Du 11 au 22 novembre 2024, les enjeux liés au changement climatique sont au cœur des préoccupations mondiales. L’Afrique, particulièrement vulnérable face à cette crise, fait face à des défis uniques qui menacent son développement et sa sécurité.
Mbaye Hadj, ingénieur en génie électrique, fondateur du cabinet EMC Africa (Energy & Maintenance Conseil), et auteur du livre Changement climatique. La lourde menace sur l’Afrique, partage au micro du Parisien Matin son expertise sur ces problématiques et les mesures urgentes à prendre pour protéger le continent.
Le changement climatique en Afrique, un danger croissant.
Selon vous, pourquoi l’Afrique est-elle particulièrement vulnérable face aux effets du changement climatique ?
“Dans l’histoire du changement climatique et en particulier de ses impacts, ce sont les pays les plus démunis qui sont les plus menacés. Si l’on s’intéresse à la cartographie mondiale, les dégâts sont plus prépondérants chez ces pays qui sont souvent mal préparés. Ce sont des pays à très faible revenu. L’Afrique fait malheureusement partie de ce lot. “
Quels sont concrètement ces impacts qui pèsent plus sur ce continent qu’ailleurs ?
“Dans mon livre je les ai classés en quatre segments. Il y a d’abord ce que j’appelle la menace existentielle, qui est la plus grave en réalité. On sait que le changement climatique aura un impact sur notre pluviométrie. Les sécheresses vont se multiplier. Et il y aura une olfaction des ressources halieutiques car l’océan aussi sera touchée.
On aura aussi un accroissement de la pollution de l’air. Donc lorsque je parle de menace existentielle, c’est vraiment par rapport à la personne humaine car à un moment donné la nutrition et la santé vont être touchées.
Ensuite il y a la menace économique car on sait que l’Afrique est très dépendante économiquement et technologiquement. L’Afrique est aussi marginalisée sur la scène internationale. Le troisième point concerne la menace sécuritaire car à un moment donné pas mal de conflits vont s’abattre avec la raréfaction de l’eau qui va être disputée.
Il pourrait y avoir des conflits entre pays, des conflits régionaux. Par exemple sur la raréfaction des ressources halieutiques ici au Sénégal, on a eu un cas concret de pêcheurs qui se disputaient une zone poissonneuse à Kayar pour le contrôle de ces ressources. Et c’est vraiment de signes précurseurs d’une grosse bataille qui pointe devant nous.
Enfin. Il y a la menace sur les valeurs car j’estime qu’à un moment donné, cette crise climatique va nous faire perdre des repères. Et une population qui n’a plus de repère devient très vulnérable face à une crise de valeurs. “
Le changement climatique en Afrique et les événements sur ce sujet
Du 23 au 26 octobre 2024, aura lieu le Meeting international du livre et des arts associés à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, pour décerner le prix du livre francophone en 2024. Que représente pour vous cette nomination, et comment espérez-vous que cette visibilité contribue au débat sur le changement climatique en Afrique, particulièrement au regard des solutions que vous proposez dans votre ouvrage ?
“Pour moi, rien que le fait d’avoir été choisi parmi les finalistes est une grande consécration. Il s’agit d’un événement qui désigne les meilleurs livres du monde francophone. Donc c’est une énorme fierté d’y être convié. En tant qu’invité avec une double casquette, car j’interviendrai également sur des panels à propos du changement climatique. Donc si je reçois une consécration pour ce livre, ça sera l’occasion pour moi de donner un écho plus important à mon message : l’Afrique, de par sa vulnérabilité, doit se préparer de manière imminente pour faire face à la crise climatique et en comprendre véritablement les enjeux. “
Comment les discussions et les décisions prises lors de la COP29, qui aura lieu du 11 eu 22 novembre à Bakou en Azerbaïdjan, pourraient-elles influencer les efforts de lutte contre le changement climatique en Afrique ? Sachant que la cop 27 de Charm el Sheikh mettait à l’honneur l’Afrique, y a-t-il des avancées depuis lors, notamment sur la question des pertes et préjudices, sachant que l’Afrique ne contribue qu’à hauteur de 3% des émissions mondiales ?
Effectivement, sachant que les 3% il faut encore les relativiser. Si on doit départager, on dira que le Maghreb émet 1%, l’Afrique du Sud 1%, et les 1% restants sont répartis entre les 47 pays subsahariens. C’est ahurissant mais c’est ça la réalité. La Cop 27 s’est passée en terre africaine. Mais pour ma part, je suis sceptique quant à l’organisation de ces événements. J’ai un regard critique car quand je pose mon regard dessus, très froidement, je m’aperçois que l’Afrique est marginalisée.
Pensez-vous que les représentants des pays africains présents au COP et qui plaident pour un financement des pertes et préjudices ont raison d’insister sur ce point ?
J’aurais aimé que le niveau soit beaucoup plus élevé. Il y a beaucoup trop de folklore et d’amateurisme, donc on passe à côté de l’essentiel. Mais ce qui est réclamé ne peut être que légitime. Un fonds avait été décrété mais il n’’a jamais été mis à disposition. Mais c’est légitime. Ce n’est que justice. Mais encore une fois, il faut éviter de partir en COP avec une tenue de mendiant.
Vous proposez un “mode d’emploi” pour les Africains en tant que parties prenantes des COP. Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment l’Afrique peut-elle peser davantage dans ces discussions internationales pour que ses préoccupations soient prises au sérieux ?
“Ma vision est la suivante : tant que les Africains ne seront pas en mesure d’y aller de manière unie, elle ne cessera de se faire écraser. Si le Sénégal part tout seul, le Togo de même, le Kenya et ainsi de suite, on n’arrivera à rien.
Et pour cela, il faudra en amont une très bonne préparation des COP. Selon moi, pour se faire entendre en COP, il y a trois types de profil. Soit vous pesez économiquement ; ce qui est le cas des pays occidentaux, soit vous êtes puissants industriellement ; c’est le cas de la Chine et de l’Inde, soit vous êtes courtisés ou en tout cas en nombre. Et j’ai l’impression que l’Afrique n’a pas conscience du poids qu’elle pourrait avoir en formant un bloc unifié dont les richesses sont convoitées de toutes parts. 54 pays qui se réunissent, ça serait quand même une force colossale.
Avant d’aller en COP, l’Afrique devrait se réunir à huis clos pour se préparer d’une seule voix. Pour ma part, j’ai proposé ce qu’on appelle un moratoire de pollution car le continent a en plus droit à son propre développement. Je vois souvent des discours qui s’embarquent dans des histoires de transition énergétique. Vous parliez de pertes et préjudices. Il faudrait davantage miser sur son adaptation que sur la transition énergétique. Car en réalité, ce sont les pays les plus vulnérables qui sont les plus gravement menacés. Un fonds a été décrété, mais il n’a toujours pas été mis à disposition. “