L’économie numérique africaine pourrait peser 180 milliards de dollars en 2025 et atteindre 712 milliards de dollars en 2050, selon un rapport de Google et de la Société financière internationale.
Avec 1,3 milliard d’habitants et une adoption croissante des technologies, le continent apparaît comme un nouvel eldorado du numérique, offrant des opportunités inédites dans des secteurs comme la fintech, les télécoms ou encore l’e-commerce.
Ce dernier devrait atteindre 59 milliards de dollars d’ici 2027, selon la plateforme de données Statista. Si la transformation est en marche, des challenges subsistent en matière d’infrastructures, de connectivité et de régulation.
Jean-Michel Huet, associé au cabinet de conseil BearingPoint et auteur du livre Afrique 4.0 : La révolution digitale, analyse pour Le Parisien Matin les dynamiques à l’œuvre.
Comment les nouvelles technologies financières redéfinissent-elles les pratiques commerciales en Afrique ?
Beaucoup de choses ont évolué en Afrique ces vingt dernières années, et la transformation continue. La connectivité est un facteur clé. Une fois que les réseaux – qu’ils soient mobiles, en fibre optique ou satellitaires – fonctionnent correctement, des services peuvent être déployés pour les citoyens et les consommateurs. Parmi ces services, la digitalisation des paiements connaît un véritable succès.
L’Afrique a d’ailleurs été pionnière en matière de paiements mobiles, bien avant la Chine, et cela depuis une quinzaine d’années.
Le numérique africain a crû de 10 % en 2023. Quelles innovations expliquent cette progression ?
D’une part, les investissements dans les infrastructures numériques se poursuivent, notamment avec le déploiement des câbles sous-marins, grâce à des acteurs internationaux et des bailleurs de fonds. D’autre part, les investissements publics dans le numérique se renforcent, avec le développement de l’e-gouvernement et des services en ligne.
Contrairement aux idées reçues, l’Afrique ne fait pas qu’adopter les innovations du Nord ; elle est aussi à l’origine de cas d’usage uniques qui inspirent d’autres régions. Prenons la blockchain : en Éthiopie, les diplômes de l’enseignement supérieur sont certifiés via la blockchain, une démarche encore peu répandue dans le monde.
De plus, certaines banques centrales africaines, comme celle du Nigeria, explorent des monnaies numériques basées sur cette technologie.
L’intelligence artificielle est un autre exemple. Son utilisation en Afrique diffère des applications occidentales. Aux États-Unis, elle est exploitée pour estimer la valeur des biens immobiliers ou créer des scénarios pour Hollywood.
En Afrique, l’IA et l’imagerie satellite sont utilisées pour détecter le braconnage dans les réserves naturelles ou surveiller la pêche illégale. Ces usages, développés sur le continent, attirent aujourd’hui l’intérêt d’autres pays comme les États-Unis et le Brésil.
Quels secteurs ou industries bénéficient le plus de cette révolution digitale sur le continent ?
Les télécoms, bien sûr, car ils en sont le moteur. Le secteur financier, avec les fintechs et la digitalisation des paiements, est également un grand bénéficiaire.
Un autre domaine clé est la santé. Cela fait plus de dix ans que la télémédecine est pratiquée en Afrique. Quand la France s’en est enthousiasmée en 2018-2019, cela existait déjà depuis longtemps sur le continent.
L’agriculture est aussi en pleine transformation numérique, avec des applications innovantes qui améliorent la productivité et la résilience des exploitations.
Enfin, un secteur qui, à mon sens, ne progresse pas assez vite est l’éducation. Avec un milliard de jeunes à former dans les vingt prochaines années, le numérique sera indispensable. Malheureusement, le rythme d’adoption reste insuffisant.
Avec 37 % d’utilisateurs Internet, que faire pour combler la fracture numérique en Afrique ?
Il existe deux types d’inégalités géographiques en matière d’accès au numérique en Afrique. D’abord, entre les États enclavés et ceux ayant un accès à la mer, car l’Internet dépend largement des câbles sous-marins. Ensuite, au sein des pays eux-mêmes, entre les zones urbaines et rurales, où l’écart est considérable.
Un levier essentiel serait la mise en place d’un service universel, permettant de co-financer, via des fonds publics, l’extension de la connectivité dans des zones peu rentables pour les opérateurs privés, comme cela a été fait dans d’autres domaines en France.
Un autre enjeu majeur est l’accès aux terminaux à des prix abordables. La connectivité ne suffit pas si les populations n’ont pas les moyens de s’équiper. En zone rurale, où la pauvreté est plus marquée et où l’accès à l’électricité pose aussi problème, cela représente un défi supplémentaire.
Comment le numérique peut-il favoriser la croissance en Afrique tout en respectant l’environnement ?
C’est une question complexe. Une partie du financement du numérique en Afrique provient de bailleurs de fonds internationaux, comme la Banque mondiale, qui sont très sensibles aux enjeux climatiques. Cela incite les acteurs locaux à intégrer ces considérations dans leurs projets.
Cependant, le traitement des déchets électroniques reste un problème majeur. Actuellement, la situation est encore sous contrôle, mais d’ici 2028-2035, cela pourrait devenir un véritable défi si des solutions ne sont pas mises en place dès maintenant.
Quels sont les grands enjeux du développement numérique en Afrique ?
La cybersécurité est un enjeu crucial. Pendant longtemps, certains pays africains pensaient être à l’abri des cyberattaques, considérant qu’ils n’étaient pas des cibles prioritaires. Or, les hackers s’attaquent souvent aux maillons faibles, et l’Afrique n’est pas épargnée.
Concernant la régulation, il existe une grande disparité entre les pays. Certains, comme le Maroc, la Côte d’Ivoire ou le Rwanda, disposent d’excellentes autorités de régulation, parfois mieux classées que certaines agences européennes. Toutefois, le principal problème est l’absence d’une voix unique pour défendre les intérêts du continent au niveau international.
Pensez-vous qu’il soit envisageable d’harmoniser cette régulation entre ces 54 pays aux réalités si diverses ?
C’est un sujet en discussion. Des initiatives comme Smart Africa tentent de créer une coordination entre les agences numériques nationales. Mais si l’Afrique veut peser dans les décisions mondiales, elle ne pourra pas continuer à parler avec 54 voix différentes.
Aujourd’hui, même des pays comme l’Italie ou l’Afrique du Sud sont en position de faiblesse face aux grandes puissances comme les États-Unis, la Chine ou l’Union européenne. Si un jour les 54 pays africains s’unissent sur ces questions, leur influence pourrait être bien plus grande.