On parle des Noirs Américains comme étant « un électorat captif ».
Devant l’Association nationale des journalistes Noirs à Chicago, le 31 juillet, Donald Trump a encore une fois lancé une polémique.
Avançant que jusqu’à sa prétention à la candidature présidentielle pour les élections de 2024, la vice-présidente américaine, Kamala Harris n’avait mis en avant que ses origines indiennes.
De sorte qu’elle utiliserait son identité noire pour s’attirer des électeurs de la même communauté, dans un pays où les questions raciales sont si sensibles. Celle-ci a rétorqué que Donald Trump entretenait « un esprit de division », et a refusé de réellement entrer dans la polémique.
Kamala Harris, une candidate métisse.
La stratégie de M.Trump n’est un secret pour personne. Utiliser l’identité noire de Kamala Harris contre elle-même face à des journalistes Afro-Américains c’est essayer d’atteindre cet électorat visé et d’insinuer le doute sur la véritable appartenance de Mme Harris à la communauté qu’elle appelle à voter.
La question du candidat à la présidentielle « Est-elle Indienne ou Noire ? » est faussement naïve et pleine de sous-entendus. Les Afro-Américains, dont la mémoire de l’Apartheid reste vive et récente, découpent le paysage racial de leur pays entre les blancs et les non-blancs ou “gens de couleur”. Ce découpage est insidieux et traumatique, se niche dans l’inconscient collectif américain post-Apartheid et post-esclavage. À l’intérieur de ce même découpage, le métissage n’est pas une notion réellement comprise et véhiculée. Si une américaine est métisse, elle est noire.
De la même façon que Donald Trump ignore la biracialité de sa rivale en supposant qu’elle doive choisir entre sa mère indienne et son père jamaïcain, il utilise une partie de son identité contre l’autre. Un discours qui se veut influent et entretenant un léger parfum de mauvaise foi.
Une journaliste Afro-Américaine a rappelé à l’ancien candidat de télé-réalité que Kamala Harris assumait son identité métisse, et donc son identité noire, depuis des décennies. Ceci datant de bien avant qu’elle devienne une candidate démocrate. Au cours de sa deuxième année d’université en Californie, par exemple, la candidate a présidé l’association des étudiants Noirs en droit.
Face aux propos de Donald Trump, « une réaction instantanée » s’est produite, raconte le New York Times. Le quotidien américain parle d’une sorte de “grondement sourd qui s’est transformé en un rugissement de désapprobation”.
Kamala Harris n’a pas cherché à justifier son identité et ses prises de position raciales, rappelant les méthodes de défense de l’ancien président, toujours guidées par le désir de polémique. La candidate de 18 ans sa cadette a ajouté que les États-Unis “méritaient mieux” lors d’un meeting politique à Houston, au Texas.
Selon l’analyse du New York Times, les propos de Donald Trump n’ont rien de surprenant puisqu’il “se sert souvent des questions raciales pour monter des groupes de population les uns contre les autres”. D’une certaine façon, les deux candidats cherchent à capter l’attention de l’électorat noir, ce qui semble plus improbable pour l’ancien président dans la mesure où ses propos raciaux et ses décisions relatives aux différents groupes ethniques américains ont toujours été critiqués comme étant racistes ou, du moins, à la limite du racisme. The Washington Post rappelle que, de son côté, que Kamala Harris a organisé “plusieurs rassemblements dans des villes à forte population noire”.
La stratégie d’attaque raciale de Donald Trump contre ses concurrents se retourne-t-elle enfin contre lui?
Les stratégies politiques se modernisent. Donald Trump maintient un niveau de langue presque informel lors de ses prises de parole, et il tient des propos plus que discutables. Il frise la grossièreté et cela fait partie de son personnage. C’est aussi pour cette raison que certains électeurs l’apprécient: cela fait de lui un personnage plus proche de Monsieur et Madame Tout le Monde, pour certains il parait plus franc.
Pourtant, il semble que ses propos au sujet de l’identité raciale de Kamala Harris aient franchi une limite face à l’opinion publique. La porte-parole de la Maison Blanche Karine Jean-Pierre a dénoncé ces propos, qu’elle a qualifiés d’ « insultants ». Elle rappelle que « personne n’a le droit de dire à quelqu’un comment il s’identifie ». La stratégie du trash-talk que suit l’ancien président depuis des années semble avoir épuisé le prestige de sa nouveauté. Ceci étant renforcé par la conceptualisation de notions d’identification de race et de genre qui progressent depuis ces dernières années.
D’ailleurs, l’échange entre Donald Trump et les journalistes Afro-Américains à Chicago était davantage une confrontation houleuse qu’une calme séance de questions-réponses en vue des élections.
En réaction à cette confrontation et à l’attaque contre la vice-présidente, il a été mis en lumière que cette dernière a reçu le soutien de plus de 100 investisseurs, y compris le cofondateur de LinkedIn Reid Hoffman et le milliardaire Mark Cuban.
Même si, de son côté, Donald Trump a reçu le soutien financier d’Elon Musk et de plusieurs personnalités conservatrices de la Silicon Valley, il semble que le vent tourne pour l’ex-candidat de télé-réalité.
Note éditoriale sur le dernier débat entre Donald Trump et Kamala Harris
Le premier débat présidentiel de 2024 entre Kamala Harris et Donald Trump, qui s’est tenu le 11 septembre, a offert aux auditeurs une démonstration de la manière dont Kamala Harris peut aussi élaborer des arguments ad hominem (c’est-à-dire qui se concentrent sur la personne en face).
Si la question de qui a emporté la victoire reste subjective, les observateurs ont largement estimé que la vice-présidente Harris a dominé la scène, notamment en réussissant à pousser Trump dans ses retranchements.
Dès les premières minutes du débat, Kamala Harris a adopté une approche stratégique : provoquer Trump avec des remarques soigneusement préparées. En l’accusant d’avoir perdu la confiance des dirigeants mondiaux et en soulignant les accusations portées par les chefs militaires, Harris a visé des points sensibles. Elle a rappelé à plusieurs reprises que 81 millions d’Américains avaient voté pour le renvoyer en 2020, ajoutant malicieusement : “Il semble qu’il ait encore du mal à accepter cela.“
Trump, visiblement agacé par ces attaques, a pris le piège à chaque fois. Au lieu de se concentrer sur les questions posées par les modérateurs, il a multiplié les digressions, répétant des théories du complot déjà démenties, comme celle des migrants mangeant les animaux domestiques aux États-Unis. Il a également ressassé ses affirmations sans fondement sur des fraudes électorales massives en 2020.
Lorsqu’elle a évoqué ses démêlés judiciaires et les difficultés économiques sous son administration, Trump a répondu par des affirmations qui semblaient déconnectées des préoccupations des électeurs.
L’un des moments marquants du débat fut lorsque Harris a mentionné la faible affluence aux rassemblements de Trump. En réponse, l’ex-président a perdu son calme s’est lancé dans une longue tirade sur l’ampleur et le succès supposé de ses événements, affirmant même que “les gens ne quittent pas mes rassemblements“. Cette réaction disproportionnée a illustré l’efficacité de la tactique de Harris: plutôt que de débattre des politiques, elle a poussé Trump à parler de lui-même, le détournant des sujets de fond.
Sur l’avortement, sujet brûlant dans cette campagne, Harris a su expliquer les effets concrets des lois anti-avortement dans certains États.
Elle a décrit des cas où des femmes se sont vues refuser des soins médicaux en raison de la peur des poursuites judiciaires. Face à cela, Trump a défendu ses actions passées, notamment la nomination des juges de la Cour suprême qui ont contribué à annuler Roe v. Wade, tout en essayant de modérer sa position en soutenant des exceptions en cas de viol ou de danger pour la mère.
Ses déclarations sur “l’avortement après la naissance” (Que l’on connaît mieux sous le nom d’infanticide en France), qu’il a répétées plusieurs fois, ont été immédiatement corrigées par les modérateurs, Harris restant calme face à ces allégations inexactes.
L’immigration a également été un sujet de friction. Trump a ressassé ses accusations sur l’inefficacité de l’administration Biden-Harris à gérer la situation à la frontière, tout en répétant des théories du complot sur les migrants. Cela a véritablement décrédibilisé Trump et va demander aux Républicains de revoir leurs stratégies de débat.