Nous connaissons tous la lutte historique entre l’Amérique et la Russie, qui se sont battus pour le titre de maître spatial. Mais peut-être connaîtront-ils un nouveau concurrent?
L’Afrique est un continent jeune, gorgé de ressources naturelles, qui est en plein développement technologique : Tout ce qu’il faut pour commencer à rivaliser avec SpaceX.
Avec le Sénégal qui vient d’étendre sa coopération avec la NASA et qui a signé le pacte d’exploration lunaire ce vendredi après avoir inauguré son premier satellite il y a 11 mois, on se rend vite compte que l’Afrique peut s’illustrer dans ce domaine.
Des experts nous éclairent au sujet de l’avenir de l’Afrique dans l’espace.
L’industrie spatiale africaine commence enfin à sortir du lot
Salah Eddine Bentata travaille à l’Agence spatiale algérienne et a insisté sur les limites auxquelles l’Afrique fait face: « L’Afrique a construit son parcours spatial sur des politiques et des collaborations internationales, mais nos capacités industrielles restent fragmentées. Il nous faut une carte de l’industrie spatiale africaine pour regrouper et connecter les compétences au-delà des frontières. ».
En fait, comme l’Europe, l’Afrique gagnerait à se solidariser afin de regrouper les talents et réussir les projets spatiaux qu’ils entreprennent sans intervention extérieure.
Pour Yankho Likaku, responsable de l’engagement chez RE, une entreprise de conseil en innovation active dans plusieurs secteurs, dont le spatial, il y a tout de même d’énormes progrès qui ont été faits grâce à la volonté des pays africains.
« On voit une forte croissance des programmes spatiaux nationaux, souvent lancés par des ministères ou des bureaux dédiés », observe-t-il. Il cite des exemples comme la Zambie, la Tanzanie, le Malawi et même la Somalie, qui commencent à structurer leurs propres programmes. « Lors de la conférence Space in Africa en Égypte, j’ai rencontré des collègues somaliens qui démarrent un programme. Ça montre l’intérêt croissant à travers le continent. »
Pour l’Afrique, l’espace a un enjeu bien pratique grâce à des disciplines comme l’Observation de la planète, qui est aussi appelée EO en anglais. Cette observation est utile pour la gestion territoriale, qu’il s’agisse de l’agriculture, la gestion des catastrophes ou la surveillance environnementale. « L’EO continue de croître et a un impact énorme sur les activités en aval », précise Yankho. Il mentionne des initiatives comme l’Africa Earth Observation Challenge, qu’il co-organise, pour stimuler l’innovation chez les entrepreneurs et les startups dans ce domaine.
Mustafa Deba, analyste senior chez Space in Africa est d’accord : « Les gouvernements africains investissent de plus en plus dans leurs programmes spatiaux. On compte aujourd’hui une vingtaine de pays avec des programmes officiels, le dernier en date étant la Côte d’Ivoire, qui a lancé le sien ce mois-ci. »
Ces investissements vont des petits satellites – souvent le point d’entrée pour les nouveaux acteurs – aux infrastructures comme les stations au sol, les télescopes radio ou optiques, et même des projets de ports spatiaux en Somalie (avec la Turquie) et à Djibouti (avec la Chine).
La conquete de l’espace africaine est trop fragile encore
Bien que les nouveaux programmes pour explorer l’espace avancent rapidement, il faut être honnête, il y a encore trop de dépendance. Aucun programme spatial africain n’existe sans l’appui de l’État.
Pourtant, Yankho observe une arrivée progressive de capitaux privés : « Au Kenya, par exemple, l’an dernier, il y a eu un afflux record de financements en capital-risque en Afrique. La question est : combien de ces fonds vont spécifiquement au spatial ? »
Il cite l’exemple de Seraphim Space, un fonds britannique dédié au spatial, qui montre de l’intérêt pour l’Afrique mais attend une pipeline plus solide d’entreprises prêtes à absorber ces investissements. « Le financement existe, mais il est encore en poches, concentré dans des endroits comme le Cap occidental en Afrique du Sud, où le secteur privé soutient déjà la fabrication de composants spatiaux », explique Yankho. Pour lui, il faut construire des entreprises capables d’attirer ces fonds tout en garantissant un retour sur investissement.
Salahhatin abonde dans ce sens : « Le spatial est un secteur à forte intensité de capital, donc il commence souvent par des initiatives étatiques. Mais pour élargir l’écosystème, il faut intégrer le secteur privé, les entrepreneurs et les universités. ».
Il plaide pour des partenariats public-privé (PPP) et des mécanismes de réduction des risques pour les jeunes entreprises, comme des financements publics pour la R&D ou des opportunités d’achat par les gouvernements. « Une structure panafricaine de soutien public-privé viendrait accélérer cette transition », ajoute-t-il.
Se spécialiser pour mieux s’illustrer
Mustafa dit qu’il faut une spécialisation en Afrique. « Aucun pays ne peut tout faire dans le spatial. L’Afrique doit identifier des niches et exceller dans celles-ci », explique-t-il.
Par exemple, l’Afrique du Sud domine la fabrication de composants pour satellites, avec des entreprises comme CubeSpace ou SCS Space. L’Égypte, avec son Egyptian Space City, se positionne sur l’assemblage et les tests de satellites jusqu’à 600 kg. « Si chaque pays se concentre sur une partie de la chaîne de valeur, on peut créer un écosystème continental intégré », affirme-t-il.
Il donne l’exemple des 65 satellites lancés par des pays africains à ce jour, dont 41 en partenariat avec des acteurs internationaux européens (29 avec la France en tête). « Ces collaborations ne se limitent pas à acheter des satellites. Elles incluent des volets de développement de compétences, où des ingénieurs africains participent à toutes les étapes, de la conception au lancement et à l’exploitation », précise Mustafa.
Ces partenariats avec l’UE via des programmes comme GMES and Africa, renforcent les capacités industrielles, mais il reste du chemin pour atteindre l’autosuffisance.
La jeunesse africaine : Une poule aux oeufs d’or.
La jeunesse est un atout majeur pour l’Afrique. « Notre plus grand atout, c’est une génération de jeunes ingénieurs et entrepreneurs, natifs du numérique et hyperconnectés », s’enthousiasme Salah Eddine Bentata. Cette jeunesse bénéficie d’un accès croissant aux technologies spatiales, facilité par des coûts en baisse et des collaborations internationales. Des accélérateurs de startups au Nigeria, au Rwanda ou en Afrique du Sud, ou encore des compétitions comme celle lancée par les Saoudiens, stimulent cette dynamique.
Mais Mustafa voit une ombre au tableau: le manque de données sur les compétences disponibles. « En 2021, nous avons réalisé une étude pour l’Union africaine afin de cartographier les compétences et les infrastructures spatiales en Afrique. Mais il y a un problème de sous-représentation des données », explique-t-il. Les compétences existent, mais elles sont fragmentées. Par exemple, l’Afrique du Sud concentre la majorité des formations académiques et des entreprises spécialisées, tandis que le Kenya se distingue dans l’observation de la Terre.
« Il faut regrouper ces fragments pour créer un écosystème continental cohérent », insiste-t-il.
Conquérir l’espace humainement et avec solidarité
Bentata propose une idée audacieuse : « Nous devons passer des silos nationaux à des chaînes d’approvisionnement continentales. Une carte de l’industrie spatiale africaine permettrait de connecter les capacités entre les pays, plutôt que de dupliquer les efforts. »
Il suggère un fonds panafricain d’innovation spatiale, géré par l’ASA, qui co-financerait des projets impliquant plusieurs pays africains pour encourager la collaboration. Mustafa va plus loin : « Un cadre d’investissement et de mobilité des talents serait idéal. Cela permettrait aux compétences de circuler là où il y a des opportunités, tout en donnant confiance aux investisseurs, qui verraient le continent comme un marché unique plutôt que 54 entités fragmentées. »
Yankho, quant à lui, met l’accent sur l’autonomie des entrepreneurs : « Les gouvernements doivent créer des politiques qui permettent aux startups de développer l’écosystème elles-mêmes, plutôt que de tout réguler. Si un entrepreneur propose une idée, il faut l’accompagner pour la concrétiser, pas la bloquer. »
Que devra-t-on corriger?
Mustafa pointe le problème de l’« auto-patronage » : « Les pays africains ont tendance à confier leurs projets de satellites à des contractants étrangers, qui contrôlent souvent tout, y compris le choix des fournisseurs. Cela limite l’utilisation des capacités locales. » Il évoque aussi la question de la maturité du marché : « 97 % des composants spatiaux produits en Afrique du Sud sont exportés, car le marché local n’est pas encore assez mature pour les absorber. »
Bentata ajoute que l’industrie spatiale ne peut pas être isolée : « Elle doit s’appuyer sur des secteurs existants comme l’énergie, l’automobile ou l’électronique. Transformer ces industries pour répondre aux normes spatiales est plus réaliste que de créer une industrie spatiale de toutes pièces. »


