Au Canada, les feux de forêt de 2023 avaient marqué les esprits, et les manchettes. Et cette année, les conditions météorologiques laissent présager une nouvelle saison des feux de forêt précoce et longue.
La forêt canadienne est déjà fragilisée suite à une série de feux de forêt
2023 a été la pire année dans l’histoire du Canada en terme de feux de forêt. 15 millions d’hectares de forêts avaient brûlé, alors que la moyenne se situe habituellement autour de 2.5 millions.
Cette année, déjà 70 feux de forêt sont recensés au Canada, principalement dans l’ouest du pays. Des évacuations en raison de feux qui se sont propagés dans l’ouest du Canada ont déjà eu lieu en Colombie-Britannique par exemple.
« C’est quand même assez exceptionnel d’avoir des évacuations au mois d’avril », s’exclame Yvan Boulanger, un chercheur scientifique en écologie forestière au Centre de foresterie des Laurentides.
Les évacuations risquent de se poursuivre, avec un début de saison des feux hâtif. Déjà, un cocktail météorologique rassemblant plusieurs facteurs déterminants fait craindre le pire par des experts.
En fait, la saison des feux « se déclare à partir du moment où la neige a fondu, et qu’on a pas eu de précipitations une fois que la neige a fondu, pendant quatre jours », explique M. Philippe Gachon, un expert en hydroclimatologie, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et chercheur, depuis 25 ans. Le site du gouvernement du Canada rajoute que le thermomètre doit indiquer une température d’au moins 12 °C à l’heure du midi.
Or, les températures saisonnières du pays inquiètent déjà des experts. « Il faut être en mode surveillance, parce que ce qui est particulier cette année, par rapport à l’année dernière, c’est que le contexte global des températures est plus chaud », signale M. Gachon. L’année dernière avait déjà l’été avait été le plus chaud jamais enregistré au Canada.
À ces températures plus hautes que la normale se joint une faible couverture neigeuse qui a caractérisé un hiver doux dans tout le pays. « Ce qui est exceptionnel cette année, c’est que d’ouest, en est, on a beaucoup moins de neige que d’habitude », confirme M.Gachon.
Et par rapport à l’année dernière, « on a moins de neige en cette période-ci de l’année qu’on avait l’année dernière », renchérit-il.
La neige permet d’humidifier le sol, car elle « pénètre dans le sol en profondeur au moment de la phase de dégel, et donc plus il y a de neige, plus ça permet d’humidifier le sol », explique M. Gachon.
Un pays et une forêt boréale fragile face à la saison des feux de forêt
Le Canada est recouvert par 28 % de la zone boréale du monde. La plus grande forêt boréale du monde se caractérise par quatre espèces principales: pins, épicéa, sapin et mélèze. Or, ces résineux sont « extrêmement inflammable », soutient M. Gachon.
Les épines de pins et autres résidus constituent un combustible, qui une fois l’hiver terminé « se déshydrate » poursuit-il.
Il faut dire aussi que le Canada, malgré ses lacs, rivières et autres points d’eau nombreux, est aux prises avec plusieurs sécheresses à travers le pays. « On est en déficit de précipitations en général, depuis plusieurs mois », explique M. Boulanger. « Notamment dans les provinces des prairies, en Colombie-Britannique, Ontario et au Québec. »
Et la situation ne risque pas de s’améliorer d’après le chercher: « on sait déjà que les conditions qui ont mené aux feux de l’été dernier sont au moins deux fois plus probables de se produire qu’avant la période industrielle, en raison des changements climatiques. »
« Il va falloir apprendre à vivre dans un monde où les feux sont plus importants et plus dévastateurs », dit M. Boulanger.
Comment mieux se préparer aux feux de forêt?
Ce qui ferait défaut au Canada est le manque de collaboration entre les provinces, et ce, à travers le pays.
« Ça se fait déjà, quand on a des feux dans l’ouest, et qu’on est pas trop occupé dans l’est: on peut fournir des contingents, des ressources, pour aider à combattre des feux », explique M. Gachon. « Le problème c’est que le Canada est un pays gigantesque, avec la plus grande forêt boréale au monde et nous avons des ressources limitées. »
Le recrutement pour augmenter les effectifs des services incendies a augmenté, « mais il reste que ça ne sera pas suffisant. Ce n’est pas juste un problème de ressources humaines dans les provinces: il faut le temps de former ce personnel et il faut aussi qu’il soit équipé », continue M. Gachon.
Or la flotte aérienne dont dispose les secours incendies du pays a connu des jours meilleurs. Les avions-citernes qui aident à combattre les feux de forêt ont « pour la plupart, ont été acheté dans les années soixante et soixante-dix: elles sont déjà en fin de vie », explique M. Gachon. « Le Canada a vraiment péché par laxisme d’un point de vue infrastructure. »
D’après l’expert, le Canada aurait avantage à s’inspirer des procédures suivies par plusieurs pays européens, notamment la France. « La planification en terme de capacité de ressources matérielles et autres, des formations pour les pompiers, et le tout sur une base commune », sont selon lui plusieurs outils dont le Canada devrait se pourvoir pour pouvoir mieux faire face aux feux de forêt.