Selon le baromètre annuel du Cevipof, la méfiance des Français envers la politique atteint des sommet : 68 % des Français estiment que « la démocratie ne fonctionne pas bien ».
Pourtant, à l’approche des élections européennes, la tête de liste du Parti de la Rose défie, contre toutes les attentes, et se positionne en bonne place face à Bardella et Hayer. Il crée la surprise dans les sondages pour les Européennes de 2024. Raphaël Glucksmann, candidat socio-démocrate, prend la troisième place dans les sondages.
Qui est Raphaël Glucksmann, tête de liste PS ?
La tête de liste socialiste œuvre à défendre un positionnement pro-européen, hostile à la Russie. Mais il doit composer avec les attaques de plus en plus frontales de ses adversaires, à gauche et au centre.
À 44 ans, la tête de file du Mouvement citoyen et parti politique, Place Publique souhaite agir face « aux urgences écologique, démocratique, sociale, féministe et européenne », comme indiqué sur son site. Co-présidé par Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq, le parti a pour but de « contribuer au rassemblement des forces de gauche et écologistes » au nom de principes tels que la « transparence », la « distance radicale vis-à-vis des lobbies » ou « la probité ».
Raphaël Glucksmann, essayiste et écrivain, homme engagé, plaide pour la mise en place d’un « protectionnisme écologique aux frontières européennes » ainsi que la transformation de l’Union européenne en une « puissance politique et budgétaire » taxant les hauts patrimoines et pouvant « lever l’impôt ». De son côté, le PS a validé en décembre un programme en vue des européennes, dont les mesures visent à « faire basculer l’Europe du néolibéralisme au socialisme écologique » en taxant notamment les superprofits et entreprises polluantes. Raphaël Glucksmann défend une vision de la France cosmopolite, ouverte sur l’autre et historiquement en quête de l’abolition des privilèges.
Raphaël Glucksmann : Effroi chez Macron et… Mélenchon !
Pour la première fois depuis 2014, le Parti socialiste (PS) pourrait dépasser les 10% lors d’une élection nationale. Hors sénatoriales et scrutins locaux, le parti enchaîne depuis une décennie les déconvenues électorales. Alors, lorsque les sondages en vue des élections européennes du 9 juin prochain ont commencé à frémir pour Raphaël Glucksmann, en janvier, les socialistes entraperçoivent une éclaircie.
Depuis quelques semaines, celui qui était déjà la tête de liste du PS et de son petit parti, Place publique, en 2019, profite d’une bonne dynamique dans les enquêtes d’opinion. En meeting à Nantes, samedi 13 avril, l’essayiste bénéficie d’intentions de vote à deux chiffres : 11,5% d’après l’institut Ipsos le 11 mars ; 13% selon Harris Interactive le 20 mars ; ou encore 12% avec Elabe le 8 avril. De quoi créer la surprise parmi ses rivaux, les Républicains et le Rassemblement National. Selon une étude du 10 mars réalisée par Ipsos pour cette même fondation, Raphaël Glucksmann peut facilement bénéficier d’un report de voix de gauche et du centre si l’on s’en réfère au premier tour de la présidentielle de 2022. De quoi faire trembler la gauche de Mélenchon et ravir la droite.
Il ne faut pas non plus négliger les autres « victimes » de cette percée, en l’occurrence Jean-Luc Mélenchon et les Verts, tout comme la macronie, La France Insoumise (7,5 % dans l’étude Elabe) et Europe Écologie Les Verts (8,5 %) se sont révélés eux aussi incapables d’anticiper le phénomène Glucksmann. Lequel phénomène politique profite un max de deux épuisements tout aussi politiques.
« Ces bons sondages ne nous étonnent pas, c’est la preuve que la cohérence politique que nous portons et les propositions que nous faisons répondent à une attente », se félicite Pierre Jouvet, porte-parole du candidat et membre de la liste. « On est dans un duel, mais on va peut-être passer à un trio avec Raphaël Glucksmann, si ça continue comme ça. Il peut arriver devant Renaissance », estime pour sa part un cadre du Rassemblement national (RN), alors que la campagne de la macroniste Valérie Hayer stagne sous les 20% d’intentions de vote. Elle se retrouve très loin du RN de Jordan Bardella, plusieurs fois mesuré à plus de 30% dans ces sondages.
Glucksmann trouve du soutien chez les déçus de Macron et Mélenchon
Comment expliquer que le candidat de la gauche sociale-démocrate soit parvenu à prendre de l’avance sur ses concurrentes insoumise et écologiste, Manon Aubry et Marie Toussaint, souvent créditées de moins de 9% d’intentions de vote ?
Dans une publication récente, la Fondation Jean-Jaurès, classée à gauche, s’est penchée sur les soutiens de la tête de liste socialiste. « Une partie de l’électorat d’Emmanuel Macron passe chez Raphaël Glucksmann parce qu’elle est déçue par les politiques menées au niveau national (sur les retraites, sur l’écologie, sur l’immigration et sur le féminisme), analyse le politologue Antoine Bristielle dans cette note. Une partie de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon passe chez Raphaël Glucksmann parce qu’elle est déçue des prises de positions de LFI sur les sujets internationaux, et en particulier sur l’Ukraine et sur le Hamas. ».
Face à Jordan Bardella, le candidat socialiste pourrait donc bénéficier d’un « vote utile » au détriment du centre et de la gauche radicale. Pour contrer cette percée, ses concurrents le ciblent de plus en plus, avec des angles d’attaque propres à chaque liste. Les Écologistes-EELV insistent sur les votes des socialistes au Parlement européen, qui seraient en contradiction avec ce qu’ils défendent lors de cette campagne. « Au Parlement européen, les socialistes votent pour la PAC, pour les accords de libre-échange et pour les méga-camions », a ainsi dénoncé Marie Toussaint sur France 2, lundi soir, ce que contestent les socialistes.A titre d’exemple, le groupe d’eurodéputés socialistes a massivement voté pour l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, en novembre 2023, mais pas Raphaël Glucksmann et ses collègues socialistes français, qui ont voté contre.
Raphaël Glucksmann : Les tacles des écologistes
Dans le même temps, certains écologistes reconnaissent au candidat soutenu par le PS un positionnement « clair » : « Raphaël Glucksmann parle notamment d’un sujet : les droits humains. C’est un peu le sujet de ces élections, on est en pleine guerre, il y a des ingérences… Il dit : « Poutine est méchant, il faut aider les Ukrainiens ! »», résume une cadre des Écologistes, qui n’oublie toutefois pas de le tacler. « Sur les autres sujets que l’Ukraine et les droits humains, c’est vide, il envoie les autres parler ! », déclare, quant à elle, une cadre des Écologistes-EELV à Franceinfo.
Raphaël Glucksmann est un camouflet pour Mélenchon
Les chiffres, là encore, éclairent la réalité politique : sur 100 futurs bulletins Glucksmann, trente-huit s’apprêtent à « quitter » Jean-Luc Mélenchon. Plus inquiétant encore pour le « lider maximo » de LFI, 25 % de ses électeurs de la présidentielle 2022 s’apprêtent à soutenir Raphaël Glucksmann. Ils lui reprochent désormais tant de choses et surtout sa violence qui ne cesse de grandir, son soutien à peine dissimulé au Hamas, le laisser-aller et la vulgarité des députés Insoumis. Dans la besace du candidat social-démocrate, qui n’a jamais démordu de son hostilité à la Nupes et qui profite aujourd’hui de cette cohérence, on compte désormais plus de « déçus » du mélenchonisme que du macronisme. Glucksmann ou la double sanction !
Cela le contraint d’ailleurs à « gauchir » et à « verdir » un tant soit peu sa campagne en exigeant par exemple « une taxation des plus riches au niveau européen pour financer la transition écologique et sociale ». Une façon très indirecte de répliquer aux Insoumis qui n’hésitent jamais à taper sous la ceinture et qui rappellent, vidéo à l’appui, qu’en 2007, le très jeune Raphaël, 27 ans alors, avait eu l’outrecuidance d’accompagner son père, le philosophe André Glucksmann, à une réunion de… Nicolas Sarkozy. Raphaël Glucksmann a vite appris à donner lui aussi des coups.
En réponse, La France insoumise n’est pas tendre avec le candidat social-démocrate. « C’est stupéfiant, il va faire un meeting à Toulouse et on ne sait pas ce qu’il pense de l’A69 entre Castres et Toulouse », ironise un cadre de LFI, qui voit la popularité de l’eurodéputé décliner. Comme le rapporte France Bleu, le candidat « a rappelé l’opposition de Place publique à ce projet d’autoroute, assumant ses divergences avec Carole Delga [la présidente socialiste de la Région Occitanie] sur ce point ».
Le mouvement de gauche radicale dénonce également la position de la liste socialiste sur le conflit israélo-palestinien. Raphaël Glucksmann a refusé, notamment sur le plateau de « Quotidien », mi-mars, de parler de « génocide » en cours à Gaza. Il préfère évoquer un « carnage », une distinction sémantique souvent pointée par les troupes insoumises. « Sur Gaza, il s’est fait attraper », veut croire le même cadre de LFI, qui voit un lien avec une légère baisse de popularité sur les réseaux sociaux.
Renaissance a changé de stratégie face à Glucksmann
Pour tenter d’installer un duel entre ces deux visions de la gauche, la tête de liste LFI, Manon Aubry, lui a adressé une lettre ouverte, début avril, sur le modèle de l’échange épistolaire entamé en janvier entre Raphaël Glucksmann et François Ruffin. Cette lettre n’a, à ce jour, pas reçu de réponse du camp socialiste.
De son côté, le camp présidentiel a opéré un changement de stratégie. Au début de la campagne, Valérie Hayer a cru bon d’insister sur la proximité politique, au Parlement européen, entre la majorité et le candidat du PS. « Avec Raphaël Glucksmann, on vote à 90% de la même façon (…) Il devrait être avec nous et il le sait », avait alors déclaré la tête de liste Renaissance, fin février. « Parler des votes en commun avec lui, c’est dangereux. Il aurait fallu le faire il y a six mois », déclarait alors un député macroniste, qui craignait de voir l’aile gauche de la majorité filer vers le PS.
« Un suicide stratégique, ont aussitôt fait savoir des proches du président. Elle l’a ainsi rendu acceptable pour une partie de notre électorat ». Cette partie de l’électorat Macron qui dit vouloir s’en aller parce qu’il ne supporte pas le virage droitier du pouvoir. Cette partie de l’électorat qui n’a pas pardonné la loi immigration et qui entend profiter des élections européennes pour le rappeler. Cette partie de l’électorat qui, sous le coup d’une colère qui ne passe pas, restera cette fois insensible au « coup » du vote utile, du vote anti-RN.
Pour la majorité présidentielle, la priorité serait donc sur le point de changer : il ne s’agirait plus de réduire au maximum l’écart avec l’extrême droite, mais d’éviter une traumatisante troisième place.
Depuis, Renaissance préfère concentrer ses attaques sur les supposées contradictions de l’essayiste. « On ne peut pas voter pour Jean-Luc Mélenchon aux législatives et défendre l’Ukraine ensuite », appuie fortement un stratège de la campagne macroniste.
Les élus de Renaissance pointent aussi sa position tiraillée dans un parti divisé entre le camp d’Olivier Faure, défenseur d’une union de la gauche, et ceux de Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy, réticents, voire hostiles, à la Nupes et ses futurs avatars. « Les socialistes peuvent avoir des grandes divisions et se rassembler dans des moments d’importance », allègue son porte-parole, Pierre Jouvet. Reste que chaque courant du PS voit dans la progression de Raphaël Glucksmann le signe que c’est bien sa ligne qui doit s’imposer au sein du parti après le scrutin.
Raphaël Glucksmann doit éviter l’essoufflement
En attendant le verdict des urnes, son équipe se refuse à faire des « coups » médiatiques, à l’image des ralliements de l’ex-filloniste Malika Sorel au RN ou de la juriste pro palestinienne Rima Hassan chez LFI. Raphaël Glucksmann va continuer à occuper le terrain avec, « chaque semaine, des mises en valeur particulières du programme », projette Pierre Jouvet, alors que la liste socialiste, déjà connue, n’a pas de surprise à offrir.
Son équipe de campagne se veut très prudente sur la tournure que vont prendre les deux prochains mois, car « toutes les élections se cristallisent à la fin », rappelle le porte-parole. « C’est dans les trois dernières semaines que l’élection se fait », estimait également fin mars Pieyre-Alexandre Anglade, directeur de campagne de Valérie Hayer, lors d’une conférence de presse.
Chaque camp est bien conscient qu’une dynamique électorale peut être éphémère, fragile et très vite s’épuiser, à cause d’un débat raté ou d’un thème moins porteur. Après avoir dépassé les 10% dans les sondages en 2019, la tête de liste LR, François-Xavier Bellamy, avait finalement recueilli seulement 8,48% des suffrages lors du précédent scrutin européen. S’il peut espérer doubler son score d’il y a cinq ans (6,19%), Raphaël Glucksmann va, lui, devoir tenir la distance pour éviter que le soufflé ne retombe.