrants un bouc émissaire.
Elles dénoncent des mesures qui, selon elles, alimentent le racisme et la violence, un climat de suspicion généralisée à l’égard des personnes étrangères et une politique “spectaculaire” destinée à rassurer l’électorat le plus inquiet, plutôt qu’à résoudre les problèmes structurels.
La Refugee Council, une organisation importante dans le domaine, rappelle que les personnes qui fuient la guerre, les persécutions ou les violences ne comparent pas les systèmes d’asile pays par pays avant de s’enfuir.
Dans la majorité des cas, elles se tournent vers le Royaume-Uni car elles y ont de la famille, elles parlent un peu anglais et elles ont des liens ou des repères qui leur donnent une chance de recommencer une vie.
Pour ces associations, jouer sur les conditions matérielles ne dissuadera pas les personnes désespérées, mais rendra leur existence plus précaire et plus dangereuse.
Un pays qui se croit ouvert… mais se ferme davantage
En toile de fond, il y a l’image que les Britanniques ont d’eux-mêmes : un peuple tolérant, respectueux de la diversité, plus libéral que les Américains sur les questions de société. Or les sondages racontent une histoire différente.
Une récente étude du National Centre for Social Research a comparé les attitudes au Royaume-Uni et aux États-Unis. Sur les questions liées à la famille, à la sexualité ou à la religion, les Britanniques apparaissent plus permissifs. Mais sur l’immigration et la diversité, la tendance s’inverse. 42 % des résidents au Royaume-Uni se disent favorables à des actions légales pour expulser les personnes installées sans autorisation. Aux États-Unis, ils sont 33 % à tenir cette position. 64 % des Américains pensent que la diversité renforce la société alors qu’au Royaume-Uni, seuls 49 % partagent cette idée.
Les partisans de Reform UK se montrent même plus radicaux que beaucoup de soutiens de Donald Trump sur la question des expulsions. Cette donnée a de quoi bousculer le récit d’un Royaume-Uni plus ouvert et plus pluraliste que son “cousin” d’outre-Atlantique.
Les dérapages politiques et le malaise identitaire
Le climat politique actuel entretient ce malaise. Ces dernières semaines, plusieurs responsables politiques ont été accusés de jouer avec le feu. Robert Jenrick, député conservateur, a affirmé qu’il était difficile de voir des “visages blancs” dans certains quartiers du nord de l’Angleterre à forte population sud-asiatique comme Birmingham. La réalité statistique nuance fortement ses propos : les personnes blanches représentent encore près de la moitié des habitants de la ville et restent le plus grand groupe ethnique. Peu après, Sarah Pochin, élue de Reform UK, a déclenché une tempête en déclarant qu’il y avait “trop de personnes noires et asiatiques” dans les publicités télévisées. Elle raconte que cela “la rend folle” de voir des spots où elle ne voit “pas une seule personne blanche”.
Le Premier ministre Keir Starmer a mis en garde contre des déclarations qui “risquent de déchirer le pays”. Nigel Farage lui-même a pris ses distances, tout en disant qu’il ne la considérait pas comme “vraiment raciste”. Une phrase qui laisse planer une question : qu’est-ce qu’un “raciste authentique”, au juste ?
La BBC, Trump et la bataille de la crédibilité
Au milieu de ce débat, un autre coup secoue le paysage britannique : la tempête autour de la BBC et de Donald Trump.
Le directeur général de la BBC, Tim Davie, a démissionné après des accusations de manipulation d’un extrait vidéo de l’ancien président américain dans une émission de Panorama. Dans le montage contesté, Trump paraît appeler ses partisans, le 6 janvier 2021, à marcher sur le Capitole pour “se battre comme des damnés”.
Dans son discours original il dit d’abord qu’il accompagnera ses partisans “pour faire entendre leurs voix de manière pacifique et patriotique”. L’expression “fight like hell” intervient plus tard, dans un autre passage.
Les médias conservateurs, dont le Daily Telegraph, ont accusé la BBC d’avoir édité la séquence de façon à présenter Trump de manière plus dangereuse qu’il ne l’a été ce jour-là. À droite, beaucoup y voient la preuve d’un biais “libéral” systémique de la chaîne publique. La directrice de l’information, Deborah Turness, a également quitté son poste à cause d’un sentiment de partialité institutionnelle.
Pour une partie de l’opinion, cette affaire n’est qu’un épisode de plus dans la bataille pour le contrôle du récit : qui raconte l’histoire, et comment ?
Une société qui se sent fracturée
Une étude menée par le Policy Institute de King’s College London révèle que 84 % des personnes interrogées estiment que le pays est divisé. Ce chiffre ne cesse de monter : 74 % il y a cinq ans, 79 % il y a deux ans. La moitié de la population pense que la culture britannique change trop vite, en grande partie à cause de l’immigration. Les débats se durcissent sur le climat, les questions trans, la “woke culture”.
Le professeur Bobby Duffy, qui dirige l’institut, parle d’une augmentation “inquiétante” du sentiment de déclin national et de la perception de lignes de fracture partout. Une partie de la société est tournée vers l’avenir, ouverte sur le monde. Une autre se sent dépossédée et plongée dans une nostalgie intense pour un passé idéalisé.
Et pendant ce temps, Rishi Sunak disparaît des radars
Un dernier détail illustre l’ampleur du basculement politique : Rishi Sunak, ancien Premier ministre, se retrouve sur les bancs de l’Assemblée comme simple député… et semble ne plus intéresser grand monde.
Lorsqu’il prend la parole à la Chambre des communes, l’émission Politics Live de la BBC choisit ce moment pour conclure. L’animatrice lance, imperturbable :
“Nous arrivons presque à la fin de l’émission.”
Une manière involontaire de montrer que les centres de gravité ont changé : ce ne sont plus les anciennes figures du pouvoir qui occupent le devant de la scène, mais de nouveaux acteurs, de nouveaux partis, et un débat centré presque entièrement sur l’identité, l’immigration, et l’idée même de ce que doit être le Royaume-Uni.


