C’est l’histoire de Freda Josephine McDonald, dite Joséphine Baker, une femme icônique qui a non seulement marqué les esprits mais aussi le coeur de son public, au travers duquel elle vit toujours. Elle a su rassembler tous les enjeux sociopolitiques et culturels de son époque, insufflant un cri de liberté par son art et ses revendications.
Le Parisien Matin a le plaisir d’interviewer Jean-Pierre Hadida connu en tant qu’auteur, compositeur et producteur, qui s’empare de ce trésor de l’histoire française et en crée une comédie musicale qui a déjà fait parler d’elle lors de la première saison au théâtre Bobino.
Nous avons également eu l’opportunité de nous entretenir avec Brian Bouillon Baker, le fils adoptif de Joséphine Baker.
Joséphine Baker inspire Jean-Pierre Hadida
Vous êtes déjà connu suite au triomphe de la comédie musicale “Madiba” inspiré de la vie de Nelson Mandela , et vous revenez sur les devants de la scène en nous offrant un voyage dans la vie de Joséphine Baker. D’où vient cette passion pour les grandes figures de l’histoire?
“J’ai toujours été inspiré par les grandes figures de l’histoire, des rois de France comme à tous ceux qui ont fait le monde. J’ai lu leur histoire puis je les ai dessinés enfin j’ai avec la musique voulu les raconter à ma manière. Anne Frank, Nelson Mandela et dernièrement Joséphine Baker méritaient tellement qu’on les évoque avec des sons, des bruits et des chansons sur scène et à travers le spectacle vivant. Une façon de leur rendre hommage et de leur redonner la vie.”
Une fois que le laboratoire créatif est en marche, quelles sont les étapes clés à suivre et surtout à ne pas manquer?
“Concernant la grande Joséphine Baker, tout d’abord je lis et regarde tout ce qui existe sur le personnage, ensuite je me mets au piano et j’improvise pendant des heures et compose avec tous les souvenirs des films ou des lectures que j’ai sur l’icône des années folles.
Quand un refrain musical ou un thème accroche bien, je l’enregistre sur mon smartphone: Je garde ainsi des heures d’idées en stock. Ensuite je commence tableaux par tableaux et je dessine un story board qui reprend ce que j’ai retenu.
Après ce travail intense, je fais une pause et passe quelques mois sur d’autres projets. Et là je reprends tout, corrige, supprime, remets beaucoup de choses en question et commence à faire écouter les premières maquettes à mes proches. Je teste certaines idées et discute avec la future équipe créative que je vais mettre en place: la chorégraphe, l’orchestrateur, mon associée, bien sûr, Francine Disegni qui est ma première confidente et qui va s’investir beaucoup dans les costumes et les décors.
Puis j’approfondis les scènes et les dialogues. Une première mouture du livret va émerger avec les maquettes chantées (par moi-même). On va pouvoir vite se faire une idée de ce que sera le musical. Beaucoup de modifications et d’évolutions vont se succéder pendant plusieurs mois: Les conseils et les anecdotes de Brian, le fils de Joséphine, va apporter énormément d’authenticité et de saveur à l’oeuvre.
Et même si j’avais bien le musical dans la tête dès le départ, le monter devient un vrai travail d’équipe où chacun défend son poste avec talent et détermination.“
Joséphine Baker – Une grande dame qui a marqué la France
On ne saurait parler de Joséphine Baker sans la citer en tant que cinquième femme inscrite au Panthéon. Quelles responsabilités cela génère-t-il de traiter de manière artistique un personnage qui a eu un impact social et diplomatique si fort?
“Toute transmission est une responsabilité. La volonté de dire la vérité sans jamais la déformer. Dans le cas de Joséphine, sa vie est un véritable roman et chaque tranche de son existence opère comme une symphonie de surprises, de rebondissements et d’engagements.
Le message qu’elle laisse sur le plan philosophique est essentiel. C’est là qu’on doit être performant : raconter une histoire où s’alternent les ombres et la lumière, ponctuée de rencontres incroyables qui vont de Jean Gabin à Martin Luther King ou Grace de Monaco.
Un être aussi inspirant marque le respect et quand Brian qui a bien connu sa mère, a annoncé le soir de la générale à la vingtaine d’artistes et techniciens qui constituent l’équipe: « ma mère aurait aimé ce spectacle et le travail que vous avez tous fait » , nous ne pouvions pas avoir un meilleur compliment.”
Qu’en est-il de l’héritage populaire moderne, de cette femme avant-gardiste?
“Son héritage est à la fois puissant et fragile. Cette femme qui a été portée aux nues dans les années folles, qui a scandalisé par sa liberté et son audace les plus réactionnaires, a milité ensuite pour la Lica, la ligue contre l’antisémitisme.
Elle a caché des juifs pendant la guerre et est devenue espionne puis résistante. Elle a sauvé à sa façon l’honneur de la France, son pays d’adoption, à qui elle devait tout, disait-elle.
Ensuite elle a accompli son rêve de maman et de femme universelle en adoptant 12 enfants d’origines et religions différentes pour prouver à tous que les humains pouvaient tous être des frères et vivre en harmonie. Quand elle a été ruinée à la fin des années 60, et malgré son retour, son message a été un peu oublié. Ce n’est que récemment avec sa Panthéonisation que son parcours a été honoré voire même découvert par une nouvelle génération de françaises et de français.”
Votre collaboration avec la famille Baker devient une évidence, comment avez-vous ensemble, rassemblé et choisi les éléments scéniques à transmettre au public à propos des causes que Joséphine défendait , en restant authentiques?
“J’ai rapidement tissé une vraie collaboration puis une amitié avec Brian qui partage les mêmes valeurs que moi et un grand amour pour la musique en général. Devant le piano nous avons échangé de nombreuses idées et souvenirs sur des rythmes endiablés et débattu sur le monde qui change.
Ainsi avec Sabine Desforges, sa compagne tout comme avec sa sœur Marianne et son frère Jean-Claude nous avons mis en lumière des événements peu connus de la vie de Joséphine. Tant de choses ont été écrites vraies ou fausses qu’il fallait aussi faire le tri sur la vraie personnalité de la grande dame.“
Est-ce qu’en 2024 ses combats sont encore d’actualité?
“Malheureusement oui, plus que jamais. Et à l’heure de la “cancel culture” où certaines universités et l’idéologie woke efface des pans entiers de notre histoire, il faut être vigilant et continuer à prôner l’universalisme si cher à Joséphine Baker, à Martin Luther King à Nelson Mandela ou à tant d’autres qui luttent contre la division des femmes et des hommes et les replis identitaires.”
Ce musical est aussi un agréable cours d’histoire en musique, qui touche tous les âges. Comment votre équipe implique aussi la jeunesse et quelles sont les réactions les plus fréquentes?
“De nombreux professeurs de lycée sont venus avec leurs élèves voir le spectacle. Ils ont été captivé dès la première seconde par ce biopic musical. Cette histoire touche tout le monde, de toutes les origines, de toutes les couleurs, rassemble tous les partis politiques et pour certains, c’était leur « première comédie musicale », j’ai vu beaucoup d’émotion à la sortie de Bobino chez des jeunes filles françaises d’origine africaine fière de découvrir une nouvelle héroïne. Des leçons de courage, de franchise et de générosité sur une trame spectaculaire et musicale.”
Comment interpréter la vie de Joséphine Baker?
Quels ont été les critères du casting au-delà de la capacité à performer dans chaque discipline artistique?
“C’est vrai la comédie musicale est un art total où l’on exige des artistes d’être d’excellents chanteurs, danseurs et comédiens. C’est pourquoi de grandes auditions furent organisées pour déceler les personnages qui ont partagé la vie de Joséphine Baker.
Des centaines d’artistes ont répondu à l’appel et nous avons sélectionné ceux qui ont fait l’unanimité.
Ce fut le cas de Nevedya pour le rôle de Joséphine. Une artiste très charismatique qui a reçu à notre grande fierté, pour le rôle de Joséphine, le prix de la révélation féminine au Trophée de la comédie musicale en 2023.
Elle incarne à merveille une Jeune Freda Mac Donald (premier nom de Joséphine Baker), danseuse débutante originaire de Saint Louis Missouri tout comme celle qui en tenue d’officier de l’armée de l’air décorée, est venue soutenir son ami Martin Luther King en 1963 à Washington. Une occasion de chanter l’hymne gospel écrit pour le spectacle « I have a dream » que Nevedya a créé avec émotion sur la scène de Bobino.”
Les aventures de Joséphine Baker repartent pour une saison riche en émotions au Théâtre Bobino, quelles seront les nouveautés ?
“A partir du 16 octobre 2024 jusqu’au 29 janvier 2025, Joséphine Baker le musical marquera aussi le centième anniversaire de l’arrivée à Paris de Joséphine Baker.
Le spectacle à cette occasion prendra une nouvelle dimension avec davantage d’artistes sur scène, une nouvelle ouverture, des chansons rajoutées et de nouveaux tableaux. Bobino fut la salle où elle fit son retour triomphal en 1975. C’est toujours dans cette salle magique au métro
« Gaîté-Joséphine Baker » que reprend la comédie musicale.”
L’âme de Joséphine continue de rayonner à Paris, sera-t-il de même pour le reste de la France ?
“Plus de 25 dates partout en France vont être programmées ; Je peux déjà citer Valenciennes, Dax, Calais…”
Brian Bouillon Baker – l’héritier de Joséphine Baker
Merci de nous faire le plaisir de participer à cette interview.
Pourriez-vous nous révéler quel regard vous portez envers Joséphine la mère et Joséphine Baker l’artiste?
“Ma mère était une maman très protectrice. Elle ne voulait pas que nous devenions des artistes comme elle, trouvant ce métier très difficile et très injuste. Ayant connu beaucoup d’artistes très talentueux- plus qu’elle, disait-elle et qui échouèrent dans la vie, elle ne voulait pas que nous suivions sa trace. Elle pouvait être sévère mais avait une grande tendresse pour sa tribu arc-en-ciel et appréciait beaucoup la solidarité qui régnait avec mes frères et sœurs.
Elle parlait peu de sa vie d’artiste, aussi c’est seulement quand nous sommes devenus adolescents que nous l’avons découverte enfin sur scène à Monaco puis Bobino. Elle pensait de toute façon que nous préférions le rock et les yéyés à son style de musique. Nous avons tout de même été bien bluffés de savoir que Mick Jagger, notre idole, était venu assister à sa première de Bobino.”
Que dirait-t-elle de ce spectacle et de la manière dont vous avez tous su travailler ensemble? Il n’est pas inconnu qu’il est difficile de trouver des équipes de confiance dans le showbusiness.
“Elle aurait été très fière de voir un spectacle qui lui rend hommage et retrace sa trajectoire de vie en chanson. Elle aurait salué ce spectacle mémoriel et vivant et aurait été très émue de voir tous ces jeunes artistes sur scène se donnant corps et âmes pour raconter son histoire. Avec une énergie digne d’elle.“
Elle a été interprétée par une nouvelle génération de femmes talentueuses, notamment à la cérémonie du Casino de Paris par Lorena Masikini et Nevedhya dans le musical. N’est-ce pas difficile de partager ce patrimoine avec le monde et de le voir revivre à travers des tiers ?
“Oui c’est difficile car ma mère débordait d’énergie et était un personnage hors du commun. Je me souviens que Nicole Rochelle avait fait aussi une belle interprétation de ma mère dans la pièce de Savary et Nevedya aujourd’hui porte très haut le rôle que Jean-Pierre lui a confié. Son charisme et son talent sont du niveau de ma maman. Elle se révèle être une grande meneuse de revue.”
Un petit mot doux pour Joséphine Baker et pour Le Parisien Matin
Un dernier mot pour nos lecteurs, Jean-Pierre?
“Joséphine Baker le musical est une expérience à vivre. Une femme attachante et inspirante qui nous délivre un message humaniste et plein d’espoir. Nous sommes impatients de vous recevoir avec les artistes à Bobino en octobre pour partager avec vous sa belle histoire en musiques et en chansons.“
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