Après une cuisante défaite électorale lors des élections de la Chambre haute, le Premier ministre Shigeru Ishiba se retrouve sous pression, mais il refuse de jeter l’éponge.
La défaite qui fait mal
Dimanche dernier, les Japonais se sont rendus aux urnes pour renouveler la moitié des sièges de la Chambre haute, l’une des deux chambres du Parlement japonais.
La coalition au pouvoir, composée du Parti libéral-démocrate (PLD) et de son partenaire junior Komeito, cherchait à conserver sa majorité dans cette chambre de 248 sièges. Le résultat a été un revers cinglant : la coalition n’a obtenu que 47 des 50 sièges nécessaires pour maintenir son contrôle.
L’an dernier, le PLD avait déjà perdu sa majorité à la Chambre basse, plus puissante.
Ce double échec fragilise fait dégringoler l’influence de la coalition et montre enfin ce mécontentement croissant des électeurs.
On peut mettre cela sur le dos d’une inflation galopante sur le prix du riz, des scandales politiques à répétition au sein du PLD et une défiance envers Ishiba, perçu comme un leader en difficulté.
Les raisons du désamour
Le PLD, qui domine la politique japonaise presque sans interruption depuis 1955, traverse une crise de confiance.
Les électeurs reprochent à Ishiba son incapacité à redonner un élan économique dans un contexte de crise du coût de la vie. La hausse des prix pour des produits de base touche durement les ménages.
Jeffrey Hall, spécialiste des études japonaises à l’Université Kanda, parle d’une fracture au sein de la base conservatrice du PLD.
Beaucoup reprochent à Ishiba de ne pas incarner les valeurs nationalistes portées par l’ancien Premier ministre Shinzo Abe, figure emblématique du parti. Une partie des électeurs conservateurs s’est donc tournée vers des partis plus à droite, comme le Sanseito.
La montée assez inquiétante du Sanseito
Le Sanseito, un parti nationaliste aux positions radicales, a marqué le coup lors de cette élection. Avec 14 sièges remportés, contre un seul lors du précédent scrutin, il a profité du mécontentement populaire pour s’imposer. Connu pour sa rhétorique anti-immigration et son slogan « Le Japon d’abord », le parti a gagné en visibilité pendant la pandémie en diffusant des théories complotistes contre les masques et les vaccins.
Cette montée des extrêmes s’explique aussi par un contexte social tendu. Le Japon, historiquement isolationniste, fait face à un afflux record de touristes et de résidents étrangers.
Si cela dynamise l’économie, cela attise aussi les frustrations chez certains Japonais, qui estiment que les étrangers profitent du système. Le Sanseito a su capitaliser sur ce sentiment, tout en prônant des visions révisionnistes de l’histoire japonaise, ce qui inquiète une partie de la population et de la classe politique.
Un Ishiba sous pression, comme une cocotte-minute
Des rumeurs insistantes de démission circulent, mais Shigeru Ishiba, 68 ans, dément vouloir quitter son poste. « Je n’ai jamais fait une telle déclaration », a-t-il assuré mercredi, qualifiant les informations de presse de « totalement infondées ».
Pourtant, la pression monte au sein de son propre parti. Des membres conservateurs du PLD, selon Fuji TV, collectent des signatures pour convoquer une réunion spéciale et discuter d’un changement de leadership.
On retrouve parmi les prétendants potentiels, Sanae Takaichi. C’est une nationaliste convaincue et ancienne batteuse de heavy metal, qui se positionne comme une candidate sérieuse.
Si elle l’emportait, elle deviendrait la première femme Première ministre du Japon, mais ses positions hawkish sur l’histoire et la Chine effraient une partie de l’opinion.
Takayuki Kobayashi ou Shinjiro Koizumi, fils d’un ancien Premier ministre, pourraient également entrer dans la course.
Des opposants, y compris des membres du Parti communiste ou du Parti social-démocrate, appellent au maintien d’Ishiba sous le hashtag #IshibaNeDémissionnePas. « Ishiba est le dirigeant le plus raisonnable du PLD depuis longtemps », estime LaSalle Ishii, un élu social-démocrate. Une manifestation a même réuni quelques centaines de personnes vendredi soir devant le bureau d’Ishiba, brandissant des pancartes l’encourageant à « ne jamais abandonner ».
Le Japon aussi fait face à de nombreuses sources de tension
Une population vieillissante, un budget de sécurité sociale en forte hausse et des négociations commerciales avec les États-Unis, que de facteurs qui mettent le Japon sous pression.
Un récent accord commercial avec l’administration Trump impose une taxe de 15 % sur les importations japonaises, un compromis qu’Ishiba présente comme une victoire, mais qui reste inférieur aux 25 % initialement envisagés. Cette taxe pourrait être réévaluée tous les trimestres ce qui ajoute de l’incertitude.
Sur le plan intérieur, Ishiba a lancé la semaine dernière une task force pour répondre aux préoccupations liées aux « comportements nuisibles » de certains résidents étrangers, une mesure qui semble répondre aux discours du Sanseito. Cette initiative, bien que critiquée, vise à calmer les tensions dans un pays où l’immigration reste un sujet sensible.
Et maintenant, avec une coalition minoritaire dans les deux chambres, Ishiba devra trouver des alliés pour faire passer ses lois, une tâche ardue dans un paysage politique fragmenté. L’opposition,renforcée par les 22 sièges du Parti démocrate constitutionnel, reste trop divisée pour former une alternative crédible.
La popularité d’Ishiba est au plus bas, avec un taux d’approbation de seulement 22,9 % selon un sondage Kyodo News. Pourtant, 45,8 % des Japonais estiment qu’il n’a pas besoin de démissionner. Beaucoup craignent qu’un changement de leader n’aggrave la situation, surtout si une figure comme Takaichi prend les rênes.
En attendant, le yen s’est légèrement renforcé sur les marchés mondiaux après les résultats, signe que les investisseurs avaient anticipé ce revers. Mais pour Ishiba, le véritable défi sera de restaurer la confiance des Japonais. Restera-t-il le « choix sûr » face à la montée des extrêmes, ou cédera-t-il sous la pression ? L’avenir du Japon en dépend.


