Le groupe français totalEnergies est prêt à relancer son exploitation de gaz liquéfié après quatre ans d’arrêt et demande donc au Mozambique une prolongation de sa concession et une compensation colossale pour le retard accumulé.
Quatre ans de pause et une addition salée
TotalEnergies n’a pas perdu de temps. Quelques jours après avoir annoncé la reprise de son gigantesque projet gazier au nord du Mozambique, l’entreprise a adressé une lettre officielle au président Daniel Chapo. Elle y réclame dix années supplémentaires d’exploitation et une compensation de 4,5 milliards de dollars, correspondant au surcoût provoqué par la suspension du chantier.
Dans cette lettre datée du 24 octobre, le directeur général du groupe évoque « l’impact économique considérable » causé par quatre ans d’interruption, conséquence directe de l’attaque jihadiste de 2021 à Palma, qui avait fait plus de 800 morts selon l’ONG Acled.
Le site, évalué à 20 milliards de dollars, devait initialement livrer sa première cargaison de gaz dès 2024. Désormais, TotalEnergies vise le premier semestre 2029.
Une relance du projet de TotalEnergies sous conditions
Avant de redémarrer les travaux, le Conseil des ministres mozambicain doit encore approuver un addendum au plan de développement, avec un budget et un calendrier actualisés. L’entreprise a indiqué avoir informé les autorités de sa volonté de lever la « force majeure » déclarée en 2021, qui avait stoppé net toutes les activités.
Le gouvernement du Mozambique, de son côté, reste silencieux. Mais l’enjeu est énorme. La reprise du chantier pourrait ramener des milliards de dollars d’investissements étrangers dans un pays où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Le projet Mozambique LNG est censé transformer le pays en acteur majeur du gaz mondial. Avec des réserves estimées à plus de 5 000 milliards de mètres cubes, le Mozambique pourrait, selon un rapport de Deloitte, représenter jusqu’à 20 % de la production africaine d’ici 2040.
Mais les ONG écologistes dénoncent un désastre en préparation. Le collectif Say No to Gas, lié à l’association Justiça Ambiental, parle de « bombe climatique » et accuse TotalEnergies d’alimenter la dépendance mondiale aux énergies fossiles.
L’entreprise française se défend en affirmant que ces projets permettront au pays de financer son développement et de créer des emplois. D’après ses estimations, 5 000 postes locaux seront générés au pic des travaux.
Des plaies encore ouvertes
Le souvenir de l’attaque jihadiste de 2021 reste vif dans la région du Cabo Delgado, au nord-est du pays. Cette offensive du groupe affilié à l’État islamique a plongé la population dans la terreur et poussé TotalEnergies à évacuer ses équipes.
Une enquête judiciaire est en cours en France pour homicide involontaire, après les plaintes de familles de victimes qui accusent le groupe de ne pas avoir assuré la sécurité de ses sous-traitants. D’autres témoignages évoquent des abus commis par l’armée mozambicaine chargée de protéger la zone, ce qui a poussé la justice locale à ouvrir une enquête.
Depuis le début du conflit en 2017, plus de 6 000 personnes ont été tuées d’après l’Acled.
Pour tenter de stabiliser la zone, le Rwanda a déployé ses troupes en 2021, financées par l’Union européenne. Ces forces ont réussi à repousser partiellement les insurgés, mais les attaques restent fréquentes, provoquant le déplacement de plus de 200 000 personnes depuis le début de l’année.
Malgré cette instabilité, les grandes puissances économiques s’accrochent au potentiel gazier du Mozambique. Le président Daniel Chapo est actuellement en visite aux États-Unis, où il doit rencontrer les dirigeants d’ExxonMobil. Le géant américain prévoit un autre projet colossal, Rovuma LNG, dont la décision finale dépendait justement de la reprise du site de TotalEnergies.
Un pari risqué pour un pays pauvre
Le FMI table sur une croissance de 10 % en 2028 et 2029 si le projet de TotalEnergies redémarre comme prévu. Un chiffre impressionnant pour un pays dont la croissance actuelle ne dépasse pas les 2,5 %.
Mais tout dépendra de la manière dont les revenus du gaz seront gérés. Les autorités ont créé un fonds souverain pour redistribuer les bénéfices, mais les précédents scandales de corruption laissent planer le doute.
Entre promesse d’essor économique et crainte d’un nouveau pillage des ressources, le Mozambique se trouve à la croisée des chemins : l’or bleu peut faire sa richesse… ou raviver ses blessures.


