Alors que les relations entre le président ivoirien Alassane Ouattara et l’ancien premier ministre Guillaume Soro sont tendues depuis plusieurs années, début avril, à la surprise générale, les deux hommes se sont parlés au téléphone. L’annonce faite dans un premier temps par les services de communication de Générations et Peuples Solidaires (GPS), est confirmée quelques heures après par Guillaume Soro, le président de ce mouvement politique via le réseau social X.
Côte-d’Ivoire : Des élections présidentielles de tous les dangers ?
Si Guillaume Soro ne rêve que de fouler le sol ivoirien qu’il a quitté depuis 5 ans, il est toutefois sous le coup d’une condamnation à la prison à vie pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » pour des faits commis en 2019.
Plusieurs de ses proches, dont Souleymane Koné condamné dans le même dossier, ont été récemment libérés suite à la mesure de grâce présidentielle prise par le chef de l’État. Le retour de Guillaume Soro se fera sans doute après avoir négocié des conditions pour échapper à la case prison.
Avant lui, l’ancien président Laurent Gbagbo et son ancien ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé, tous acquittés par la Cour Pénale Internationale (CPI) dans le dossier de la crise post-électorale de 2010-2011 sont rentrés en Côte d’Ivoire en 2022 alors qu’ils étaient sous le coup de condamnations par la justice ivoirienne.
Leur peine n’a jamais été exécutée depuis leur retour. C’est seulement en août 2022 que Laurent Gbagbo bénéficiera de la grâce présidentielle. Charles Blé Goudé attend toujours, mais n’est pas inquiété par la justice.
Les vieux démons de la Côte-d’Ivoire
Ces dernières années, les élections présidentielles en Côte-d’Ivoire ont donné lieu à des tensions diverses. Plus de 3 000 personnes sont mortes dans la crise post-électorale de 2010-2011.
Le transfert de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à la CPI n’a pas suffit à calmer la situation. Leurs partisans sont restés mobilisés pour réclamer leur libération, allant jusqu’à refuser de prendre part à des consultations électorales en l’absence de leurs leaders emprisonnés. C’est ainsi qu’en 2015, une partie de l’opposition a boycotté les élections présidentielles, évoquant une « situation politico-sécuritaire précaire marquée par une fracture sociale profonde » et des « arrestations et emprisonnements arbitraires d’acteurs sociaux et d’opposants politiques ».
En 2020, le débat se déportera sur la candidature d’Alassane Ouattara pour « un 3e mandat » selon ses opposants ou pour le « premier mandant de la 3e république » selon ses partisans. Pendant que les uns criaient à la violation de la constitution qui pour eux interdit un 3e mandat, les autres avançaient que la constitution avait été changée entre temps et que les compteurs reviennent à zéro.
En plus de ce débat, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro avaient vu leur candidature invalidée puisque radiés des listes électorales après leur condamnation par la justice ivoirienne. Les principaux parti d’opposition, sous la direction de feu Henri Konan Bédié, saisira l’occasion pour lancer un appel à la désobéissance civile contre « la forfaiture ». Officiellement, les violences électorales de 2020 ont fait 85 morts et plus de 500 blessés. Un procès a été tenu et plusieurs opposants condamnés.
Les dernières présidentielles sénégalaises peuvent-elles inspirer pour éviter une nouvelle crise en Côte-d’Ivoire?
Pour 2025, la question de la candidature d’Alassane Ouattara ne se pose pratiquement plus. Par contre, ceux de l’ancien président Laurent Gbabgo et de Guillaume Soro risquent de coincer.
Les deux ont été condamnés par la justice ivoirienne, ce qui les rendent inéligibles comme en 2020. Pourtant, tous ont clairement affiché leur volonté de se présenter aux prochaines élections. La grâce présidentielle accordée à Laurent Gbagbo ne suffit pas.
Ses partisans avaient vu le piège en demandant une amnistie plutôt qu’une grâce présidentielle. Samedi 14 avril dernier, la représentation française du Parti des Peuples Africains Section de Côte d’Ivoire (PPA-CI) a tenu une marche à Paris. Cette manifestation a rassemblé des partisans de Laurent Gbagbo, mais aussi d’autres sympathisants de l’opposition politique.
Un seul message : la réinscription de Laurent Gbagbo sur les listes électorales et la tenue d’élections inclusives et transparentes en 2025. Si ce bras de fer n’aboutit pas, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro pourront-t-ils s’inspirer de l’exemple sénégalais en trouvant la pièce de rechange le temps d’une élection ? Il leur appartient avec leurs familles politiques d’apprécier.
Intérêts français en Côte-d’Ivoire
La Côte-d’Ivoire est un pays stratégique pour la France dans la région. Au moment où le torchon brûle depuis plus d’un an entre la France et les régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger, autrefois partenaires stratégiques de la France dans la région, Abidjan et Paris renforcent leur coopération.
Le ministre des affaires étrangères Stéphane Séjourné a d’ailleurs choisi début avril d’achever sa première tournée africaine dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. C’est donc dire que les présidentielles de 2025 seront suivies de près par Paris qui n’a pas intérêt que la Côte-d’Ivoire bascule dans un nouveau cycle de violence avec les risques que cela comporte pour ses intérêts.
Le président Alassane Ouattara a réussi à s’imposer face à Laurent Gbagbo en 2011 après le bombardement par l’armée française et les forces onusiennes (ONUCI) du palais présidentiel et la résidence de Laurent Gbagbo.