Jean-Luc Mélenchon, leader de La France Insoumise (LFI), a entrepris une visite de quatre jours à Dakar, sur invitation du nouveau Premier ministre, Ousmane Sonko. Le Parisien Matin vous propose une interview exclusive avec Saer Thiam, doctorant en relations internationales et Samsidine Aidara, Coordinateur AWALÈ France et membre de la coalition Diomaye Président.
Jean-Luc Mélenchon à Dakar
Sous un accueil chaleureux, Jean-Luc Mélenchon, accompagné d’une délégation, entame une visite de quatre jours à Dakar, au Sénégal, sur invitation du nouveau Premier ministre, Ousmane Sonko. Cette visite s’inscrit dans le cadre des “partenariats politiques avec le reste du monde” et du “renforcement des relations existantes”, a souligné le chef du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). Mélenchon devient ainsi le premier haut responsable politique français à être reçu par le nouveau gouvernement sénégalais, six semaines après la victoire de Bassirou Diomaye Faye à l’élection présidentielle sénégalaise. Ce privilège semble être le résultat d’une relation ancienne entre Mélenchon et le Premier ministre sénégalais, remontant à la bataille judiciaire subie par les leaders du Pastef.
Selon Saer Thiam, doctorant en relations internationales et multilatéralisme et chargé de TD à CY University, cette visite à Dakar n’a rien de surprenant au vu de l’évolution idéologique de La France Insoumise portée par son leader. “Depuis plusieurs années, la position de ce dernier sur les relations franco-africaines rime avec l’idéologie dominatrice actuelle en Afrique à l’instar de celle de Pastef, qui vise à une rupture du statu quo ou à une refondation pour un lien plus équilibré et gagnant-gagnant.”
L’ancien député français a montré son soutien au Premier ministre sénégalais lorsque son parti était encore dans l’opposition à Macky Sall. Le politicien français a soutenu le camp d’Ousmane Sonko depuis 2021, après s’être exprimé par la publication sur son blog d’une tribune intitulée “Le Sénégal nous parle, sachons l’entendre”.
Dans ces écrits, il souligne que “les conditions de la procédure contre Ousmane Sonko, accusé d’un viol qu’il nie fermement, et finalement arrêté pour ‘trouble à l’ordre public’, ont un goût évident d’instrumentalisation de la justice.” tout en mettant en avant les relations particulières entre Dakar et Paris.
Le nouveau Premier ministre n’a pas manqué de le lui rappeler dès le jour de l’arrivée du politicien français. “Le mouvement La France Insoumise a été très présent et tout le monde a pu voir à quel point son soutien a été constant, sans arrière-pensées. Au nom de la défense de la liberté, des valeurs que nous partageons, de la démocratie, mais également de la justice tout simplement. M. Mélenchon, merci.”
Mission de séduction à Dakar
“Cette rencontre peut permettre à La France Insoumise de se désigner comme le seul parti capable de redonner à la France la place qu’elle occupait en Afrique avant que ça ne soit trop tard au vu de la multitude des alternatives.” explique Saer Thiam.
Lors de cette visite à Dakar, les deux populistes ont discuté des convergences entre leurs partis, notamment la renégociation des accords commerciaux et de pêche entre le Sénégal et l’Europe, ainsi qu’une vision commune d’une francophonie ouverte sur l’Afrique. Ils ont également co-animé un débat à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar sur l’avenir des relations entre l’Afrique et l’Europe, devant une salle remplie, marquant ainsi la première sortie officielle d’Ousmane Sonko depuis sa nomination.
Mélenchon a profité de cette tribune pour évoquer la relation entre la France et Dakar mettant en avant une voie particulière après une révolution citoyenne, selon lui, à l’origine de la victoire électorale. Cette vision s’inscrit dans une rhétorique anti-impérialiste qu’il a déployée lors de ses interventions en Afrique ces dernières années, rendant hommage à des figures telles que Thomas Sankara au Burkina Faso ou Patrice Lumumba en République démocratique du Congo. Il a également exprimé un soutien indéfectible au peuple palestinien, saluant le rôle du Sénégal dans la reconnaissance de l’État de Palestine.
Cette visite a également soulevé des questions sur la polygamie et l’homosexualité, points sur lesquels les deux partis peinent à s’accorder. “Cette visite a démontré qu’il y a des limites sur certaines questions. Le Sénégal s’est donné l’opportunité d’affirmer son choix en toute liberté sur certaines questions culturelles, voire de mœurs qui, très souvent, sont assujetties à des conditions strictes sélectives vis-à-vis du pôle occidental” affirme Samsidine Aidara, Coordinateur AWALÈ France et membre de la coalition Diomaye Président.
C’est un message fort lancé à l’endroit des actuels dirigeants de la France, indiquant qu’il est temps “de revoir leur copie sur la France-Afrique et que la vision colonialiste, impérialiste et francophone est en déclin et que l’heure est venue pour cette dernière de repenser ses relations avec les pays africains en général.” a poursuivi Samsidine Aidara.
Tensions entre le nouveau gouvernement sénégalais et la présidence française que l’on voit à Dakar
Dans son discours, Sonko n’a pas mâché ses mots concernant la présidence française, accusée de soutenir l’ancien président Macky Sall dans ses actions répressives. Il a soulevé la question du néocolonialisme et de la présence de bases militaires étrangères au Sénégal et à Dakar, critiquant vivement l’Occident pour leur passivité face à la répression et leur impact sur la souveraineté nationale. Il accuse également Emmanuel Macron d’avoir encouragé la répression en félicitant l’ancien président sénégalais Macky Sall pendant cette période tumultueuse. Ousmane Sonko dit percevoir l’Afrique comme étant le théâtre d’une néocolonisation persistante dans les relations entre l’Occident et l’Afrique, malgré les promesses de changement de la part de Macron.
“Nous y avons presque cru lorsque le président Macron déclinait la nouvelle doctrine africaine de l’Élysée, cette nouvelle doctrine qui devait constituer en un refus de tout soutien politique à des régimes autoritaires et corrompus. Ce n’est pas ce qui s’est passé au Sénégal”, a-t-il déclaré.
Selon Saer Thiam, cette visite peut être analysée comme “un message à Macron lui faisant comprendre que le Sénégal d’aujourd’hui s’identifie sur les propositions de Mélenchon et non celles de Macron, qui ne fait, selon Sonko, que perpétuer la même relation franco-sénégalaise critiquée depuis l’indépendance.” Le leader du Pastef remet également en question la présence des bases militaires étrangères au Sénégal, soulignant leur impact sur la souveraineté nationale et l’autonomie monétaire.
“Nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles l’armée française bénéficie toujours de plusieurs bases militaires dans nos pays et sur l’impact de cette présence sur notre souveraineté nationale et notre autonomie stratégique”, a-t-il déclaré. Il affirme que son opposition à ces bases ne changera pas malgré son accession au pouvoir, mais il souligne la nécessité d’une coopération prenant en compte la souveraineté du Sénégal, notamment dans les domaines monétaire et sécuritaire.
“Je réitère ici la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, laquelle volonté est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal”, a-t-il ajouté. “Ceci ne remet pas en question les accords de défense”, a-t-il précisé.