Imaginez débarquer au Brésil dans les années 40, appareil photo en bandoulière, et découvrir un monde que personne en Europe ne montrait vraiment… sauf si c’était pour vendre des cartes postales “exotiques” aux touristes. C’est pourtant ce qu’a fait Pierre Verger, ce Français baroudeur qui a immortalisé la vie afro-brésilienne avec un regard bien différent de celui de Tintin au Congo.
L’oeil respectueux de Pierre Verger, à contre-courant de l’exotisme colonial
Alex Baradel, directeur culturel de la Fondation Pierre Verger à Salvador, a expliqué lors d’un évènement à la BnF comment Verger a bouleversé la photographie brésilienne de l’époque. Contrairement aux images dominantes qui montraient les personnes noires comme de simples curiosités destinées à un public européen en quête d’exotisme, Verger a choisi de photographier leur quotidien avec respect.
Il rappelle que Verger, issu d’un milieu bourgeois français, avait commencé à photographier dès les années 30, avant même de connaître le Brésil. Son regard était déjà empreint d’ouverture et de curiosité sincère, loin des stéréotypes coloniaux alors omniprésents :
« Verger déjà à cette époque dans les années 30 avant d’arriver au Brésil c’était une personne qui avait déjà une autre vision de photographier ces cultures (…) avec des photographies dans lesquelles transparaît beaucoup de respect voire de valorisation des personnes et des sociétés qu’il rencontrait. »

Pierre Verger et son regard qui devient intérieur
« Contrairement à ce que l’on pense, quand Pierre Verger est initié en Afrique en 1953, il devient lui-même Babalao, un devin. Il renaît sous le nom de Fatumbi. »
Cette initiation marque pour Verger l’aboutissement d’une quête : fuir les valeurs occidentales pour trouver un autre mode de vie. Il n’est alors plus un simple observateur extérieur, mais un membre reconnu et actif de cette communauté religieuse. Comme l’a précisé Alex :
« À partir du moment où il est initié, dans le monde du candomblé, il n’est plus un regard extérieur. »
Après cette initiation, Verger photographie moins ces religions afro-brésiliennes. Il se consacre davantage à l’écriture anthropologique et traite ses photographies avec une approche plus documentaire, et veille particulièrement aux textes qui les accompagnent.

Un regard respectueux, mais détaché des conditions sociales
Alex explique que le regard de Verger sur les cultures afrodescendantes était certes celui d’un étranger, mais sans stéréotypes, à une époque où ceux-ci dominaient. Il valorisait ces cultures sans toutefois décrire les conditions de vie matérielles de leurs membres :
« Il photographie les gens pour faire transparaître quelque chose de positif, et non pour montrer quelque chose de plus négatif, comme pouvait le faire Salgado. »
Verger donne visibilité aux Afro-Brésiliens, alors largement invisibilisés, mais sans inscrire cette visibilité dans leur contexte social, ce qui de nos jours serait jugé partiel. Aujourd’hui, en effet, ne montrer que l’aspect festif des cultures afrodescendantes reviendrait à occulter la réalité des discriminations et des difficultés économiques toujours présentes.
Alex conclut que l’engagement politique de Pierre Verger réside moins dans une dénonciation des injustices sociales que dans une défense des cultures africaines et afrodescendantes, par la photographie puis par ses ouvrages à dimension anthropologique.
« C’est une personne qui affirme l’importance de la culture afrodescendante au Brésil alors qu’à l’époque, très peu le faisaient. »


