Quand je lui demande de se définir, Mohamed Zinelabidine me répond : « je suis un artiste, un intellectuel et un ancien Ministre », une alchimie surprenante. Avec une certaine modestie, il oublie de préciser qu’il est aussi un universitaire et un chercheur de haut vol et qu’il est à la tête de la Direction de la Culture, du Patrimoine et de la Communication d’une grande institution internationale depuis maintenant 4 ans.
Derrière ses lunettes, il vous accueille avec un regard perçant et bienveillant. Il sait écouter et ne met jamais en avant sa grande culture et sa vive intelligence. Ce père de trois enfants n’a même pas 60 ans et a pourtant un parcours professionnel riche et impressionnant. Cet infatigable créateur fait systématiquement, nous le verrons, reposer ses actions sur des objectifs clairs et précis. Le Parisien Matin vous propose le portrait de ce personnage passionné.
La culture au coeur de la vie de Mohamed Zinelabidine
Mohamed Zinelabidine commence ses études supérieures par la médecine. Très vite, il s’aperçoit que ce n’est pas sa voie, il renonce donc. « J’étais épris de philosophie et de littérature », explique Mohamed et il baignait dans le monde de la musique grâce à son milieu familial. Il s’engage donc dans des cursus correspondants à ses inclinations.
Durant 18 ans, de 1986 à 2004, il enchaîne les doctorats des plus prestigieuses universités parisiennes. Il est 3 fois docteur, en musicologie, en sociologie politique et culturelle et en sciences et théories des arts. Il passe aussi une habilitation à diriger des recherches en esthétiques, sciences et théories des arts. In fine, son titre universitaire est « Professeur d’enseignement supérieur en sciences de la culture », un bon résumé !
La plupart des gens serait totalement concentrée sur l’obtention de tels diplômes et reconnaissances académiques. Pas Mohamed Zinelabidine qui, en 1998, fonde et dirige l’institut supérieur de musique et de musicologie de Sousse, sa ville natale en Tunisie. Quelques années plus tard, en 2005, il sera nommé à la direction de l’institution du même nom mais, cette fois, à Tunis, la capitale tunisienne. Trois ans après, il rejoint le projet pharaonique de création de la Cité de la culture de Tunis. Il y est en charge des études et des projets artistiques.
Ce lieu, inauguré en mars 2018, « n’a toujours pas son équivalent dans le monde arabe et africain », précise Mohamed Zinelabidine. En effet, il regroupe presque tous les types de propositions culturelles. De l’opéra à l’institut national de la traduction, la Cité accueille le public dans ses salles de spectacles et de répétitions, ses lieux d’expositions et de rencontres. Pour en revenir à notre homme, durant cette même période, il est appelé à rejoindre le Ministre de la culture, comme conseiller. Quand je disais, plus haut, « infatigable » ! Et ce n’est pas, pour autant, qu’il cesse d’enseigner et de publier. Il n’oublie pas, au passage, d’initier la création de nombreux diplômes universitaires dans son pays.
Pour Mohamed Zinelabidine, la politique se met au service de la culture
On retrouve Mohamed Zinelabidine en 2016 quand il est nommé Ministre des affaires culturelles de la République tunisienne. Petit détail amusant, c’est lui, en charge de sa tutelle, qui va inaugurer la Cité de la culture.
Durant ses 4 ans à la tête du ministère, avec ses équipes, il va créer, initier, structurer, développer… Ainsi, il fonde différentes structures telles le Collège de philosophie de Tunis ou le Conseil national de la culture. Il met en place, pour la première fois dans l’histoire de l’institution, une approche quantifiée des secteurs culturels malgré les difficultés pour obtenir des statistiques fiables.
Sous sa gouverne, de nouveaux programmes nationaux sont créés comme « Tunisie, cités des lettres et du livre » et des saisons culturelles telle celle « de la culture solidaire et sociale ». Mohamed initie également un grand chantier sur la démocratisation de la culture au niveau des 24 régions tunisiennes.
Mohamed Zinelabidine développe un large et conséquent système de subventionnement au niveau local. Il généralise la création de centres d’art dramatique, de conservatoires de musique et de bibliothèques au niveau de chaque territoire.
Après 4 ans au sein du gouvernement tunisien, direction Rabat, la capitale marocaine, pour rejoindre l’ICESCO. « J’ai eu des propositions d’organisations internationales. J’ai fait ce choix car il me semblait que le monde musulman était un vrai chantier, après autant de temps où la culture a été figée en se concentrant principalement sur la préservation de la langue arabe et du patrimoine » nous explique Mohamed.
L’ICESCO signifie Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture. Créée en 1979, elle compte 53 Etats membres sur 4 continents. L’ICESCO intervient dans les domaines de l’éducation, des sciences et de l’environnement, des sciences humaines et sociales, de la culture et de la communication. Dans ces domaines, l’institution, parmi d’autres activités, organise des événements, édite des ouvrages et des études, offre des bourses d’études et de recherche et développe des accords de coopération… |
Depuis octobre 2020, il a, entre autre, créé un Think tank international, un musée d’art contemporain, un centre de l’image et du cinéma… Il a aussi mis en place un réseau de chaires ICESCO dans différentes villes comme Paris, Berlin, Genève, Porto Allegro, Dakar ou Beyrouth. Il lance également un important chantier sur la relation entre la culture et l’innovation numérique, pédagogique, scientifique, la recherche et la création. Il serait ici trop long de détailler toutes les initiatives mais on aura compris le sens des dynamiques mises en œuvre par notre homme.
A la fin de notre entretien, je l’interroge sur sa vision pour son avenir personnel. La réponse de Mohamed fuse : « Je vis le présent et, pour l’instant, cela me suffit ». Pour rappel, jeune homme, il était féru de philosophie. Visiblement, il l’est toujours !