“Les enseignants sont flemmards, ils ont 16 semaines de congés par an et le reste du temps, ils sont en formation” – Nous avons tous entendu quelqu’un dire ouvertement, avec un certain mépris, qu’être enseignant rimait avec détente.
Pourtant, les enseignants sont de plus en plus nombreux à exprimer leur insatisfaction. En 2022, un sondage révélait que 73% des enseignants du primaire n’étaient pas satisfaits de leur situation professionnelle.
En effet, le personnel enseignant fait face à de plus en plus d’obstacles : Des salaires stagnants, des classes surchargées, des formations peu pratiques, un manque de respect de la part des parents et des élèves et bien sûr, l’impression que même l’Education Nationale ne les soutient pas.
Nous avons eu le plaisir d’échanger avec RIP-éduc, enseignant et créateur du blog éponyme qui décrit le malaise de nombreux enseignants avec réalisme et un peu d’humour.
L’Éducation nationale n’est plus l’alliée des enseignants
Cette année, les enseignants ont dû faire classe dans des températures dangereuses pour leur santé et celle des élèves. Aucun budget n’a été mobilisé pour garantir un cadre sûr.
La réponse du ministère ? Transférer la responsabilité sur les enseignants eux-mêmes, en leur demandant simplement de faire boire les élèves et de les garder à l’ombre. Plus insidieusement, l’Éducation nationale a tenté de leur faire croire que ces conditions insoutenables étaient un « bien » pour les enfants.
RIP-éduc confirme: “Durant la canicule, on nous répétait que certains élèves auraient peut-être encore plus chaud dans leurs logements insalubres, donc que nos 35 degrés en préfabriqués leur seraient « plus salutaires ».”
L’Éducation nationale tente souvent de capitaliser sur la passion que les professeurs ont pour leur métier et l’attention qu’ils portent à leurs élèves.
Très similaire à un employeur abusif, l’EN fait culpabiliser les fonctionnaires sur le terrain:
“Je pense que l’Éducation nationale ne tourne que grâce à la bonne volonté de ses salariés. Les enseignants sont souvent d’anciens bons élèves qui ont gardé cette envie ardente de bien faire.
Si vous leur demandez de faire deux fois mieux avec trois fois moins, ils bougonneront, mais finiront par s’exécuter. Et s’ils rechignent, on leur rappellera que “les enfants n’ont pas à pâtir de la gabegie structurelle” – c’est une forme de chantage affectif institutionnalisé.” explique RIP-éduc.
Un métier que l’on adore jusqu’à l’écoeurement
Le budget de l’EN est en croissance, et pourtant les professeurs doivent constamment assumer des responsabilités en plus. Dans le cas de l’éducation inclusive, certains se retrouvent dépassés car ils ne sont pas formés pour gérer les besoins spécifiques de certains élèves.
“Le métier perd effectivement son sens. Je me sens parfois totalement impuissant face aux élèves : classes surchargées, élèves à besoins particuliers sans accompagnement… J’ai déjà eu un élève avec un autisme sévère, sans AESH. Il pouvait se lever brusquement, saisir un camarade et l’envoyer valser sur une table. ” Se souvient RIP-éduc.
Cette sur-responsabilisation pousse les enseignants à endosser un rôle qui dépasse largement l’instruction: celui de parent, d’éducateur moral et de soutien psychologique.
Pourtant, ils ne disposent ni du temps ni des ressources pour répondre à ces attentes.
“Pour certains élèves, l’école est le seul lieu d’apprentissage, au sens large : culture générale, savoir-être… Or, avec 4 heures par semaine et des classes à 30, je n’ai pas le sentiment de pouvoir faire la différence. Bien sûr, j’essaie du mieux que je peux, mais le manque de moyens est flagrant.” raconte le blogueur.
Paradoxalement, la gratitude pour ceux qui soutiennent les citoyens de demain n’est pas toujours au rendez-vous.
“Le mépris pour notre profession est constant. Il vaut mieux éviter de lire les commentaires sur les réseaux sociaux… Beaucoup d’enseignants n’osent même plus dire leur métier, tant les réactions sont dévalorisantes. C’est triste.” confie RIP-éduc.
Des contractuels pour ne pas se confronter aux vrais problèmes
L’Éducation nationale ne semble pas prête à se remettre en question. Elle préfère embaucher des contractuels pour pallier le manque d’effectifs, sans réfléchir aux causes profondes du désengagement.
Aujourd’hui, un enseignant sur dix est contractuel, une solution de court terme pour masquer la crise.
“La situation va empirer. Aujourd’hui, la priorité, c’est d’avoir “un adulte devant les enfants, quel qu’il soit”. On voit des sessions de job dating pour recruter des enseignants en 30 minutes. Ou encore des académies qui proposent à des enseignants d’une discipline de basculer sur une autre pour combler le manque d’effectifs.” raconte RIP-éduc.
“Plus personne ne veut exercer ce métier sans revalorisation, sans perspectives d’évolution ou de mutation. Être professeur aujourd’hui, c’est parfois rester coincé 20 ans dans l’académie de Créteil ou Versailles, sans possibilité de rentrer chez soi, avec des loyers exorbitants.
Alors beaucoup préfèrent devenir vacataires : moins payés, mais proches de chez eux. Jusqu’au jour où ils ne sont pas renouvelés, car le besoin disparaît. Et avec la baisse démographique actuelle, ce scénario risque de se répéter.” prédit-il.
Une image des professeurs en vacances qui est erronée
Interrogé sur cette image du professeur paresseux, RIP-éduc déconstruit ce stéréotype avec justesse :
“Cette idée reçue vient du fait que tout le monde a été élève. Et chacun pense que son expérience est représentative. Mais de la même manière que prendre le bus ne nous apprend pas à le conduire, avoir été écolier ne rend pas plus savant sur le fonctionnement du système scolaire.
Les gens retiennent surtout les vacances. Or, pour un enseignant, ces vacances sont aussi un temps de préparation et de correction. D’autant que les programmes changent régulièrement : l’improvisation, ça n’existe pas.”
En effet, derrière chaque cours, sortie ou projet pédagogique, se cache un temps de préparation invisible pour le grand public. Un travail rarement valorisé, encore moins par les figures politiques :
“Rappelez-vous Nicolas Sarkozy et ses « six mois de vacances »… Maintenir cette image de l’enseignant fainéant sert les intérêts du gouvernement. Si la société voyait la réalité de nos conditions de travail, elle serait dans la rue dès demain. D’ailleurs, beaucoup d’enseignants considèrent que leurs vacances sont la dernière chose qu’il leur reste. Si elles disparaissent, il n’y aura plus rien qui retienne la majorité d’entre nous.” explique RIP-éduc.
Et si on écoutait enfin les enseignants ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que les enseignants ne croient plus à une Éducation nationale qui les place en priorité mais ils ont encore des idées pour rénover un système injuste.
RIP-éduc acquiesce : “Je vais paraître utopiste, car je ne me fais plus d’illusions. Quand je vois la convention citoyenne sur les temps de l’enfant, qui convoque 140 inconnus sans expérience de l’enseignement, je ris jaune. Mais si je devais citer des mesures utiles :
- Revalorisation salariale réelle, avec rattrapage du point d’indice. C’est ce qui rendrait le métier attractif. Pourquoi être professeur de maths quand on peut être ingénieur ?
- Allègement des effectifs par classe. 30 élèves, c’est de l’élevage en batterie. 20 à 22 serait un maximum.
- Révision du système de mutation. Il n’est pas normal d’être coincé 20 ans dans un département non choisi.
- Recrutement massif et revalorisation des AESH. Leur travail est indispensable, et pourtant ils sont sous-payés et en nombre largement insuffisant.”
Les enseignants sont presque contraints à quitter une carrière qu’ils aiment
Les enseignants voient leur travail comme un “métier passion” mais à cause de ces failles systémiques, ils sont aussi nombreux à envisager d’autres voies.
Cette année, j’ai rencontré plusieurs professeurs en situation de burn-out, d’autres qui aiment profondément enseigner mais se demandent chaque jour ce qu’ils pourraient faire d’autre, et enfin une enseignante qui, en pleine reconversion, a dû quitter sa classe devenue invivable au niveau du comportement après deux mois.
La DARES estime qu’environ 5% des enseignants changent de métier dans les 5 ans, et un sur quatre envisage de quitter l’Éducation nationale. Un constat clair : les enseignants aiment leur métier, mais n’en peuvent plus de leurs conditions d’exercice.
À ceux qui leur jettent la pierre: sachez que l’Éducation nationale recrute.



Un commentaire
J’ai été en couple pendant dix ans avec une personne qui enseignait les lettres dans un collège et je peux vous garantir que les vacances étaient majoritairement passées devant la télévision, une manette à la main (c’est toujours mieux qu’un verre de Ricard qui se lève encore et encore, n’est-ce pas).
Je ne dis pas que c’était la totalité des vacances, bien sûr. Mais une grande partie. Pareil pour les jours de la semaine de non-présence au collège. Il faut bien se détendre, avec les parfois huit heures de stand-up d’affilée devant des élèves parfois peu réceptifs; mais bon, même si c’est fastidieux, corriger des copies et préparer les cours, avec de l’expérience et de la méthode, en quelques heures c’est plié.
Et encore, je parle de mon expérience au quotidien avec une personne qui avait à cœur d’offrir du contenu et des corrections de qualité à ses élèves.
Pour les enseignants qui sont au bout de leur vie, ça peut être beaucoup moins.
Pendant dix ans, j’ai vu se décomposer sa fougue d’enseigner. Les ministères qui se sont succédés ont comme tarient cette envie de changer le monde. Les profs ne sont pas idéalistes, ils veulent juste bien faire leur taf. Faire grandir les mômes sans trop d’accroc.
Tout le reste est vrai.
Le système de points qui oblige certains profs à se pacser avec des randoms juste pour pouvoir se rapprocher de leur région (il y a un vrai business là-dessus sur Facebook).
Les profs qui font ce qu’ils peuvent, en plus d’enseigner.
Le manque de moyens pour embaucher des professionnels pour travailler avec eux : AESH, assistant(e) de service social… Sans oublier l’infirmerie de l’établissement qui n’est pas ouverte tous les jours. Enzo, fallait te blesser mardi semaine B entre 14h20 et 16h43, tant pis pour toi. En même temps, quelle idée de vouloir fermer la fenêtre alors qu’il ne fait que moins sept degrés dehors.
Quant à la psy et au conseiller d’orientation, faut pas trop en demander, on est dans un établissement scolaire public quand même.
L’amiante (oui oui, ça existe encore), les problèmes de chauffage, d’isolation. Le manque de chaises, de pupitres, le matos informatique toujours sous windows XP…
Les formations complètement ubuesques qui sont à des années-lumière de la réalité… Et qui font sauter beaucoup de TZR avant les vacances de la Toussaint (hey d’ailleurs, on dit encore ”vacances de la Toussaint ”?).
Certains Parents qui ne font pas confiance aux enseignants, qui sont d’ailleurs là pour ENSEIGNER (ou INSTRUIRE) et pas ÉDUQUER. Comprendra qui pourra.
Bref, faut réécouter la sécurité de l’emploi des Fatals Picards.
Force à vous, force aux gosses, force aux parents. Je ne sais pas si c’est déjà le cas, mais chaque ministère devrait avoir des consultants professionnels de l’extérieur pour parler du terrain, du vrai. De la réalité actuelle.
Inshallah un jour la République se rendra compte de l’importance de l’instruction et de l’éducation pour prendre soin et faire grandir ses petits citoyens… Tout comme pour la santé, mais ça, c’est une autre histoire.
La paix sur vous et n’oubliez pas de bien cacher vos quatre couleurs 🔴🟢🔵⚫