Teresa El-Amin préside le Southern Anti-Racism Network en Géorgie, aux États-Unis. Aujourd’hui elle et de nombreux penseurs internationaux qui se sont réunis avec moi sont d’accord avec un constat : l’Afrique est aujourd’hui au centre d’un affrontement d’influence qui ne dit pas son nom. La présence militaire étrangère et la lutte pour l’autodétermination sont redevenues des urgences.
Le sujet qui brûle leurs lèvres est celui de l’AFRICOM, un commandement américain fondé par le président américain George Bush en 2008 qui cherche à renforcer la sécurité du territoire africain. Le seul problème est que personne ne veut d’une présence militaire américaine.
« Une urgence plus que jamais »
Sean Conner, du International Peace Bureau, a résumé l’enjeu en décryptant le basculement géopolitique mondial : la montée du Sud global, la remise en cause progressive de l’hégémonie occidentale, et la tentative de restaurer ou de préserver les sphères d’influence. Il rapporte, atterrant, les propos d’une sherpa du G7 : « L’Afrique sera le champ de bataille pour la démocratie au XXIᵉ siècle. »
Sean énonce cette phrase pour nous avertir : derrière le vernis de la « démocratie », ce qui se joue est surtout une lutte d’influence économique et stratégique. « Nous condamnons fermement cela et revendiquons une Afrique libre et indépendante », affirme-t-il.
Gnaka Lagoke remet les pendules à l’heure
Du côté intellectuel et militant, Gnaka Lagoke (professeur associé d’histoire et de Pan-Africana Studies à Lincoln University) a replacé la discussion dans la longue durée : de l’« âge des explorations » et du partage du monde par les bulles papales, à la Conférence de Berlin (1884-1885) qui officialise le scramble for Africa, la colonisation a imposé un réseau d’institutions : États coloniaux, administrations, travail forcé, compagnies concessionnaires, et surtout une empreinte militaire durable.
Pour Gnaka Lagoke, la conscience panafricaine s’enracine dans une histoire de résistances : le Ghana indépendant et son président Kwame Nkrumah, qui dès 1957 prône les « États-Unis d’Afrique » ; les congrès panafricains d’Accra (1958, 1960, 1961), où des leaders indépendantistes appellent à une solidarité continentale ; mais aussi les assassinats politiques qui ont visé des figures trop indépendantes comme Patrice Lumumba au Congo ou Sylvanus Olympio au Togo. Des puissances extérieures ont cherché à neutraliser les souverainetés naissantes.
Sa proposition est nette : il faut parler de l’Afrique “depuis l’Afrique”, c’est-à-dire replacer les débats contemporains dans une mémoire collective des luttes anticoloniales et postcoloniales, plutôt que de réduire le continent à une simple « zone d’intérêt » pour les puissances militaires ou économiques externes.
Bases et présences militaires : le témoignage d’une diplomate dissidente
Ann Wright, une activiste américaine ayant servi en Sierra Leone pour l’Armée américaine et dans des missions africaines, a livré un rappel glaçant : AFRICOM existe, fonctionne et opère mais son siège n’est pas en Afrique. « Son siège n’est pas en Afrique parce qu’aucun pays africain ne le veut », a-t-elle expliqué et les sous-commandes, relais et bureaux militaires parsèment le monde, depuis l’Allemagne jusqu’à Djibouti, avec des personnels et des programmes (formation, ventes d’armement, interventions humanitaires « pivotées » par des intérêts stratégiques). La géographie logistique de ces dispositifs traduit, selon elle, une volonté d’implantation militaire souvent présentée comme coopération mais aux retombées politiques lourdes pour les sociétés africaines.
La colère populaire qui veut une Afrique indépendante
Chaque fois que des voix locales demandent le départ de bases étrangères, la réponse peut être le déplacement de cette présence vers un autre territoire, mais jamais la remise en cause du système d’implantation lui-même.
Gnaka Lagoke m’a remis en tête les mobilisations populaires (du Mali au Burkina Faso en passant par d’autres nations) qui ont scandé « Europe, repartez ! » ; il y a un vrai conflit entre les gouvernements locaux fragilisés, la gouvernance néocoloniale et les tentatives d’ingérence masquées par la lutte anti-insurrectionnelle.
La formule « champ de bataille pour la démocratie » sonne donc, pour beaucoup, comme une mise en garde


