Le Tchad est un vaste pays enclavé d’Afrique centrale et sahélienne a enfin tenu ses élections tant attendues la semaine dernière. En effet, le pays n’a pas organisé d’élections démocratiques depuis 2011.
Le Tchad est l’un de ces pays qui souffre de son manque de cohérence politique interne, de corruption intense et surtout de problématiques liées à ses infrastructures et institutions défaillantes. Avec une population estimée à environ 18 millions d’habitants en 2024, majoritairement rurale, le Tchad occupe tout de même une position stratégique entre l’Afrique du Nord et le reste du continent, car il partage ses frontières avec des États tout aussi fragiles, tels que le Soudan, la Libye, le Niger, le Cameroun, et le Nigeria.
Ces élections historiques, couplées au retrait des soldats français annoncent peut-être le début d’une nouvelle ère pour ce pays.
Pourquoi n’y a t-il pas eu d’élections vraiment démocratique au Tchad depuis si longtemps?
Tout d’abord, incorporons un peu d’histoire: L’histoire politique du Tchad est profondément liée à celle de son ancien colonisateur, la France, qui a exercé une influence significative jusqu’à aujourd’hui. Après l’indépendance en 1960, le pays a rapidement sombré dans des tensions ethniques et des guerres civiles. Le Nord, dominé par des communautés arabophones et musulmanes, s’est souvent opposé au Sud, majoritairement chrétien et animiste.
Ces divisions ont façonné une grande partie de l’histoire contemporaine du Tchad, surtout sous les régimes de François Tombalbaye, le premier président du pays, puis de Hissène Habré, accusé de violations massives des droits humains.
En 1990, Hissène Habré a été renversé par Idriss Déby Itno, un ancien général de son armée, qui s’est maintenu au pouvoir pendant trois décennies grâce à un mélange de répression, de manipulations électorales, et d’alliances internationales, en particulier avec la France.
Le décès d’Idriss Déby Itno, survenu dans le cadre d’une offensive militaire contre une insurrection dans le nord du Tchad en avril 2021, a déclenché une crise institutionnelle majeure. Immédiatement après sa mort, un Conseil militaire de transition (CMT) a été formé, dirigé par Mahamat Idriss Déby Itno (son fils), alors général. Le Conseil a suspendu la Constitution, qui prévoyait qu’en cas de vacance du pouvoir, le président du Sénat assure l’intérim pendant 45 à 90 jours, période au cours de laquelle une élection présidentielle devait être organisée.
À la place, le CMT a dissous l’Assemblée nationale et le gouvernement, imposé un couvre-feu, fermé les frontières et proclamé une période de transition de 18 mois, renouvelable. Cette démarche est un véritable coup d’État militaire, bien qu’elle ait été présentée comme une étape vers un retour à un régime civil et démocratique. La nomination par le CMT de 93 membres au sein du Conseil national de transition en septembre 2021 témoignait vraiment de cette absence de transparence que beaucoup de pays européens reprochent au Tchad.
Le Dialogue National Inclusif Souverain du Tchad – Une Promesse pas spécialement respectée.
En août 2022, un dialogue national inclusif souverain (DNIS) a été lancé, avec pour objectif déclaré d’organiser des élections démocratiques et de préparer une transition vers un régime civil.
De nombreux acteurs de l’opposition et de la société civile ont dénoncé le DNIS comme étant un “monologue” plutôt qu’un dialogue. Ils ont reproché une homogénéité politique des membres influents du dialogue, un manque d’inclusivité des arabisants, et l’absence de réelles garanties pour une transition démocratique.
Le DNIS a également été entaché par des incidents de répression, comme par exemple l’encerclement du siège du parti des Transformateurs et la dispersion brutale de manifestations en septembre 2022. Ces événements ont renforcé la méfiance de l’opposition et des groupes rebelles, comme le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), qui ont maintenu leur boycott.
Le 3 octobre 2022, le DNIS a prolongé la durée de la transition et a levé l’interdiction pour Mahamat Idriss Déby Itno et d’autres membres de la junte de se présenter aux élections prévues après la transition. Cette décision, en contradiction avec les recommandations de l’Union africaine est en quelque sorte une consolidation du pouvoir de la junte. En octobre, Mahamat Idriss Déby a officiellement été proclamé président de la transition, consolidant encore une fois son emprise sur l’État.
Les élections d’aujourd’hui verront un Tchad qui essaie de se régulariser démocratiquement, tant bien que mal.
Après des dialogues nationaux et un référendum constitutionnel en 2023, les élections de 2024 ont été présentées comme le dernier jalon vers une véritable démocratie. De nouveau, de nombreux partis d’opposition, dont le Transformers de Succes Masra, ont appelé à boycotter ces élections, au vu d’un processus biaisé et une absence de garanties d’équité.
Selon l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), le taux de participation s’est établi à 52,37 %, bien en deçà des attentes du gouvernement. Dans certaines régions, des irrégularités ont été signalées, surtout dans le cas de votes multiples attribués à des membres des forces armées, ce qui nous rappelle que le régime cherche à consolider son emprise sur le pouvoir plutôt qu’à favoriser un véritable changement démocratique.