En Pologne, on tente de réparer ce que huit années de gouvernement populiste ont abîmé : le système judiciaire. Depuis l’arrivée au pouvoir du Premier Ministre Donald Tusk fin 2023, le ministre de la Justice, Waldemar Żurek, s’est vu confier une mission impossible : remettre un peu d’ordre dans un chaos soigneusement installé par le parti Droit et Justice (PiS).
Mais entre les résistances du président Karol Nawrocki, qui est un fidèle héritier de l’ancien régime, et la méfiance d’une partie du corps judiciaire, la bataille ressemble davantage à une guerre d’usure qu’à une réforme sereine.
Le Parisien Matin est allé enquêter à Varsovie pour vous apporter des réponses de la bouches des Polonais.
Le poison laissé par le PiS
Sous le règne du parti Droit et Justice (PiS), le Conseil national de la magistrature (KRS) a été pris d’assaut. En 2018, ses membres, autrefois élus par leurs pairs, ont été remplacés par des candidats triés sur le volet par le Parlement, contrôlé à 100 % par le parti. 2 500 juges ont donc été nommés ou promus dans des conditions jugées illégales par les plus hautes juridictions européennes.
« Le système a été infecté », tranche Waldemar Żurek. La formule a fait grincer des dents à Varsovie, mais elle résume bien le mal. Chaque verdict rendu par ces magistrats est désormais susceptible d’être annulé.
Une facture salée pour la Pologne
Ce bricolage politique a coûté cher. Très cher.
Bruxelles a suspendu les fonds européens, infligé des amendes colossales et exigé des réformes. Plus de 700 millions d’euros ont été perdus, sans compter les compensations aux victimes de procès biaisés.
En 2024, Donald Tusk a réussi un petit miracle diplomatique. Il a convaincu la Commission européenne de libérer 137 milliards d’euros d’aides, à condition de réparer la justice. Mais sans un président coopératif, même cet argent reste suspendu dans les limbes.
Żurek veut trier les juges sans tout faire exploser
Le plan de Żurek est méthodique :
- Les juges nommés par le KRS garderaient leur poste.
- Ceux promus grâce à ce conseil reviendraient à leur rang initial.
- Aucun ne pourrait siéger à la Cour suprême, aujourd’hui envahie à 60 % par ces juges « politiques ».
La présidente actuelle de cette Cour, Małgorzata Manowska, serait remplacée.
Żurek assure qu’il ne veut pas d’épuration. « Certains voulaient tout raser et traîner tout le monde devant des commissions disciplinaires. Ce n’est pas notre ligne. On veut réparer, pas venger. »
Mais la modération n’apaise pas les rancunes.
“Ne nous parlez pas de Nawrocki, s’il vous plaît”
Karol Nawrocki, élu à la présidence avec le soutien du PiS, se présente comme le gardien des institutions. En réalité, il est devenu le symbole de l’arrogance d’un pouvoir déchu.
Dans la rue, il cristallise la colère d’une partie de la population. Les rassemblements pro-européens de Varsovie le huent régulièrement, des pancartes affichent son nom barré d’un trait rouge, et dans les cafés, il est surnommé le notaire du PiS.
Sa popularité s’effondre. D’après un sondage fictif que l’on pourrait presque croire réel tant il semble évident, près de 60 % des Polonais disent ne plus lui faire confiance.
Même au sein de la droite traditionnelle, Nawrocki agace. Il passe pour quelqu’un de rigide, froid, sans humour, l’exact opposé du Tusk politique, capable de désarmer une salle par un mot. Là où Tusk incarne le pragmatisme européen, Nawrocki s’enferme dans un nationalisme de principe, un discours obsédé par la « souveraineté » et la « tradition », des mots qui sonnent creux après dix ans d’usure morale.
En Estonie, interrogé sur les réformes judiciaires, il a sèchement répondu que le ministre Żurek « violait la Constitution de manière brutale ». Une phrase qui résume tout : le président qui prétend défendre la loi contre ceux qui essaient de la restaurer.
L’ombre du vieux chef
Dans les coulisses, Jarosław Kaczyński, l’ancien chef du PiS, n’a rien perdu de sa verve. Il a promis que Waldemar Żurek « passerait de longues années en prison ».
Et ses alliés continuent d’agiter des accusations grotesques contre le ministre, comme cette histoire de crocodile qu’il aurait gardé chez lui, un prétexte risible et révélateur de la haine politique encore à l’œuvre.
« Ils essaient de me ridiculiser parce qu’ils ne peuvent plus m’intimider », confie Żurek.
Un pays divisé entre légalisme et survie
La Pologne se retrouve piégée entre deux feux :
- respecter une loi rédigée par ceux qui l’ont pervertie,
- ou désobéir à cette loi pour restaurer l’État de droit.
Jakub Jaraczewski, analyste du think tank Reporting for Democracy, résume le dilemme :
« On veut réparer un système cassé en suivant ses propres règles. C’est impossible. La Pologne adore la forme, les tampons, les procédures. Mais quand la forme tue le fond, c’est le pays entier qui se fige. »
Qui vit par l’épée…
En bloquant toute réforme, Nawrocki espère gagner du temps. Il croit qu’en paralysant Tusk, le PiS pourra reconquérir le pouvoir en 2027.
Mais cette stratégie de sabotage pourrait bien être son épée de Damoclès.
Car ceux qui ont asservi la justice à leur profit sont aujourd’hui prisonniers de leur propre système.
Les juges qu’ils ont nommés doutent. Les citoyens s’impatientent. Et la société, elle, a compris que la loyauté envers un parti n’est pas un projet de pays.
« Ceux qui ont tordu la loi pour dominer finissent toujours par tomber sous leur propre loi », confiait un magistrat de Varsovie.
Une maison fissurée qui prétend être solide
La Pologne avance à reculons.
Un gouvernement européen d’un côté, un président rétrograde de l’autre.
Deux légitimités qui se neutralisent.
Pendant ce temps, les dossiers s’accumulent dans les tribunaux, Bruxelles s’impatiente, et les Polonais, eux, continuent d’attendre qu’on leur rende la justice, pas celle du PiS, pas celle des deals politiques.
Le pays est une maison fissurée. Et tant que Nawrocki refusera de reconnaître les dégâts, aucun chantier ne pourra vraiment commencer.


