Dans La Pythie vous parle, publié en novembre 2024, Liv Strömquist renoue, après “Astrologie” avec son engagement et son érudition qui la caractérisent en tant qu’autrice.
Elle poursuit son exploration des mécanismes sociaux qui façonnent nos croyances et comportements. Après avoir analysé l’amour sous l’angle des influences culturelles dans Même la Rose la plus rouge s’épanouit, elle s’attaque cette fois au développement personnel et à l’industrie du bien-être.
Liv Strömquist : Faussement candide, réellement documentée
Après avoir décortiqué dans “Même la Rose la plus rouge s’épanouit” comment notre vision de l’affaire amoureuse est transformée, formatée et conditionnée par la société, Liv Strömquist conduit ici à nouveau ses lecteurs et lectrices à l’émancipation.
Les guides de développement personnel et autres gourous du bien-être sont écorchés, au travers de sept principes que l’on voudrait encadrer chez soi pour ne jamais les oublier, par l’oeil acerbe et documenté de la diplômée en Sciences politiques.
Punk et pointue dans ses recherches, la Suédoise convoque Eva Ilouz, sociologue Stromquistienne par excellence, pour provoquer le questionnement et illustre ses conclusions par des figures plus pop telles que Nicole La Pera “parce que j’aime bien dessiner son collier bohème”. C’est précisément ce genre de phrase candide qui construit, toujours plus solide, le style Stromquist.
Telle l’enfant dans les “Habits neufs du Grand Duc” d’Andersen, Stromquist feint l’insouciance pour laisser à son lectorat la place de la réflexion individuelle.
Le Meilleur conseil de Liv Strömquist : “Ne suis les conseils de personne”
Dans notre chapitre préféré “Ne suis les conseils de personne”, elle fragilise, par une approche de biais, la démarche même du développement personnel. Devenu machine à cash de psychologues qui excellent à développer chez leurs patients l’auto-apitoiement, la tendance bien-être devient une nouvelle illustration de l’individualisme.
“La culture thérapeutique qui prétend avoir comme objectif premier de guérir les gens doit en même temps créer un narratif où le soi est défini par la souffrance et le sacrifice”. Elle cite ici Eva Ilouz et clarifie avec une efficacité confondante la logique capitaliste derrière la prolifération des manuels visant à auto-soigner des malades imaginaires.
Soigner son propre mal-être devient l’affaire ultime de chacun et justifie toutes les ingratitudes. La non-violence ne concerne plus que la forme et autorise toutes les brutalités tant qu’elles sont dites “avec bienveillance” (comprendre “sans hausser la voix”).
Au prétexte de “prendre soin de soi”, nous nous éduquons et grandissons dans l’idée, non plus d’être uniques, mais d’être exceptionnels. “Si jamais je prends soin de moi, alors, chacun devrait en faire autant, en prenant soin…de moi”. C’est en substance l’absurde message martelé par ce type de philosophie.
Mais la lucidité de l’ouvrage ne s’arrête pas là. Cette vague du bien-être et du développement personnel ne se borne pas à véhiculer des postures auto-centrées.
Car si nous nous arrêtions à suivre joyeusement une tendance à l’égocentrisme, celles et ceux d’entre nous qui ont “la chance” de naître avec cette caractéristique pourraient au moins aspirer au bonheur. Mais la compétition impitoyable qui nous amène à lutter les uns contre les autres se retourne aussi vers nous-mêmes et tout, même la joie, l’amusement, le sexe s’intègre dans la discipline qui fait du bien-être une ascèse, une performance, une course.
Des idées ambitieuses derrière un dessin naïf
Et tout le message, riche, complexe, de Liv Stromquist ne serait rien sans ses dessins faussement enfantins, toujours acides, d’un trait dans lequel on reconnaît parfois une parenté avec Trey Parker et Matt Stone, les créateurs de South Park et de l’injustement méconnu “Team America”.
Les couleurs gentiment acidulées ou pastels, le trait parfois épais, apparaissent ici comme le canal d’une volonté à désamorcer l’aspect ardu de la lecture des philosophes et sociologues chez lesquels elle mène ses recherches.
Lire Liv Stromquïst, c’est accepter d’être apprivoisé.e vers une réflexion caustique, ambitieuse et tournée vers la vie. Mal dit, le message pourrait être d’une niaiserie confondante et flirter avec ce qu’elle dénonce. Mais son intelligence redoutable protège le lecteur du cynisme. Ouvrir un de ses livres, c’est attendre le divertissement, le trouver et se rendre compte en le refermant qu’on a aussi trouvé de quoi être plus libre.