Élodie Font s’est lancée dans une enquête audacieuse auprès de plus d’un millier de femmes lesbiennes afin d’écrire son essai « À nos désirs ». Un ouvrage essentiel, intime et féministe, à découvrir par toutes et tous.
Elodie Font peut-elle se présenter ?
Je m’appelle Élodie Font, journaliste et documentariste. J’écris des bandes dessinées. Mon premier essai nommé « À nos désirs » est sorti l’an dernier.
J’ai d’abord fait Sciences Po Bordeaux, puis l’ESJ Lille, et j’ai terminé en 2009. Ensuite, je me suis spécialisée en radio. J’ai passé une année à l’étranger, au sein de la radio Medhi1 à Tanger, où j’ai travaillé pendant un an.
De retour en France, j’ai été pigiste, notamment dans la presse jeunesse, avant de rejoindre Le Mouv’. En 2015, je suis arrivée à Radio Nova, où j’ai lancé le podcast « Coming In » sur Arte Radio. Ce podcast a changé le reste de ma vie professionnelle. Il m’a permis de parler de mon homosexualité pour la première fois, et de raconter l’expérience de se dire à soi-même qu’on est homosexuel.le.
Le podcast Coming In a eu un excellent accueil, avec des milliers de messages reçus. Je l’ai ensuite adapté en bande dessinée en 2021. Mais avant cela, j’avais déjà développé plusieurs univers en bande dessinée.
Comment Élodie Font a-t-elle envisagé « À Nos Désirs » ?
Je m’étais promis de toujours travailler sur des sujets LGBT+ après avoir reçu autant de retours sur Coming In. Et puis, j’ai eu de nombreuses conversations avec des femmes homosexuelles en faisant le tour des librairies pour promouvoir la bande dessinée. J’avais en tête d’écrire sur leur désir depuis des années, mais je n’avais jamais franchi le pas, car c’est un sujet intime et j’avais peur de ne pas être à la hauteur.
Puis, au fil de ces conversations, j’ai réalisé qu’il y avait, vraiment, des choses à raconter. J’ai lancé un premier appel à témoignages sur mon compte Instagram. À partir des réponses, j’ai imaginé un questionnaire, car il y a très peu d’études sur ce sujet en France. J’ai là aussi reçu de nombreuses réponses. J’ai ensuite réalisé des entretiens pendant deux ans. Puis, j’ai lié les histoires entre elles, cherchant à faire ressortir les points communs et divergences.
Mon essai analyse le cheminement d’une femme homosexuelle. En d’autres termes, comment se dire à soi-même cela et comment le vivre en vieillissant.
La question principale de « À nos désirs » c’est « Qu’est-ce que ce désir raconte de nous ? » Être lesbienne, ce n’est pas juste une question de relations sexuelles avec des femmes. C’est plus vaste et plus profond.
Qu’est-ce qui a le plus marqué Élodie Font lors de ces entretiens pour « À nos désirs »?
J’ai noté de la part des personnes que j’ai pu interviewer une forte volonté de dire : « J’aurais, moi aussi, eu besoin de ces récits, donc je vais faire tout ce que je peux pour qu’ils existent. » Ce sont des récits de vie qui permettent aux autres de se sentir moins isolés.
Autre élément frappant : je me suis rendu compte que je n’avais jamais interviewé une femme lesbienne de plus de 60 ans auparavant. Il y a une grande invisibilité des femmes lesbiennes âgées. On peut citer quelques noms comme Marie-Paule Belle, Muriel Robin ou Catherine Lara, mais c’est vraiment trop peu…
Les entendre a été un soulagement pour moi. Quand on est hétérosexuel, on ne se rend pas compte de ce manque de représentation.
J’ai aussi pu noter que les femmes lesbiennes sont plus isolées, plus précaires, et ont un taux de suicide bien supérieur à celui des autres femmes âgées… Ces chiffres alarmants sont également valables chez les jeunes LGBT+. A 15 ans, ils ont de plus grandes chances de se suicider qu’un jeune qui n’est pas LGBT+.
Dans « À nos désirs », Élodie Font dit « Être lesbienne, c’est oser dire non », dans quel sens ?
C’est oser se départir des injonctions faites aux femmes. C’est s’offrir une autre existence. On dit non à la séduction vis-à-vis des hommes, donc on parle plus fort, on fait des gestes plus amples, on fait plus de sport, on est plus en capacité d’occuper l’espace et d’être à l’écoute de ses désirs. C’est lié au fait de ne plus être dans un « schéma classique ». Et sortir des codes de la société nous permet d’ouvrir d’autres portes qui n’auraient pas été ouvertes autrement.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes femmes qui s’interrogeraient sur leur homosexualité ?
Voyez comme nous sommes nombreuses. Vous pouvez découvrir votre homosexualité à 15 ans ou à 45 ans, venir de milieux sociaux différents… En bref les profils sont multiples. Dites vous que vous n’êtes pas seules.